D'anciens élèves du prestigieux établissement Notre Dame de Betharram, en Béarn, veulent raconter les violences subies pendant leur scolarité, dans les années 80. Ils se retrouvent sur Facebook pour libérer leur parole et témoigner de leurs vies brisées par les sévices infligés dans l'établissement.
Scolarisé à Betharram dès ses sept ans, Marc* (le prénom a été changé) ne se souvient que trop bien du quotidien dans le prestigieux établissement béarnais. Élève dans les années 80, il intègre tout de suite les règles de l’internat. " Une douche par semaine, froide. Des nuits en shorts, en sandales par 0 degré, des nuits entières. On nous arrachait les cheveux quand on n'avait pas la moyenne " raconte-t-il. " 1/2 heure pour 40 élèves pour se laver/ faire son lit au carré et plier son linge sale. Les douches étaient chronométrées : 1 min sous l’eau et 1 min pour se sécher".
Gaucher et dyslexique, il raconte être systématiquement relégué au dernier rang de la classe et objet de sévices supplémentaires. "Vous êtes considéré comme trisomique. Vous êtes au fond de la classe, vous ne comprenez rien."
Selon Marc, les sévices étaient quotidiens pour l’ensemble des élèves, au nombre de 2 000 à l’époque. "Ceux qui surveillaient étaient les élèves de 1ère et 2ᵈᵉ", raconte-t-il.
"Ma mémoire me joue des tours"
Mais plus encore, l'ancien élève assure avoir subi des abus sexuels. Marc décrit toujours la même méthode pour tous les enfants victimes : "Quand vous étiez puni, que vous alliez dehors, que la punition était nominative, un surveillant vous appelait et vous passiez dans son bureau". Ce surveillant, toujours en vie, est mis en cause par d’autres élèves, qui pour l’instant n’ont pas encore porté plainte sachant les faits prescrits.
L'établissement privé, catholique et réputé, situé à 30 minutes de Pau et créé en 1853, a déjà fait les frais d'une médiatisation. Dans les années 90, des faits de violence y sont exposés et le scandale secoue le Béarn. Le fils de François Bayrou, alors ministre de l'Education nationale, y est scolarisé. Les hommes politiques locaux ont vent de ce qui se passe dans l’établissement et refusent de le passer sous silence : "Douste Blazy et Bayrou ont fait exploser les affaires de sévices, mais ce n'est pas tout. Ce sont des petits bouts qui arrivent à chaque fois.", estime Marc.
"Tous les gens à qui vous en parlez ne vous croient pas"
Ces sévices sexuels dont il se dit victime, Marc reconnaît qu'il lui est très difficile d'en parler. "Les gens ne vous croient pas. Pour eux, c’est de la science-fiction". Et pour cause : ses propres parents ne l’ont jamais entendu. Il assure ne pas être un cas isolé.
J’ai des copains qui ne s'en sont pas sortis, d’autres qui se sont suicidés et d’autres qui ne veulent pas en entendre parler.
Marcancien élève de Notre Dame de Betharram
Aujourd’hui, Marc se sent plus fort et souhaite désormais écrire et raconter son histoire, par "devoir de mémoire" .
"J’entendais leur témoignage, j’en pleurais"
Externe de l’institution dans les années 80 dès son entrée en 8ᵉ (CM1), Alain Despoutère se souvient de la gorge serrée et le ventre noué qui reviennent, chaque matin, en prenant son vélo pour rejoindre l'école. "Tout de suite, j’ai compris que j’allais vers quelque chose qui n’était pas normal", raconte-t-il qualifiant le climat régnant alors de " terreur extraordinaire".
Des années après, il décide de collecter des témoignages pour aider ces enfants brisés. En octobre 2023, il monte un nouveau groupe privé Facebook intitulé Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l'institution.
J’ai eu une dizaine de témoignages en très peu de temps. Des personnes qui sont encore en psychothérapie à l’âge de 50 ans passés. J’entendais leur témoignage, j’en pleurais.
Alain DespoutèreCréateur du groupe privé Facebook "Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l'institution"
"Collecter ces témoignages, c’est un peu une revanche"
"Si je raconte ce qui s’est passé à Betharram, les gens ne me croient pas", reprend Alain. Il relie son besoin de récolter ces témoignages au fait que plusieurs anciens élèves se sont donné la mort entre-temps. Il déplore que tous se soient tenus au silence. "Malheureusement, les réseaux sociaux n’existaient pas".
On avait un authentique goulag dans les Pyrénées et il était protégé
Alain DespoutèreCréateur du groupe privé Facebook "Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l'institution
"Collecter ces témoignages, c’est un peu une revanche. Ces gens ont bousillé mon temps scolaire. Pendant six ans, je suis allé à l'école en reculant", se souvient-il. Il souhaite désormais que les langues se délient.
"C’est important de donner des noms des gens qui n’ont pas été corrects. Leur place est sous les verrous", insiste-t-il. La majorité des personnes mises en cause est aujourd'hui décédée. Pour les autres, la prescription pour ces faits, qui remontent aux années 80, est désormais active.
"Le seul idiot de la terre à avoir voulu aller à Bétharram"
Parmi les témoins de cette époque honnie, Pascal Gélie. Il a 14 ans quand il quitte l'univers feutré d'un collège bordelais pour suivre un camarade envoyé à Bétharram. Un ami turbulent, aux mauvaises notes et qu'il faut mater. Pascal, lui, n'est rien de tout ça, il n'a "pas le profil" il est juste "le seul idiot de la terre à avoir voulu aller à Bétharram", commente-t-il. Le souvenir reste vif. Pascal assiste aux punitions collectives dans son dortoir de 40 élèves. "Une fois, on est resté au pied du lit trois heures. L’un de nous est tombé dans les pommes et personne n’a bronché", décrit-il, évoquant une "violence institutionnalisée" et une "ambiance de milieu carcéral".
Il entend aussi parler des agissements du père Silviet Carricart, qui s'est donné la mort, après avoir été soupçonné d'avoir abusé d'un jeune élève de 10 ans en 1988.
Betharram était un repère idéal pour les pédophiles, il y avait de quoi consommer sur place dans un endroit isolé.
Pascal GélieAncien élève de Notre Dame de Bétharram
Aujourd'hui, Pascal cherche à aider Alain Despoutère dans son travail de recueil de témoignages. "Ce que j’aimerais, c'est que ceux qui ont été victimes puissent tourner la page : dire, être compris et entendus", dit-il.
L'Église a pris "la juste mesure" des abus qui ont pu intervenir
Sur sa propre page Facebook, Marc a publié une lettre écrite un an plus tôt par le père Laurent Bacho, adressée à un autre ancien élève. Dans ce courrier, le vicaire régional, responsable actuel de l'institution, explique avoir été informé d'une plainte pour abus sexuel à l'encontre d'un ancien directeur de l'école, et présente ses excuses.
"Je viens vers vous, avec beaucoup de honte et d'humilité, vous exprimer toutes mes excuses pour ces actes qui ont été commis à l'encontre de ce que l'on peut attendre dans un établissement scolaire", écrit le père Bacho.
Le père Laurent Bacho, a participé, avec la victime à laquelle il s'adresse à la commission indépendante "Reconnaissance et réparation" instaurée par l'Eglise catholique pour faire acte de contrition dans le cadre de ses affaires d'abus physiques et sexuels. Contacté par la rédaction de France 3 Aquitaine, il a accepté de revenir, par un mail qu'il nous a adressé, sur cette prise de conscience.
"En tant que congrégation, nous avons entrepris tout un travail de réflexion, de reconnaissance et de réparation à travers cette commission à laquelle notre congrégation de Bétharram a adhéré avec beaucoup de sérieux depuis sa création il y a deux ans", écrit le vicaire.
L'Eglise a pris la juste mesure des abus qui ont pu intervenir dans les paroisses et les établissements scolaires.
Père Laurent Bachovicaire régional des Prêtres du Sacré-Coeur de Jésus de Bétharram
C'est à la suite de cette rencontre, qu'il a rédigé ce courrier qu'il aurait souhaité confidentiel. "Vous admettrez bien que ces sujets si douloureux nécessitent de la confidentialité pour un bon discernement", commente-t-il. Avant de spécifier "Il nous faut tous accepter ces procédures pour le bien de ceux qui ont souffert et qui continuent à souffrir."