Roman biographique écrit par Martine Janicot Demaison, Trang, fille de Lumière de lune, raconte l’histoire d’Aline Maslankiewicz, qui vit aujourd’hui à Limoges après avoir fui enfant le Vietnam avec sa famille, pour fuir le régime communiste.
Aline Maslankiewicz vit à Limoges depuis 1996. Mais c’est loin, très loin de la Haute-Vienne qu’elle est née, en 1970 : à Phnom Penh, au Cambodge. D’origine vietnamienne, Aline s’appelait alors Trang. Elle fait partie des milliers de "boat people", ces réfugiés qui ont fui par la mer le Vietnam et le communisme, pour des raisons politiques ou économiques, à la fin des années 70 et dans les années 80.
Son exil, avec sa famille, est raconté dans le livre Trang, fille de Lumière de lune, sorti le 1er avril. Un roman biographique signé Martine Janicot-Demaison, auteure née et habitant à Limoges.
Son exil, ou plutôt ses exils. Car la famille de Trang a d’abord fui le Cambodge pour échapper aux Khmers rouges, qui menaçaient les Vietnamiens. "J’avais deux mois lorsque mes parents ont dû quitter le Cambodge pour aller à Saïgon", raconte Aline. Mais le Vietnam n’est qu’un asile à court terme. Son père et son frère fuient le régime communiste en premiers, pour rejoindre la France. Trang, sa mère, sa sœur et ses deux autres frères partiront quelques mois après.
Je me souviens de ma mère nous disant "ce soir on va partir, prenez votre sac et des choses qui vous tiennent à cœur". J’étais contente à l’idée de rejoindre notre père et notre frère.
Capturée par des pirates
En 1979, la petite fille n’a que 9 ans. "Sur le bateau on était très serrés, on était une cinquantaine ou soixantaine de personnes. Mais j’étais heureuse, à 9 ans je me disais qu’on partait faire un bon voyage, pour retrouver notre famille." Sa naïveté d’enfant se heurte toutefois rapidement au monde réel. Après la deuxième ou troisième nuit, son embarcation est percutée par un bateau appartenant à des pirates.
En pleine mer l’eau commençait à rentrer dans le bateau. J’ai le souvenir de l’eau qui montait jusqu’à mes chevilles. A ce moment-là, oui, j’ai eu peur. Peur sans avoir peur, parce que je n’étais pas très consciente du danger.
Les pirates embarquent tout le monde, et les emmènent dans un camp, sur une île proche de la Malaisie. "Ils nous ont pris tous nos objets de valeur, on n’avait presque plus rien". Trang est enfermée dans un hangar, avec les autres. Pendant plusieurs jours, plusieurs semaines ? Ses souvenirs sont flous. Elle se rappelle cependant des hommes qui venaient le soir, pour venir chercher des femmes. Certaines revenaient en pleurs, d’autres ne revenaient pas du tout. "Mais ma mère nous protégeait, elle ne nous disait pas ce qu’il se passait", souligne Aline.
"C'était la liberté"
Finalement, sa famille rejoint un camp de réfugiés en Thaïlande. C’est de là qu’ils partent pour la France. La première chose dont se souvient Trang, qui a choisi de s’appeler Aline à son arrivée, c’est "le froid et la neige", en plein mois de février. "Mais pour nous c’était la liberté". C'est dans la Loire, dans la petite commune de Saint-Héand, qu'une nouvelle vie commence pour elle et sa famille. "On avait un bel appartement, le frigo bien rempli, pour la première fois j’avais une vraie poupée pour moi", se remémore-t-elle.
Message d'espoir
40 ans et quelques déménagements plus tard, tous ces souvenirs ont servi de matière brute à Martine Janicot-Demaison, qui signe là son 9ème ouvrage.
"Je me suis glissée petit à petit dans la peau d’Aline, ce qui n’a pas toujours été facile. Au fil de l’écriture je lui téléphonais, on se voyait, je lui demandais ‘est-ce que ça cadre ?’. J’avais toujours le souci de rester dans la vérité, dans la ligne droite de leur histoire", explique l’écrivain, qui a néanmoins ajouté quelques personnages fictifs. Pour elle, l’histoire d’Aline délivre un message d’espoir :
Même si on est fond du trou, même si tout est noir, il y aura toujours quelque chose au bout qui continuera à nous faire avancer. Rien n’est perdu, même si l’on n’y croit plus demain il y aura du soleil.
Pour Trang/Aline, qui parlait peu de son histoire avec sa famille, sinon avec sa sœur, ce livre a servi d’exutoire. "Ça fait du bien de raconter, ça m’a soulagée de vider mon sac" confie-t-elle.
Elle souhaite aujourd’hui partager son récit, notamment avec les plus jeunes "parce qu’ils ont tout et ne savent pas ce qu’on a vécu". Sa trajectoire, elle la retrouve par ailleurs dans la situation actuelle des migrants, à laquelle elle ne peut rester insensible : "C’est dur de voir ces images, parce que je me mets à la place de ces gens-là, qui cherchent la liberté. Ça ne leur fait pas plaisir de quitter [leur pays]. Mes parents auraient voulu rester au Vietnam, mais on n’avait pas le choix". "Je souhaite qu’ils s’en sortent aussi", ajoute-t-elle.