Agri'écoutes, la permanence de prévention du suicide chez les agriculteurs, a enregistré au premier 2016 une explosion des appels. Solitude, manque de reconnaissance de leur travail, détresse économique... Les agriculteurs craquent.
Appels au secours, explosion des demandes de primes d'activité : la sinistrose s'étend chaque semaine un peu plus dans le monde paysan, selon la MSA,
la sécurité sociale des agriculteurs, qui tente d'apporter des solutions à un secteur " résigné " face à une crise persistante.
Au premier semestre, la permanence de prévention du suicide chez les agriculteurs Agri'écoutes a reçu 1.700 appels, soit une moyenne de 285 appels par mois contre une centaine par mois sur la même période, un an plus tôt.
Ce quasi-triplement est toutefois relativisé par la Mutualité sociale agricole (MSA), qui rappelle notamment que ce dispositif lancé en octobre 2014 n'a commencé à être connu qu'à compter des mois de mars/avril 2015.
Sentiment d'inutilité
Néanmoins, le nombre d'agriculteurs en détresse ne cesse de croître et leurs interrogations face à la situation économique du secteur prennent une tournure presque existentielle.
" Il y a une interrogation dans les campagnes sur le sens de notre métier : on est là pour faire quoi ? ", a déclaré Pascal Cormery, président de la MSA
lors d'une conférence de presse mardi, allant jusqu'à évoquer une " résignation complète " des membres de la corporation.
" Beaucoup de mes collègues me disent : Est-ce qu'on a vraiment besoin de nous ? Est-ce qu'on sert vraiment à nourrir la population ?", ajoute Pascal Cormery.
Précarité croisssante
Autre signe de la précarité croissante dans le monde paysan, l'explosion de la demande de primes d'activité, le nouveau dispositif pour les travailleurs à revenu modeste qui a remplacé le RSA activité : alors que la MSA attendait 60.000 demandes pour l'ensemble de 2016, elle en est déjà à 200.000 depuis le début de l'année.
Elles concernent pour un tiers les chefs d'exploitation, et pour deux tiers les salariés agricoles.
L'explosion des demandes s'explique assez facilement : en 2015, 30% des agriculteurs imposés au régime réel ont eu des revenus équivalents à 354 euros par mois. En 2014, ils étaient 18% dans cette situation, relève la MSA, inquiète de l'évolution pour 2016, alors que les chiffres concernant les récoltes de l'année n'en finissent pas de dégringoler.
900 travailleurs sociaux
La crise conjoncturelle et structurelle de l'agriculture touche tous les secteurs, surtout les exploitants laitiers et les éleveurs bovins. Mais cette année, les
céréaliers ont aussi vu fondre la production de blé tendre de 32% en raison de la mauvaise météo.
Si, au départ, c'était surtout les exploitants qui appelaient pour se confier, la MSA note que ce sont désormais le plus souvent les épouses qui contactent Agri'écoutes, " par rapport au désarroi de leur mari ".
" Les hommes ont sans doute plus de pudeur, ou de fierté. Il est très difficile de s'avouer qu'on est en échec professionnel ", explique Michel Brault, directeur général de la MSA.
" Lorsqu'il n'y a plus de revenus qui rentrent, un fort endettement, l'homme n'ose plus appeler. Il se réfugie dans le travail, ne s'occupe plus des papiers, des échéances, c'est le conjoint qui est confronté à cela ", ajoute-t-il.
" L'enjeu pour nous, c'est de passer d'une cellule d'écoute anonyme à la prise de contact directe pour pouvoir accompagner " l'agriculteur, souligne Michel Brault.
Un suicide tous les deux jours
Le défi est énorme. Selon des chiffres publiés la semaine passée par Santé Publique France et la MSA, près de 300 agriculteurs se sont suicidés
en 2010 et 2011, sur une population de 480.000 personnes. Avec une surmortalité particulièrement marquée chez les éleveurs bovins (lait et viande) âgés de 45 à 54 ans.
Pour y répondre, le directeur général de la MSA compte sur ses 900 travailleurs sociaux présents sur tout le territoire mais s'inquiète des " départs en retraite " en affichant la crainte " qu'ils ne soient pas remplacés ".
Concernant le dispositif de remplacement gratuit mis en place par le gouvernement pour permettre aux exploitants de souffler, Michel Brault affirme qu' "assez peu d'agriculteurs ont demandé à en bénéficier " : " L'agriculteur ne ressent pas le besoin de partir en vacances, pour lui, c'est un sentiment de fuite devant ses problèmes. "