Trois personnes sont parties sur le terrain avant l’envoi d’une mission complète. Elles ont pu observer la situation et les besoins à la frontière roumaine et polonaise. Des moyens en télécommunication vont donc pouvoir être acheminés depuis Pau, où est basée l’ONG internationale.
"Hier j’étais sur le terrain en évaluation à un checkpoint, explique Sébastien Latouille, aujourd’hui je travaille en ville sur la logistique". "J’essaie de trouver un peu de matériel, un appartement pour moi mais aussi pour TSF sur le long terme ". Le responsable de la zone Europe de Télécoms Sans Frontières est en Pologne depuis une semaine.
Arrivé par l’aéroport de Cracovie, il est désormais basé à Rzeszow (voir la carte ci-dessous) tout près de la frontière ukrainienne, à quelques kilomètres de deux checkpoints, où affluent les réfugiés. Medyka et Korzowa, deux points de passage que le représentant de TSF observe avec attention. Car la mission première de TSF va être de venir en aide aux réfugiés en leur fournissant des moyens de communication dans les centres d’accueil. « On essaie apporter soutien aux réfugiés dans les zones limitrophes et après on verra en Ukraine », confirme Monique Lanne-Petit, la directrice de TSF.
Evaluer les besoins…. Et les risques
Comme Sébastien Latouille, ils sont trois sur le terrain à jouer le rôle d’éclaireurs pour les équipes paloises. Depuis plusieurs jours, ils sillonnent les zones frontalières de l’Ukraine pour observer les flux de population et évaluer les besoins. Car les réfugiés n’ont pas le même profil aujourd’hui qu’il y a une semaine. Ils sont nettement plus nombreux aussi.
« Au début ils étaient 50 000 par jour », relate Sebastien Latouille, "aujourd’hui on est plus à 150 000 par jour. La situation a beaucoup évolué. C’est ce qui fait qu’on n’a pas encore pu intervenir là où cela faisait sens. Au début, ceux qui fuyaient étaient ceux qui avaient les moyens de partir. Ceux-là ne passaient pas par des centres d’accueil.
Aujourd’hui ce sont des populations qui ont besoin d’aide et qui fuient réellement les combats.
Sébastien Latouille
Aller en Ukraine fait partie des objectifs de l’ONG. « Si des corridors humanitaires sont mis en place, on envisagera d’intervenir auprès des populations », dit Monique Lanne-Petit. "Mais la priorité n’est pas là pour l’instant". "C’est compliqué, tant en termes de logistique que de sécurité pour nos équipes, mais aussi pour les personnes qui vont utiliser nos équipements ", avertit Sébastien Latouille.
Utiliser du satellite ou de l’internet en zone de guerre est sensible.
Sebastien Latouille
"Avec Internet, on est noyé dans la masse mais repérable facilement, poursuit le spécialiste. Avec le satellite, on n’identifie pas facilement qui se connecte, mais on est localisable".
Selon lui, il existe néanmoins des techniques pour réduire les risques.
Envoi de matériel et recrutement
L’objectif des équipes de TSF est clairement de permettre aux réfugiés de pouvoir communiquer et obtenir les informations dont ils ont besoin. C’est-à-dire qu’ils doivent pouvoir téléphoner à leur famille restée en Ukraine et à ceux susceptibles de les héberger dans un autre pays.
« On va voir l’état réseau , explique Sébastien Latouille, si la 4G et les réseaux conventionnels fonctionnent, on peut fournir de la connexion wifi. Sinon, TSF amène des « solutions satellites » pour fournir un accès à internet même s’il n’y pas de réseau fonctionnel dans la zone. » Le représentant de TSF croise essentiellement des femmes et des enfants. Téléphoner à leur mari et père resté en Ukraine est essentiel.
Par ailleurs, les populations déplacées ont besoin de savoir comment continuer leur périple. C’est-à-dire quels sont leurs droits ? Quelles routes emprunter ? Autant d’informations nécessaires à leur exode.
Fournir un accès à l’information est un objectif très important, pour savoir où aller.
Sébastien Latouille.
Ces informations sont alors collectées auprès de l'ONU et d’ONG locales et internationales. Elles sont ensuite diffusées sur des télévisions connectées installées dans les centres d’accueil. Ce procédé est déjà utilisé par TSF au Mexique, sur un couloir emprunté par les migrants.
« On devrait pouvoir mettre en place des installations en fin de semaine ou début de semaine prochaine en Pologne avec les moyens trouvés sur place grâce à des partenaires », espère Sabastien Latouille. « Et la semaine prochaine, on va avoir du renfort de Pau. La zone limitrophe avec la Roumanie est, elle, toujours dans la phase d’observation ».
« On planifie la mission, car il faut négocier avec les gouvernements des pays limitrophes », précise Monique Lanne-Petit. Des moyens techniques et humains sont aussi sollicités sur place. TSF a fait paraître sur les réseaux sociaux une annonce de recrutement pour un poste de coordinateur de projet. Elle est notamment consultable sur LinkedIn.
« La crise va durer »
Télécoms Sans Frontières est la première ONG des technologies d’urgence. Créée en 1998, elle intervient aussi bien lors de catastrophes naturelles que lors de conflits armés. Elle s’est ainsi illustrée aussi bien lors du tremblement de terre en Haïti en 2010 que lors du conflit en Syrie où elle est toujours présente aujourd’hui.
"Ici, cela change des catastrophes naturelles, poursuit Sébastien Latouille. On est obligé de réfléchir beaucoup à la sécurité de nos équipes et de nos bénéficiaires. C’est aussi pour cela que les opérations humanitaires sont plus lentes à réagir que sur une catastrophe naturelle".
Les besoins sont moins évidents et on doit prendre toutes les précautions ».
Sébastien Latouille
La directrice de TSF confirme. « Pour les catastrophes naturelles on peut aller au cœur de la crise. Mais là, la préparation et l’intervention sont différentes ».
À 34 ans, Sébastien Latouille a une expérience extrêmement riche. Il travaille pour TSF depuis 2008. Il a été basé pendant 9 ans en Thaïlande où il était le représentant de TSF pour la région. Il est ainsi notamment intervenu lors du typhon Haiyan aux Philippines en 2013 et au Népal en 2015 lors d’un séisme. Il a aussi travaillé au Pakistan, en Lybie, en Irak et en Syrie.
La grosse différence lorsqu'on est sur un conflit, c’est qu’on s’inscrit sur le long terme.
Sébastien Latouille
« C’est une crise qui va durer. En général, on reste 4 à 6 semaines. Pour un conflit, notre action s’étale sur plus années et il faut préparer cela ». C’est ce à quoi travaille Monique Lanne-Petit depuis les bureaux palois de l’ONG.
Elle négocie avec les gouvernements locaux, dialogue avec les organismes humanitaires aussi. " On négocie avec la Pologne et la Roumanie dit-elle. On est en relation avec les agents de l'ONU et autres agences humanitaires pour pouvoir mettre en place nos installations. C’est cela qui se joue aujourd’hui. Cela, mais aussi la quête de fonds. On est sur un type de déploiement spécifique qui s’inscrit à plus long terme et donc avec des budgets différents, avec une collecte de fonds différente. On va envoyer plus de monde et plus longtemps, donc cela va coûter plus cher".
Nous pouvons intervenir sur des fonds propres grâce à nos partenaires, mais là forcement il va falloir collecte de fonds supplémentaire.
Monique Lanne-Petit, directrice TSF
Une crise plus longue mais aussi plus proche de nous. « C’est ça qui change », conclut Sébastien Latouille. « C’est très proche de chez moi, de l’Europe… Cela fait un peu peur, c’est cela la différence. On est habitué à intervenir en Syrie et en Irak où il s’agit d’actions populaires puis terroristes. Là c’est autre chose. C’est difficile à comprendre ». Sébastien Latouille fait partie des 15 salariés permanents de Télécoms Sans Frontières.