Il a semé 900 tonnes de graines enrobées d'insecticides dans ses champs entre 1999 et 2002. Des produits, alors déclassés, extrêmement nuisibles aux abeilles. Il comparaissait hier devant le tribunal correctionnel de Paris. Le semencier suisse, le géant de l'agrochimie Syngeta, était lui absent.
"Je le faisais en totale confiance, j'aurais pas dû" a reconnu le prévenu devant les juges.
Ce sont des syndicats et des associations apicoles qui avaient porté plainte contre ses pratiques en 2003, alertés par un apiculteur de Verteuil-d'Agenais.
L'agriculteur procédait à un épandage massif de stocks de semences périmées ou déclarés non conformes, enrobées de produits chimiques.
Une fois que les graines commençaient à germer, la terre était alors retournée pour faire de l'engrais "vert". Mais pas si vert finalement, puisque cette méthode a conduit à répandre des produits chimiques "dans des quantités bien supérieures" à celles prévues dans les autorisations de mise sur le marché.
Fin 2011, à la fin de l'instruction, l'agriculteur et l'industriel Syngenta sont renvoyés devant le tribunal pour abandon de déchet dangereux.
Mais cinq jours plus tard la société Syngenta Seeds Holding est dissoute. Elle est absorbée par une autre, Syngenta Holding France.
Une manoeuvre jugée frauduleuse par le parquet qui soupçonne Syngeta de vouloir échapper aux poursuites. Le tribunal de commerce annule alors cette dissolution, mais la cour d'appel de Versailles revient sur cette décision en Janvier 2016. La société suisse ne peut donc plus être poursuivie.
Syngeta se justifie en expliquant une "restructuration mondiale" lors de laquelle "40 autres filiales du groupe ont été liquidées ou absorbées".
Au tribunal mercredi, la procureur a déploré chez Syngenta une "certaine légèreté, inadmissible pour un groupe de cette envergure".
Et si la filiale poursuivie a disparu "dans des circonstances qui restent quand même troublantes et qui continuent à interpeller le ministère public", la procureur estime que les juges n'ont d'autre choix que de constater l'extinction des poursuites.
L'avocat de syndicats d'apiculteurs parties civiles, Me Bernard Fau, a quand même demandé un supplément d'information pour "entendre la société absorbante et la mettre en examen", espérant pouvoir mettre en cause la société mère malgré tout. Et il a invité les juges à statuer eux-mêmes "sur le caractère frauduleux" de cette dissolution.
Quant à l'agriculteur, il est "dépassé" selon son avocate par cette affaire "qui lui colle aux bottes" depuis près de 15 ans, depuis qu'il a épandu, entre 1999 et 2002, au total 922 tonnes de ces semences enrobées de Gaucho et de Régent.
Le parquet, dénonçant "légèreté" et "négligence", a requis contre lui 10.000 euros d'amende avec sursis.
Pour son avocate, "toute la charge de cette affaire" repose sur les épaules de son client "qui sont loin d'être aussi solides que celles de Syngenta". Un "petit agriculteur", dit-elle, qui a fait une "confiance totale et aveugle" au "numéro 3 mondial de la semence".
Insistant sur la "bonne foi" de son client, l'avocate plaide la relaxe, ou à défaut la dispense de peine, pour celui qui dans son village restera perçu comme "le mauvais agriculteur qui tue les abeilles".
Aucune mortalité d'abeilles n'avait toutefois été à déplorer : par précaution, l'apiculteur voisin avait pris le soin de déplacer ses quelque 300 ruches qui se trouvaient à proximité.
Le jugement sera rendu le 14 décembre.