Les condamnations sont tombées. Deux décisions définitives du Tribunal administratif de Limoges pointent des carences dans l’organisation de services, préjudiciables à des patients et leur famille, puisque dans les deux cas, il y a eu décès.
Deux décisions récentes du Tribunal Administratif de Limoges retiennent l’attention. Elles sanctionnent dans les deux cas des établissements publics de soins dans la prise en charge de patients, l’un en Haute-Vienne, l’autre en Corrèze, dans le cadre d’un contentieux engagé par leurs familles respectives.
Les deux décès remontent en 2016. Le premier est celui d’un homme de 84 ans au CHU de Limoges, victime d’un arrêt cardiorespiratoire. Son opération pour un pontage aorto-coronarien avait été différée par deux fois, faute de disponibilité et de bloc et d’anesthésistes. Il n’a pu rester en vie jusqu’à la seconde date.
Toujours en 2016. Un homme de 80 ans, hospitalisé au centre hospitalier de Tulle pour l’aggravation d’un syndrome dépressif, décède par suicide.
La responsabilité des hôpitaux publics
Dans le cadre de ses missions de service public, l’hôpital répond des fautes de ses agents et voit sa responsabilité directement engagée en cas de « faute de service ». L’auteur engage sa propre responsabilité s’il y a une faute personnelle détachable du service, en cas d’acte volontaire accompli avec l’intention de nuire, par exemple.
Il existe 4 types de responsabilités :
- la responsabilité administrative et la responsabilité civile, qui visent à obtenir l’indemnisation des préjudices subis. Dans leurs activités de prévention, de diagnostic et de soins, les établissements publics de santé et les personnels relèvent principalement d’une responsabilité administrative. C’est donc l’hôpital qui peut voir sa responsabilité engagée s’il survient un accident médical fautif ou un défaut dans l’organisation ou le fonctionnement du service. Il faut une faute, qui peut être une action volontaire, involontaire ou une omission. Elle peut avoir deux origines, soit une faute « médicale » au sens large (une erreur de diagnostic, une mauvaise exécution de traitement ou de l’intervention…) soit une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service (un manque de coordination dans les services, un défaut d’information ou de surveillance…). Il faut également un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
- la responsabilité disciplinaire peut-elle sanctionner l’auteur d’un manquement à ses obligations professionnelles ou déontologiques
- la responsabilité pénale, enfin, peut être recherchée s’il y a une infraction prévue par le code pénal, le code de la santé publique ou d’autres textes spécifiques. En pratique, la responsabilité pénale des professionnels de santé s’applique le plus souvent à raison :
- d’une infraction non intentionnelle (un homicide ou des blessures involontaires) qui suppose une faute d’imprudence, de négligence ou d’inattention
- d’une mise en danger de la vie d’autrui (un manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité, légale ou réglementaire)
- d’une non-assistance à personne en péril (une abstention volontaire de porter assistance)
- d’une violation du secret professionnel.
Ces différentes responsabilités sont indépendantes et peuvent se cumuler. Un fait peut constituer en effet une faute de service et correspondre à une infraction pénale. Par ailleurs, un manquement aux obligations professionnelles peut être sanctionné même si il n’existe pas d’action en responsabilité administrative ou pénale.
Dans le premier contentieux engagé par la famille du défunt contre le CHU de Limoges, la faute d’organisation du CHU ayant conduit à une prise en charge non conforme a été soulignée.
Dans le second contentieux engagé par la famille du défunt contre le Centre hospitalier de Tulle, le Tribunal administratif de Limoges a pointé l’absence de surveillance de ce patient qui présentait un risque aigu de suicide, en attendant son transfert dans une unité spécialisée. Mais aussi une faute dans l’organisation matérielle du service, puisqu’aucun agent n’avait vérifié l’ouverture des fenêtres de sa chambre, alors même que le risque de suicide était connu chez ce patient.
La responsabilité pour des carences d’organisation pouvant mettre en danger des patients n’est pas nouvelle, elle est source de contentieux depuis des années. En revanche, il faudra savoir si ce contentieux augmente puisque le manque de moyens de l’Hôpital public est dénoncé depuis ces dernières années.
Selon le premier assureur des professionnels de santé, l’année 2020 a été marquée par une activité et un contentieux en baisse à cause de la crise sanitaire et ses deux confinements. Il a été constaté une diminution de 35 % du nombre de décisions de justice et avis des CCI, des commissions de conciliation et d’indemnisation (636 en 2020 contre 983 en 2019). En revanche, les juges se sont montrés plus sévères puisque 72% des décisions se sont terminées par une condamnation, contre 71% en 2019, une sévérité jamais observée à ce taux. Le nombre d’affaires pénales lui reste très faible, 6 seulement en France en 2020 avec 3 condamnations à une peine de prison avec sursis.
Des risques qui s’élèvent avec la diminution constante des moyens
Ce n’est plus une surprise, les moyens en baisse sont régulièrement dénoncés par les instances syndicales et les associations de soins.
A la fin des années 90 et du début des années 2000, la politique de santé a réorienté la gestion de l’hôpital public vers des économies d’échelle. Se sont vus fermés des services entiers dans les hôpitaux périphériques au profit des structures hospitalières régionales. Maternités, blocs opératoires… des postes ont été supprimés. Une restructuration pour diminuer les coûts avec une masse salariale moindre. Des postes perdus d’un côté, surchargés de l’autre.
Les années se suivent et se ressemblent. Les grèves, ponctuelles ou illimitées, se multiplient depuis dans les services, dans les établissements. Des grèves symboliques puisque la continuité des soins est assurée. Mais les représentants des personnes soignants tirent régulièrement la sonnette d’alarme. Ils dénoncent notamment le manque de personnel, rendant impossibles les absences légitimes pour repos, pour jour férié et au contraire imposant un nombre considérable d’heures supplémentaires, par ailleurs non payées.
Un épuisement généralisé, systémique, que la crise sanitaire a accentué et non révélé. Un mal-être qui conduit aussi à des drames internes, comme le suicide de soignants. Les vagues d’émotion se succèdent mais rien ne change. Aucun chiffre officiel n’existe d’ailleurs sur le nombre de suicides de personnel soignant dans le milieu hospitalier, où les risques psycho-sociaux sont sous-évalués.
Seulement ces chiffres d'une enquête menée en mai-juin 2021 par trois organisations, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) et l’Intersyndicale nationale autonome représentative des Internes de médecine générale (Isnar-MG) auprès des personnels étudiants et internes en médecine. Ils étaient déjà 62 % à témoigner de symptômes anxieux en 2017, ils sont désormais 75 % à en faire état. Par ailleurs, 39 % des futurs médecins rapportent des symptômes dépressifs dans les sept jours précédant le questionnaire, soit 12 points de plus que lors de précédentes études souligne l’ISNI.
Des carences de personnels qui provoquent aussi des fermetures de lits.
Il faudrait sortir de cette course à la valorisation de l’acte au profit d’une réflexion plus globale de prévention de la santé
Pour les représentants syndicaux, le mode de fonctionnement actuel créée des inégalités, de fonctionnement et d'accès aux soins, avec des actes de soins qui rapportent beaucoup d’argent dont se saisit le privé, et des actes qui n’en rapportent pas ou moins qui restent au public. Et c'est pour faire face à cette activité moins rentable mais coûteuse que se fonde la politique d'austérité, oubliant les besoins de proximité et la notion de service public.