L’extraction de minerai d’uranium en Limousin a généré 79 millions de tonnes de stériles miniers et 20 millions de tonnes de résidus. Ces déchets radioactifs n’ont pas tous été confinés.
En mars 2014, la famille Jusiak a vécu une aventure dont elle se souviendra très longtemps. Un matin vers 8h30, le téléphone a retenti. Au bout du fil un responsable de la société Areva avertit Sylvie Jusiak qu’elle va devoir abandonner sa maison : “On a été informé le vendredi matin pour partir le soir même vers 18h00. On a été relogés au camping".
Après des reconnaissances aériennes imposées par l’Etat pour détecter les endroits les plus pollués par des radioéléments en Limousin, Areva s’est aperçue que la maison des Jusiak avait été bâtie sur des résidus de traitement de minerai d’uranium extrêmement radioactifs. Construite dans les années 60, cette maison était à la base une station-service.
La famille Jusiak a donc été exposée à des rayonnements importants pendant plusieurs années et elle est toujours suivie médicalement.
Sur le plan santé, l’affaire est toujours en cours avec Areva. On peut passer un scanner tous les ans si on veut.
L’histoire a pris des proportions d’autant plus importantes que Sylvie Jusiak était assistante maternelle et accueillait des enfants dans la maison radioactive. A l’époque, le fils de Jessy Duchillier, président de l’association radon 87, avait 5 ans et dormait ici certaines nuits. Si le père de famille a aujourd’hui tourné la page, il garde un souvenir amer de toute cette période : ”on a eu un rapport qui disait qu’il n’y avait rien de grave, mais qui concluait en disant que si une pathologie était décelée plus tard, il nous faudrait prouver que ça venait de cet évènement-là. On a reçu ça comme un démerdez-vous”.
Nul ne sait comment ces résidus radioactifs sont arrivés sous la maison de Bessines-Sur-Gartempe. Il y a eu deux cas en France. L’autre maison contaminée se situe à Gueugnon, en Saône-et-Loire.
Les stériles
Les stériles miniers sont ces roches faiblement radioactives que l’on a retirées pour atteindre les filons d’uranium lors de la période d’extraction. En 50 ans, 79 millions de tonnes se sont entassées.
Jusqu’en 2002, un arrêté préfectoral a autorisé leur réutilisation comme matériau de remblai. Areva aurait cessé cette pratique dès 1992. On trouve encore beaucoup de stériles sur certains chemins forestiers, dans des cours de fermes ou d’habitations. Ils sont répertoriés par la DREAL.
Grâce à ses reconnaissances aériennes en hélicoptères, Areva les a officiellement tous répertoriés. Au milieu des années 2010, la société d’exploitation minière a procédé au nettoyage de 5 sites, à Bessines, Compreignac et Razès.
La maison des associations de Razès
En 2015, 1200 m³ de stériles miniers ont été retirés des abords de la maison des associations sur la commune de Razès. Puisqu'Areva ne peut pas nettoyer toutes les roches disséminées partout en Limousin, il a fallu faire des choix. La société ne décontamine que lorsque les riverains sont exposés à plus de 0,6 millisieverts par an selon un scénario de fréquentation des sites préétabli :
On utilise les données récoltées sur le terrain. Si je suis sur un chemin, je vais être sur un scénario de 400 heures par an. Je prends la moyenne des valeurs que j’ai mesurée et j’en tire une dose.
Le problème est que cette méthode de calcul est contestée. Pour Bruno Chareyron, directeur du laboratoire scientifique de la CRIIRAD, “La cartographie par hélicoptère qu’a utilisée Areva à l’époque pour identifier les zones radioactives n’est pas suffisamment précise. 2ème point : la manière qu’a imposée Areva aux autorités pour décider si un lieu doit être assaini ou pas, consiste à calculer la dose dans un état d’usage du site aujourd’hui. L’uranium est radioactif pendant des milliards d’années. Qui vous dit que ces matériaux ne vont pas être réutilisés beaucoup plus tard”.
Antoine Gatet, juriste pour l’association “Sources et Rivières du Limousin surenchéri : “C’est le responsable de la pollution qui décide tout seul et qui dit à quelle dose va faire quelque chose. Et l’administration est priée de valider le truc. Il reste des valeurs qui ne sont pas normales sur le site. Et on ne traitera sans doute jamais parce qu’on considère qu’il est dépollué.”
A 50 mètres de la maison des associations de Razès, le compteur de radioactivité de Bruno Chareyron crépite. La route communale qui passe à cet endroit n’a pas été assainie. Le maire du village est étonné, car aucun stérile n’est mentionné ici par les documents officiels qui lui ont été fournis par l’administration : “Je ne dis pas qu’il ne faut pas traiter. Je n’en sais rien. Je ne suis pas un technicien, je suis un élu. On me propose un document validé par la DREAL, le ministère, l’administration et plein de gens. Peut-être pas par les associations. Dans tous les cas aujourd'hui, je suis obligé de faire confiance à l'administration”.
Jean Marc Legay termine cependant avec cette remarque lucide : “On est à un quart d’heure de Limoges. On devrait être submergés par les demandes de permis de construire et on ne l’est pas. On est à 3 minutes du lac de Saint-Pardoux, avec une piscine ouverte toute l’année, on devrait cartonner, et on ne cartonne pas”.
Pour revoir le magazine Enquête de région en partie consacré au passif minier lié à l'extraction d'uranium en Limousin :