Un décret paru le 17 février dernier a pris de court le monde de l'enseignement artistique. Conservatoires mais aussi écoles associatives de danse se retrouvent dans l'impossibilité de dispenser leurs cours.
A Saintes, Jean-Nicolas Richard n'est pas seulement le directeur du conservatoire et, à ses heures, un violoncelliste de talent. Depuis quelques mois, Jean-Nicolas Richard est aussi en colère. En décembre dernier, face à la crise sanitaire, avec quelques-uns de ses homologues dans le pays, il créait le collectif "Enseignements Artistiques en mouvement". "Désespérés de constater que l'enseignement artistique n'apparaissait que peu dans les discours gouvernementaux, des directeurs de conservatoires, d'écoles de musique, danse, théâtre ou cirque, de toutes tailles et de tous statuts se sont regroupés afin de faire front commun face à la situation", écrivait-il alors, "ce projet est également né du sentiment d'isolement de nombre de ces responsables, généré par les modifications incessantes de leur cadre de fonctionnement, appliquées sur les territoires dans une consternante cacophonie".
"C'est assez incompréhensible."
De toute évidence, deux mois plus tard, la cacophonie est toujours de mise et ce dernier décret paru la semaine dernière ne la rend que plus "consternante". A Saintes, ce sont 100 des 120 élèves de danse qui n'auront donc plus accès aux parquets du conservatoire. En effet, ce dernier texte réglementaire stipule clairement que "la danse, activité artistique et sportive, ne peut plus être exercée dans les établissements publics recevant du public (...) Par conséquent, à l'exception des cursus professionnalisants, la pratique de danse n'est plus possible, y compris pour les personnes mineures dans le cadre des activités scolaires, périscolaires et extrascolaires". Alors oui, Jean-Nicolas Richard est en colère.
Quand les activités physiques et sportives ont été interdites en lieux clos, les cours de danse avaient été maintenus car la ministre de la culture considérait que la danse était une activité artistique et n’était pas concerné par le décret, ce qui avait été confirmé par les préfectures. Là, le nouveau décret place la danse comme une activité physique et sportive et donc les cours ne peuvent plus avoir lieu en présentiel, sauf pour les élèves qui sont en horaires aménagés, en cycle 3 ou en voie professionnalisante, pour qui on continue de dire que c’est une pratique artistique. On met donc les usagers face à une inégalité de traitement puisqu’en fonction de la filière, de l’âge et du niveau dans lequel ils sont, soit ils font du sport, soit ils font de l’art. C’est assez incompréhensible.
Le collectif, qui regroupe aujourd'hui quelques 120 structures sur le territoire, a donc décidé de s'exprimer par voie de communiqué de presse. Plus que sur le fond, c'est sur la forme que s'insurgent les Jean-Nicolas Richard de l'Hexagone. "Nous avons déjà alerté sur la logistique importante que demande de telles réorganisations pour des établissement comme les nôtres et sur la nécessité de nous donner un minimum de temps pour être opérationnels, mettre en place les aménagements adéquats et nous permettre d'en informer nos usagers dans des conditions acceptables et dignes".
"Le ministère nous promet un protocole sanitaire depuis trois mois, à savoir depuis la reprise du deuxième confinement, mais cela n’a jamais été validé dans les cellules inter-ministérielles, donc on est devenu « préventionnistes », puisque c’est à nous responsables de service et chefs d’établissements de définir un protocole sanitaire alors qu’on n’est pas médecin", explique le directeur de Saintes, "et là, certaines Direction Régionales des Affaires Culturelles n'ont même pas alerté les directeurs de conservatoire sur ce nouveau décret". En colère.
"Il ne me reste plus que les cours en visio"
Mélanie Denis, elle, n'est même plus en colère. Elle est découragée. En 2016, elle réalisait son rêve en ouvrant Ell'Zi Danse, son école à Saintes. Mais, après donc cinq ans d'activité, la pandémie menace l'existence même de l'entreprise. "C’est le couperet en fait", déplore Mélanie à l'annonce du nouveau décret, "on avait pu reprendre un peu en décembre pour les mineurs et là, c’est une interdiction totale pour se caler, je pense, par rapport "aux sports" qui ont dû râler voyant que nous "la danse", côté artistique, on avait le droit et pas eux du côté physique".
Pour tenter de continuer à danser malgré tout, la professeure a donc décidé de s'adapter et de proposer des cours par visioconférence. Une alternative qui n'est forcément pas très réjouissante quand on a fait de la matière corporelle son métier. Pour l'heure, ses élèves restent fidèles et jouent le jeu. Mais combien de temps encore ?
Il ne me reste plus que les cours en visio. Alors, en effet, c’est un autre lien parce que les enfants sont contents, on discute un peu plus mais ça permet surtout de le garder, le lien. Parce que moi, je suis indépendante, en entreprise à mon compte donc j’envisage des nouveautés pour la rentrée. Il faut que mes élèves se réinscrivent pour la rentrée prochaine. Ça fait déjà presque deux saisons où c’est visio, Covid, cours, pas cours, on change les plannings une fois, deux fois, trois fois, et je n’ai eu que très peu d’aide donc je ne peux pas me permettre d’arrêter mes services et de rembourser les élèves. Je ne suis pas dans une salle municipale, je paye mon loyer, je paye les charges, l’Urssaf, la retraite… En ce moment, madame Bachelot ne parle que des festivals. Elle n’a pas eu un mot pour la danse.
Bien conscients des différences de situation dans la vaste sphère de l'enseignement artistique, le collectif de Jean-Nicolas Richard tente justement d'intégrer au maximum les structures privées ou associatives comme celles de Mélanie Denis. Tout le monde n'a pas la même assise financière ni le même statut face aux décideurs politiques. Dans cette crise sans précédent que traverse le monde de la danse, certains risquent de rester sur le carreau.
Une des volontés du collectif, c’est vraiment d’intégrer les structures associatives pour pouvoir partir du terrain et du territoire. En partant du principe qu’il n’y a pas de petites structures, il n’y a pas de petites écoles de danse, il n’y a que des lieux d’enseignements, certes de taille différente mais qui ont tous leur importance et là les structures associatives sont lourdement pénalisées parce que les conservatoires ont quand même des élèves en troisième cycle en horaires aménagés, ont la possibilité d’avoir des dérogations au couvre-feu de 18 heures, les associations elles ont beaucoup moins de souplesse et certaines vont être réellement en danger.
Le collectif réclame donc un peu plus de souplesse au ministère de tutelle et se dit toujours prêt à discuter pour mettre en place un protocole sanitaire qui pourrait permettre une reprise même partielle de leurs activités.
Reportage d'Antoine Morel, Thomas Chapuzot et Philippe Ritaine