Témoignages. "Il y a un sentiment d’utilité très grand" : ces hommes et ces femmes qui prennent soin de nos défunts

Publié le Écrit par Martial Codet-Boisse

Après la vie, comment sont traités nos défunts ? Porteur, chauffeur, thanatopracteur, fossoyeur, maître de cérémonie ou opérateur cinéraire, le temps d’une journée, à Limoges, nous avons suivi les agents de pompes funèbres municipales et au crématorium public. Ils travaillent dans les seuls services funéraires publics du Limousin.

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Le projet de loi sur la fin de vie a été présenté en conseil des ministres ce mercredi 10 avril. Deux volets sont contenus dans ce projet présenté ce mercredi 10 avril en Conseil des ministres : développer les soins palliatifs et mieux accompagner un malade vers la mort. Le texte sera examiné en commission spéciale à l’Assemblée nationale avant d’être présenté aux députés le 27 mai prochain. L’innovation principale de ce projet de loi est l’introduction de l’aide à mourir. Un dispositif qui, sous certaines conditions, pourrait prendre la forme d’un suicide assisté, voire, à titre exceptionnel, d’une euthanasie.

Ce débat interroge sur le rapport de notre société avec la fin de vie et avec la mort. En marge de cette actualité politique, nous avons décidé de partir à la rencontre de celles et ceux qui prennent soin de nos défunts. Dans un marché largement dominé par des opérateurs privés, Limoges est la seule commune du Limousin disposant encore d’un service de Pompes funèbres municipal.

Prendre soin de nos défunts

Nous avons suivi le quotidien de ces agents dont le métier est de prendre soin de nos défunts. Attention, certaines photos peuvent heurter les personnes les plus sensibles. 

8h du matin, chambre funéraire, quartier Carnot à Limoges. Jérôme Pénicaud enfile une paire de gants médicaux. Aidé de trois autres agents, il soulève délicatement le corps d’un défunt avec des sangles, le dépose dans un cercueil.

Nous sommes à quatre pour cette opération. Il faut répartir la charge du soulèvement du corps pour respecter au mieux le défunt. Ensuite, nous le positionnons pour la présentation finale aux proches. C’est la mise en bière.

Jérôme Pénicaud, chauffeur de convoi et agent funéraire aux Pompes funèbres municipales de Limoges

Chaque année, à la chambre funéraire municipale de Limoges, les agents procèdent à près de 1 000 enterrements. Un travail d’accompagnement auprès des familles, "un travail d’équipe aussi, qui n’est pas tous les jours facile", nous précise Fabrice Devoize, agent funéraire depuis 21 ans.

 Il y a des moments difficiles quand vous faites des enterrements d’enfants notamment. Notre service est ouvert 24h/24h, 365 jours par an. On est appelés jour et nuit, également pour les réquisitions de police, les scènes de crime, noyades, suicides. Ce n’est pas un métier si facile, il faut savoir encaisser.

Fabrice Devoize, agent funéraire aux Pompes funèbres municipales de Limoges

Des agents, premiers interlocuteurs à voir les familles après le décès d’un proche, dans ce service qui fonctionne avec des astreintes de 48 heures pour être opérationnel 24h/24h, 365 jours par an. Les personnels ont souvent plusieurs habilitations, il en existe six, de porteur à gérant de pompes funèbres.

"Un rapport particulier à la mort et à la douleur des gens"

Jonathan Buge est, depuis sept ans, maître de cérémonie à la chambre funéraire. Ils sont quatre à organiser ces moments de célébration du défunt dans la grande salle.

"Pour une bonne partie de la population, il n’y a pas de cérémonies religieuses mais certaines familles souhaitent une cérémonie pour avoir ce temps de rencontre entre les vivants, explique Jonathan Buge. Ce n’est jamais identique car chaque défunt, chaque famille, est unique. Cette étape est primordiale pour permettre au deuil de s’exprimer. L’écoute permet de lâcher l’émotion. Ces métiers-là, on a la capacité de les faire ou pas. C’est un rapport particulier à la mort et à la douleur des gens. Toute la journée, on voit des gens tristes. Il y a un sentiment d’utilité très grand, que l’on sent tout de suite. »

"Avant, on ne parlait pas de ces métiers-là"

Au fil des années, Jonathan Buge a remarqué une évolution des mentalités quant à la perception de leurs métiers. "Avant, on ne parlait pas de ces métiers-là, poursuit le maître de cérémonie. L’arrivée de séries, comme Six Feet under, parlant de la mort fait que les gens s’y intéressent plus. On continue d’occulter la mort, mais il y a une évolution."

Une évolution confirmée par Catherine Lecouat. La cheffe de ce service municipal des Pompes Funèbres qui compte soixante agents n’a pas de problème pour recruter. "Il y a un véritable intérêt pour ces métiers. Les formations permettent de valoriser ces professions. Le personnel est sachant, on ne travaille plus ici par défaut, explique Catherine Lecouat. On assume une mission de service public en étant en conformité avec un certain nombre de valeurs, la légalité, l’égalité de traitement, la continuité de service public, le respect des défunts."

En 1993, la loi Sueur était votée pour lutter contre les pratiques commerciales abusives du secteur et mettre fin à un monopole d’Etat. Le préfet octroie, tous les cinq ans, une habilitation aux services de pompes funèbres.

En France, le public ne représente qu’environ 15% du marché des opérateurs. A Limoges, en 2023, les Pompes funèbres municipales ont organisé 57% des obsèques sur la commune.

On fait l’objet d’un budget annexe à la commune. On n’est pas là pour faire des profits. La rémunération des agents ne dépend pas des finances communales. On suppose que les prix pratiqués sont justes. On ne cherche pas le profit, c’est l’usager du service et pas le contribuable qui paye.

Catherine Lecouat, cheffe du service des Pompes funèbres de Limoges.

Le dernier soin au défunt

À la chambre funéraire, Philippe Ustaze est l’un des deux thanatopracteurs. Chaque jour, à Limoges, il se charge d’apporter les derniers soins aux défunts : « Dans le corps, on injecte une solution à base de formol et d’eau pour remplacer le sang dans les artères par du produit de conservation. Les fluides corporels sont récupérés via une canule, détaille Philippe Ustaze. On va ligaturer la bouche, nettoyer les muqueuses, gorge, cloisons nasales, prothèses dentaires. Pour garder les globes oculaires gonflés, on va placer un couvre œil derrière la paupière fermée.»

Avec délicatesse, le thanatopracteur rase les joues du défunt, termine sa toilette par un maquillage du visage. Il faut rendre le corps le plus présentable possible aux proches. « Respecter le corps du défunt, c’est la première des priorités dans notre métier », ajoute dans un sourire Philippe Ustaze.

180 cercueils stockés

Dans un grand hangar de la chambre funéraire de Limoges, quelque 180 cercueils sont stockés. D’une épaisseur de bois de 22 millimètres, ils peuvent être en chêne massif ou en sapin selon les usages.

Nous ne sommes pas là pour leur vendre un cercueil à 3000 €. A chaque fois, nous discutons avec les familles afin de trouver le cercueil qui pourrait convenir au défunt. Les tarifs sont fixés par le conseil municipal. Ils vont de 680 € à 3 500 € selon les tailles, les modèles, selon qu’ils soient prévus pour une crémation nécessitant un bois tendre.

Eric Rampnoux, conseiller funéraire et régisseur du service Showroom à la mairie

Et Eric Rampnoux de poursuivre, « concernant les obsèques, il y a des délais, pas avant 24h mais pas après six jours. Les familles sont confrontées à ce facteur temps. On leur laisse un peu de temps pour réfléchir mais la décision doit se faire rapidement. Ce n’est pas un temps facile pour les proches du défunt, car ils sont aveuglés par leur chagrin. »

La dernière demeure

Ce jour-là, Franck Banowicz et Jérémy Mayaud sont en train de remettre d’aplomb une tombe dans le vieux cimetière de Louyat à Limoges. Les deux hommes sont fossoyeurs maçons aux Pompes funèbres municipales. « On remonte un entourage de monuments après une inhumation. Comme on est dans le vieux cimetière, on a dû creuser avec des pelles et des pioches, explique Jérémy Mayaud. Bon, on n’est pas descendu à deux mètres de profondeur mais, à trois, cela nous a pris la matinée, pelles, brouettes et huile de coude. »

« Et dans l’urgence », ajoute Franck Banowicz. « On est obligés de toucher à beaucoup de domaines et on doit aller vite. On a rarement une semaine, plutôt deux jours voire la veille pour le lendemain…».

Le cimetière de Louyat dispose de 40 000 concessions. Trente-trois agents y travaillent et procèdent à près de 600 inhumations chaque année.

Il reste encore de la place en bas du cimetière avec les concessions reprises. Nous avons des concessions temporaires (15 ans, 30 ans, 50 ans) ou perpétuelles.

Isabelle Arsouze Pacholski, conservatrice des cimetières de Limoges (Louyat, Landouge et Beaune-les-Mines)

Certaines concessions sont abandonnées. Des recherches en lien avec l’état civil sont alors effectuées pour vérifier qu’il n’y ait pas d’ayants droit. S’il n’y a pas de retour, les ossements vont à l’ossuaire. Lorsqu’un monument funéraire est remarquable, le service a pour consigne de tout faire pour le conserver.

« Par exemple, cette chapelle abandonnée, on a quelqu’un pour la reprise de la concession, se réjouit Isabelle Arsouze Pacholski. Donc celle-ci devrait être revendue. Cela permet de garder un patrimoine, de ne pas l’écrouler mais c’est une procédure qui prend du temps. » 

À Louyat, comme dans tout cimetière, les inhumations sont souvent tristes. Cependant, les personnels assistent parfois à des cérémonies joyeuses. « J’ai souvenir d’une femme de plus de 80 ans qui avait laissé une lettre indiquant : "buvez un coup à ma santé ! Devant la tombe, les proches ont levé le verre au nom de la défunte", se souvient Isabelle Arsouze Pacholski.

Une demande de crémation croissante

En 1980, seuls 1% des Français avaient recours à la crémation, aujourd’hui, ils sont près de 40%. À Limoges, le crématorium de Landouge existe depuis 1989. Un bâtiment vieillissant dont la compétence a été transférée à l’agglomération de Limoges depuis le 1er janvier 2024 et qui doit prochainement faire l'objet de travaux. Une gestion intercommunale pour le seul crématorium public du Limousin. Un établissement qui fait face à une demande de plus en plus croissante.

Depuis début 2024, 461 opérations de crémation ont eu lieu sur le premier trimestre. Au début de l’année, l’allongement du délai d’attente pour les familles allait au-delà d’une semaine. Nous opérons sept à huit crémations par jour.

Lydie Manus, directrice du crématorium de Limoges (Landouge)

Sept agents œuvrent au bon fonctionnement du crématorium. « Ce n’est pas un métier facile, nous sommes confrontés tous les jours à la tristesse des gens.». Stéphane Gaudeix, maître de cérémonie et opérateur cinéraire, accueille notamment les familles avant les crémations. « En termes de crémation, on ne peut pas vraiment parler de cérémonie, le temps n’est pas le même que lors d’une cérémonie à l’église, là, il s’agit plutôt d’un dernier au revoir. On garde nos distances pour ne pas trop rentrer dans la proximité des familles, pour ne pas être submergé par l’émotion. Mais il ne faut pas que ce soit machinal, il faut en soi, éprouver de la tristesse. »

Après la cérémonie, le cercueil disparaît au regard des proches pour être acheminé dans un des deux fours du crématorium. « On a trois modes de crémation. De soixante à 120 minutes selon la corpulence du corps. On surveille par le hublot que tout se passe bien. C’est automatisé, précise Thomas roux, maître de cérémonie et opérateur cinéraire. Il y a un ajout d’air pour créer une combustion permanente. D’où la présence de cercueils pas en carton mais en bois, qui servent de comburants. Nous privilégions les cercueils en bois tendre, type sapin, car les cercueils en chêne augmentent le temps de crémation. »

Après la crémation, il reste les calcius qui comprennent  cendres et ossements ainsi que les métaux dentaires et prothèses articulaires. Le concasseur rendra les restes à l’état de cendres. Puis viendra la mise en urne avant la remise à la famille dans les heures qui suivent.

« C’est un beau métier, sourit Thomas Roux. On a l’impression de servir à quelque chose, d’avoir ce côté humain auprès des familles qui sont endeuillées à ce moment-là. Si on est là, c’est qu’on l’a choisi et si demain je m’en lasse, je changerais de métier. »

« Ah qu’est-ce qu’on est serré… »

Une immersion dans les métiers du funéraire que nous achèverons sur une note joyeuse avec deux anecdotes contées par Stéphane Gaudeix du crématorium de Landouge :

« Une fois, un défunt avait demandé que l’on passe du Patrick Sébastien comme musique : « Ah qu’est-ce qu’on est serré au fond de cette boîte ».

« Un autre jour, une femme, au moment de prendre la parole pendant la cérémonie a lancé : « Je tiens à remercier la maîtresse de mon mari qui est dans cette salle. ».

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