Une toux, un syndrome fébrile non expliqué, alors Covid ou pas Covid ? C’est toujours la question qu'on se pose

Ils ont moins de consultations qu’avant la crise sanitaire, mais leurs journées restent longues, car il faut prendre des précautions, repenser sa pratique. Deux médecins de Haute-Vienne, l'un en campagne, l'autre en ville nous parlent de leur quotidien pendant cette épidémie de coronavirus.

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Une baisse de 20% des consultations pour ce médecin installé dans un village


Ce matin, c’est consultation sans rendez-vous pour le docteur Luc Aubanel. Dans son cabinet de St-Sulpice Laurière, commune rurale de 800 habitants à 40 kilomètres au nord-est de Limoges, il continue de voir ses patients malgré la crise sanitaire du coronavirus.

  • Luc Aubanel

"Oui, ce matin j’ai vu 12 patients, j’ai 4 rendez-vous cet après-midi, et puis une dizaine de domiciles, dans un rayon de 15 kilomètres. Avec le coronavirus, il y a une baisse du nombre de consultations je dirai d’environ 20% pour ma part. Mais je continue à faire entre 20 et 24 consultations par jour.
 

C’est vrai que j’ai entendu que certains cabinet étaient bien moins fréquentés, mais c’est moins le cas pour nous, peut-être parce que c’est la campagne. Peut-être que le contexte est moins anxiogène qu’en ville. Il y a peut-être aussi le fait que nous soignons beaucoup de patients âgés, qui ont besoin de notre suivi pour des pathologies chroniques et des renouvellements de prescriptions. J’ai le sentiment que j’arrive un bon suivi de ma patientèle et que cela peut se faire en confiance.

C’est vrai aussi que tout est un peu différent. Les consultations sont plus longues, il faut nettoyer les instruments, se laver les mains, s’équiper. Avec le Covid-19, nous laissons les portes ouvertes et les patients qui viennent attendent dans leur voiture, c’est nous qui allons les chercher. Dans le cabinet, nous avons consacrée une pièce à part pour les cas suspects. Au départ, tout le monde n’est pas rassuré, mais souvent, après avoir pris la tension, je désinfecte l’appareil et du coup les patients comprennent qu’on prend les précautions qu’il faut.


Je n’ai pas mis en place la téléconsultation, je dois avouer que ce n’est pas trop "ma tasse de thé",  c’est bien, ça peut se faire, mais d’un point de vue personnel, je n’aime spécialement ça. J’ai eu un patient, dernièrement au téléphone, il était angoissé, avec des difficultés respiratoires. Finalement, il était 21h, mais j’ai pris ma voiture, je suis allé le voir, je l’ai ausculté et j’ai pu le rassurer directement.
 

Une baisse de 40% des consultations pour cette médecin installée en ville, à Limoges

Fabienne Deschamps est médecin généraliste à Limoges. Comme le docteur Aubanel, le docteur Deschamps a bouleversé ses habitudes. Dans son cabinet, les patients sont moins nombreux qu’avant la crise du coronavirus. Comparé à son confrère qui exerce en campagne, la baisse d’activité est bien plus nette.

  • Fabienne Deschamps
Il y a effectivement une baisse d’activité. Elle est marquée pour moi, c’est à peu près 40 % d’activité en moins en médecine de ville. D’emblée, on s’est préparés avec mon collègue dans notre cabinet. J’ai stoppé immédiatement mes consultations sans rendez-vous du matin, il y avait des fois beaucoup de monde dans la salle d’attente, j’ai modifié tous mes horaires, on a condamné la salle d’attente, on a fait attendre les gens dès le départ sur le trottoir

On a transformé une pièce en salle "contagieuse", où on s’habille différemment, nettoyage à l’eau de Javel, enfin on a fait comme on a pu avec nos pauvres moyens. Pour les équipements, ça va un peu mieux, mais ça a été compliqué.


Je fais des consultations sur rendez-vous durant 4 heures environ et j’assure aussi ensuite les visites à domicile pour les patients qui ne peuvent se déplacer, ceux qui sont dépendants ou qui ont des pathologies chroniques lourdes, enfin je fais des visions consultation tous les soirs alors mes patients
 

Là c’est l’avantage aussi d’être à Limoges, on a des patients qui sont peut-être aussi un peu plus connectés qu’à la campagne et puis le réseau fonctionne, parce que parfois il ne passe pas. J’ai même un couple qui a 80 ans que j’ai eu en téléconsultation pour la 1ere fois et  ils étaient ravis de me voir.

Alors évidemment ça ne remplace pas une vraie consultation au cabinet, ne serait-ce que pour une auscultation pulmonaire, on peut très bien passer à côté d’une  pneumopathie, mais déjà on peut les voir. C’est mieux avec les patients que l’on suit déjà, les maladies chroniques, voit tout de suite si y’a quelque chose qui diffèrent par rapport à leur état général.
 

Des cas suspects chaque semaine et quelques patients testés positifs au Covid-19

La crise du coronavirus est omniprésente pour les 2 médecins, comme pour leurs patients. Ce n’est ni un stress permanent, ni une réalité de chaque instant, mais un questionnement, un doute qui plane, en permanence, et qu’il faut réussir à cerner et le plus souvent encore, à dissiper.

  • Fabienne Deschamps
Tout est suspect parce que c’est tellement polymorphe, on est vraiment dans l’inconnu. Donc on prend toutes les protections nécessaires pour éviter les contaminations et c’est un petit peu chronophage : désinfecter la salle, se nettoyer les mains, remettre des gants, s’habiller.

Une toux, un syndrome fébrile non expliqué, on en croise de façon assez courante, alors Covid ou pas Covid ? C’est toujours la question que l’on se pose.


En moyenne je dirais que je vois 5 à 6  patients par semaine qui présentent des symptômes de type Covid. Les patients qui ne présentent pas de critères graves, on les suit avec le protocole, on les revoit à J+2, J+7 et J+14. Pour les autres, on passe par le 15 et les urgences.

J’ai eu 2 patients testés positifs au Covid-19 et après j’en ai eu d’autres peut-être avec des faux-négatifs ou peut-être pas testés au bon moment. Il y a une sensibilité, une spécificité des tests qu’on utilise pour l’instant et qu’on peut remettre en question quand on voit les résultats. Et puis je ne fais pas tester tout le monde.

Moi je l’ai fait dépister uniquement des patients qui sont soignants, des aides-soignantes, des dames qui portent les repas aux personnes seules. Il ne faut pas les oublier, elles sont un maillon essentiel pour que la vie continue. J’ai fait aussi tester de jeunes étudiants qui faisaient du drive, qui travaillent en supermarché et qui étaient suspects. Ce que je ne manque jamais de dire, aussi, c’est que l’immense majorité des personnes infectées guérissent seules.

Mes patients, oui ils  pensent au coronavirus, comment pourrait-il en être autrement, mais pas forcément pour eux. En fin de consultation c’est "Prenez soin de vous Docteur" «"Faites attention à vous parce qu’on sait que vous allez voir tout le monde", ils s’inquiètent pour moi,  il a vraiment une empathie, on la ressent. 
 

  • Luc Aubanel

Des patients Covid, j’en ai eu 2 dans ma patientèle, j’en ai vu 1, un ancien patient, il réside désormais en Corrèze, il m’a contacté et là pour le coup cela a été en téléconsultation, c’était il y a 4 semaines.  Maintenant, il est guéri. J’ai eu aussi un autre cas positif sur Ambazac, sans complication lui aussi. Il va bien également, il a passé les 14 jours. Après il y a aussi les cas suspects, mais sans que l’on puisse savoir vraiment.

Le coronavirus, il est présent dans 2 tiers des consultations. Ce n’est pas la raison principale, mais au fil de la discussion, la question fini par se poser très souvent. "Est-ce que ça pourrait être le coronavirus ?" Il y a cette arrière-pensée très présente, pas seulement avec les plus âgées.


J’ai eu un jeune homme de 30 ans, je dis ça parce que c’est deux fois moins que mon âge. Il a été opéré il y a quelques mois avec pose d’une prothèse valvulaire au cœur. Il avait des douleurs dans la poitrine, en l’auscultant, j’ai constaté que c’était musculaire et tout était ok

 
 

Une période angoissante

Les deux médecins sont ainsi à la fois sur le qui-vive pour dépister au mieux des patients qui pourraient être atteints du Covid-19, ils sont aussi là pour rassurer. La période est angoissante pour nombre de personnes, et le confinement n’y arrange rien.

  • Luc Aubanel
Ce que je constate également c’est une certaine tristesse chez des patients. Ca peut déclencher des pathologies secondaires, liées à l’isolement, avec des angoisses ou des états dépressifs, alors dès qu’ils ont mal, ils se posent la question du coronavirus :  "J’ai une douleur, est ce que cela peut être le Covid ?"
  • Fabienne Deschamps
Sur le plan psychologique, je trouve qu’il y a des répercussions importantes. La semaine dernière j’ai eu des gens en pleurs au téléphone, l’isolement pour eux est très compliqué, ils habitent seuls, ils n’ont pas de famille et donne des numéros de cellules de soutien psychologique pour les aider, mais c’est vrai qu’il y a des détresses morales importantes.
 

Déconfinement ? Plutôt une levée progressive du confinement 

La date annoncée du déconfinement est là, ce fameux lundi 11 mai. Un jour encore trop lointain pour nos deux médecins, qui travaillent au jour le jour. Tous deux restent circonspects sur cette étape dans la gestion de l’épidémie. Les questions sont nombreuses, les réponses ne sont pas simples. Il y a l’aspect médical, et l’aspect sociétal. Chacun, à sa manière, porte l’espoir que collectivement, nous fassions les choses un peu différemment à l’avenir.

  • Luc Aubanel

Ma principale inquiétude c’est comment on va sortir de ce confinement médical, avec quelle immunité acquise ? Et puis sur le plan pratique, comment on sort de cette histoire ? C’est bien difficile à dire, mais j’espère qu’on en tirera des leçons pour l’avenir, pour revenir à l’essentiel.

Dans le village on redécouvre les commerces du bourg : il y a une boulangerie, une boucherie et une petite supérette, ça fonctionne bien, ou dans un autre domaine, pourquoi faire 10 h d’avion pour aller en vacances ?  La France est belle autour de nous, il faut peut-être prendre le temps de regarder, se remettre en question pour opter pour plus de sérénité.
 
  •  Fabienne Deschamp

Je suis prudente parce qu’on n’en apprend tous les jours, au fur et à mesure, donc c’est compliqué d’anticiper comment ça va se passer.  C’est compliqué pour les personnes qui ont des comorbidités, les personnes âgées, il faut rester prudent. On va rouvrir les écoles, là aussi ça sera compliqué, de dire aux enfants d’observer les règles d’hygiène.

La tâche n’est pas facile pour tous les experts scientifiques qui a l’heure actuelle doivent se poser beaucoup de questions et je ne  sais pas si nous aurons la bonne solution. Il faut être très prudent, ce sera une sortie progressive du confinement plutôt qu’un déconfinement.


Je pense que ce qui est intéressant à voir c’est la solidarité j’en ai eu des exemples très concrets dans ma patientèle, entre certain voisins, il faut continuer tout cela. Il y a aussi une baisse du consumérisme, si ça pouvait rester un petit peu après. On a aussi ne baisse de la pollution, on entend les oiseaux chanter. La faune, la flore reprennent bien le dessus, donc, on va parler de ça, après le reste c’est vraiment l’inconnu mais il faut quand même se battre tous ensemble, toujours avoir l’espoir qu’il y ait bientôt, le plus tôt possible, des jours meilleurs.
 
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