Témoignage. Le SOS d'une maman d'un adolescent handicapé et violent : "j'ai l'impression d'être au bord d'une falaise"

Publié le Écrit par Gentiane Goubet
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Nicole Bouscary élève son fils Christophe, handicapé psychomoteur et autiste, de 17 ans et demi. Aucun établissement ne peut le prendre à temps plein. Alors que ses crises de violence se font de plus en plus fréquentes, elle raconte son épuisement et son impuissance.

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C'est le cri de détresse d'une maman, "épuisée" par sa situation, démunie face à la prise en charge chaotique de son fils. Habitante de Saint-Nicolas-de-la-Balerme, dans le Lot-et-Garonne, Nicole Bouscary a deux enfants. L'un d'eux, Christophe, 17 ans et demi, est atteint d'une maladie génétique : un morceau de l'un de ses chromosomes 22 est manquant, ce qui entraîne chez l'adolescent des troubles psychomoteurs et un retard de langage. L'année dernière, Christophe a aussi été diagnostiqué porteur de TSA (troubles du spectre de l'autisme).

"Ça fait deux ans et demi que mon fils est vraiment violent"

Lourdement handicapé, l'adolescent a toujours dû être pris en charge par des structures adaptées à ses pathologies, comme des instituts médico-éducatifs (IME). Mais en grandissant, ses troubles se sont aggravés. "Ça fait deux ans et demi que mon fils est vraiment violent, pose Nicole. Il rentre en crise, essaye de nous taper, de mordre, de tout jeter autour de lui. On a sorti tous les bibelots et les pots de fleurs de la maison. On a aussi fini par visser tous les meubles aux murs, sinon il arrache tout."

De longs trajets nocturnes en voiture

Depuis février 2023, l'état physique et psychique du jeune homme s'est fortement dégradé. À l'IME de Lapeyre, à Layrac, où il est pris en charge en semaine, les agressions contre les autres pensionnaires et le personnel deviennent de plus en plus fréquentes. "Une salariée a fini avec un œil au beurre noir, la responsable éducatrice de l'institut est en arrêt de travail parce qu'il l'a tellement tapée qu'il lui a retourné le pouce", égrène Nicole, le cœur lourd.

La maman, qui le prend en charge tous les week-ends, subit, elle aussi, continuellement les violences de son fils handicapé. "Il m'agresse moi, ma mère qui est là pour m'aider, son frère... ça impacte tout le monde. Toutes les nuits, vers 3 h ou 4 h du matin, il se réveille, et il faut que je l'emmène rouler en voiture. Parce que c'est l'endroit où il est le plus calme possible... Alors je roule."

Je reçois quand même des coups dans la voiture, mais si je ne l'emmène pas, il me démonte la maison.

Nicole Bouscary

Maman de Christophe, adolescent handicapé

"Comme il ne parle pas, on ne peut pas savoir ce qu'il a, se désole Nicole. On a fait tous les tests possibles, mais on n'a aucune idée de ce qui déclenche les crises, donc on ne sait pas comment le calmer." Même le personnel de l'institut médico-éducatif est dépassé lors des crises de l'adolescent.

Une pathologie jugée trop complexe

Le 14 novembre, Christophe rentre dans une crise très violente. Personne n'arrive à le canaliser, les pompiers et le Samu doivent finalement intervenir. Nicole demande que son fils, ingérable, soit admis à la Candélie. Ce centre hospitalier départemental accueille des personnes présentant des troubles de la santé mentale, et Christophe y a déjà été admis plusieurs fois.

"Le médecin du Samu a contacté le pôle orientation psychiatrique de la Candélie, car il n'y avait plus de place au pôle adolescent, où Christophe va d'habitude", explique Elise Loriot. Cette éducatrice spécialisée suit Christophe et sa maman depuis février 2022, et avait été, elle aussi, appelée en renfort ce jour-là.

"Et là, la personne chargée de l'orientation refuse l’accueil de Christophe, sous prétexte que son cas est trop complexe, continue l'éducatrice. En fait, ils estiment que sa pathologie ne relève pas de la psychiatrie, donc qu'il n'est pas de leur ressort. Parce qu'il a une maladie génétique, et qu'il ne rentre pas dans les cases d'enfants présentant des problèmes de type pulsions suicidaires ou troubles alimentaires."

Certes, son cas est complexe, et ne relève pas seulement de la psychiatrie. Mais alors, qu'est-ce qu'on fait de lui ?

Elise Loriot

Educatrice qui suit Christophe depuis deux ans

"Finalement, le Samu l'a pris et l'a amené à l'hôpital quand même, ils leur ont forcé la main", relate Elise Loriot.

"Je ne vois aucune fin"

Ce problème de prise en charge s'est accentué au cours des derniers mois. Pour l'instant accueilli dans un IME, du lundi matin au vendredi midi, Christophe aurait besoin d'un accompagnement sept jours sur sept, 24 h sur 24. Car le week-end, c'est sa mère qui doit le gérer, et elle n'y arrive plus. "Je ne sais plus quoi faire. Ça fait huit mois que je suis en arrêt de travail parce que je suis en dépression, je n'ai plus aucune vie sociale ni professionnelle, et je ne vois aucune fin. J'ai l'impression d'être au bord d'une falaise", confie la maman, la gorge serrée. Une situation qui inquiète dans son entourage.  "On parle d'une personne qui m'a verbalisé qu’elle voulait se foutre en l’air avec son fils, tellement ça ne va pas", s'alarme Elise Loriot.

Elle m’avait tout montré : le lieu, le scénario, les médicaments qu'elle allait utiliser.

Elise Loriot

Educatrice qui suit Christophe depuis deux ans

Problème : chacun se renvoie la responsabilité de l'accueil de Christophe, "c'est un cas tellement compliqué". Et dans les structures prêtes à accueillir un profil comme le sien, comme la Maison d'accueil spécialisé (Mas) de Séguran, on n'a simplement pas la place. Par manque de moyens, et de personnel.

"C'est toute la problématique de l'accueil spécialisé en France, il y a des centaines de places qui manquent, déplore l'éducatrice. Même si la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH), l'Aide sociale à l'enfance (ASE), l'Agence régionale de santé (ARS) ont débloqué beaucoup de fonds pour nous, tant qu'on ne crée pas de place, on ne pourra pas trouver de solution pérenne !"

Attendre un mort pour avoir une place

La tendance est en effet plus aux lits supprimés qu'à ceux créés. "Et puis, une fois qu'une personne rentre dans une Mas, c'est pour toute la vie. L'espérance de vie des personnes handicapées a beaucoup augmenté, donc forcément, ça coince... assène Elise Loriot. On est dans une situation où on est obligés d'attendre qu'il y ait un mort pour qu'une place se libère ! C'est absolument scandaleux."

De son côté, l'ARS de Nouvelle-Aquitaine assure suivre la situation de Nicole et Christophe de très près, et faire son possible pour mettre en place des solutions adaptées. "On finance déjà l'IME pour que cet enfant ait des éducateurs spécialisés en plus. Le dossier est suivi de près par mes services, on est loin de se désintéresser de ce genre de situations", promet Joris Jonon, directeur de la délégation départementale du Lot-et-Garonne.

On fait avec l'offre qui est installée sur le territoire, et les moyens qu'on a.

Joris Jonon

directeur de la délégation départementale de l'ARS en Lot-et-Garonne

"Bien évidemment, j'entends l'émotion et les difficultés de cette maman, mais il faut rappeler qu'on prend des mesures de nature à répondre au moins à une partie du besoin", continue le directeur. Une solution à court terme est en effet envisagée "avant la fin de l'année" : que Christophe soit pris en charge à la Mas de Séguran de façon temporaire. Il y serait accueilli les vendredis, samedis et dimanches en journée, en plus de l'accueil à l'IME en semaine, pour soulager un peu plus Nicole - même si la maman garderait la responsabilité de son fils les nuits, là où il risque d'être de nouveau violent.

"On a aussi identifié cet enfant comme prioritaire dans les admissions à la Mas, précise Joris Jonon. Ainsi, dès qu'une place se libérera, il pourra être accueilli conformément à ses besoins et intégré définitivement dans cette structure." Pour l'instant, il n'est pas envisagé d'ouvrir une place supplémentaire pour accueillir Christophe plus vite.

"Se battre pour tous les autres Christophe"

"Ça me soulagerait un peu, mais c'est encore une solution partielle, regrette Nicole Bouscary. Ce que j'aimerais, c'est qu’il rentre dans une structure à temps plein, et que je puisse aller le voir en sécurité". 

Je ne veux surtout pas abandonner mon fils ! Je veux simplement qu’on arrive à sécuriser tout le monde, parce que Christophe est un danger pour lui et les autres.

 Nicole Bouscary

maman de Christophe, adolescent handicapé

Et la maman de se demander : "Est-ce qu'on attend qu'il y ait un drame pour agir ?" Jeudi 23 novembre, Christophe refait une énième crise. "Le Samu, la Candélie, même les gendarmes ont refusé d'intervenir", se désespère Nicole. Le 24, après un nouveau "forcing" auprès du centre hospitalier, une place est trouvée en catastrophe dans le pavillon adulte, pour qu'il y soit pris en charge.

"Se battre pour tous les autres Christophe"

Éducatrice spécialisée depuis 16 ans, Elise Loriot constate depuis plusieurs années les dégradations des prises en charge médico-sociales. "Depuis le Covid, les conditions sont devenues mauvaises. C'est le même constat partout, malgré les besoins, on n'a assez de place nulle part. Les équipes sont épuisées, on n'a plus les moyens d’accompagner correctement les gens, malgré toute la dévotion qu’on peut mettre", dénonce celle qui dit "se battre pour cet enfant, mais aussi pour tous les autres Christophe en France".

Le problème de Christophe et Nicole n'est pas un cas isolé. "Des familles comme eux, il y en a des centaines de milliers en France ! s'exclame l'éducatrice. Nous, sur le papier, la situation va peut-être s'améliorer, la maman est bien accompagnée. Mais combien y a-t-il de familles qui sont encore plus seules, encore plus désespérées ?" Un cri de détresse, pour tenter de faire prendre conscience aux pouvoirs publics l'urgence de la situation.

Mise à jour le 29/11 : Cinq jours après la publication de l'article, Christophe et Nicole ont obtenu l'admission quotidienne et définitive du garçon à la Mas de Séguran, à partir du samedi 2 décembre. Une place se serait libérée dans l'établissement. "Je suis très soulagée de cette décision, s'émeut la maman, même si je ne réalise pas encore."

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