Afin de prévenir toute situation de maltraitance envers les personnes âgées, les Ehpad sont régulièrement contrôlés. Une mission que se partagent les départements et les ARS. Mais sur le terrain, le système entraîne de nombreuses difficultés. Ce que dénonce Valérie Dauge, vice-présidente de la Vienne en charge des personnes âgées.
"C’est hyper violent de voir ça dans la presse !" Suite aux accusations sur les dysfonctionnements de son établissement dans la Nouvelle République, Sylvain Fourgeaud, le directeur de l’Ehpad de la Pierre-Meulière à Vouneuil-sur-Vienne, réfute tout manquement de la part de son équipe. L’épisode a fortement bouleversé le personnel comme les résidents.
À l’origine, une ancienne aide-soignante de l’établissement alerte l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine sur les conditions de vie des résidents, pointant notamment une "propreté douteuse". C’est alors que l’ARS se saisit du dossier, conjointement au département de la Vienne, afin de programmer une inspection. Problème : seul le département s’est déplacé pour vérifier ce qu’avançait l’ancienne aide-soignante. "L’ARS a simplement été aux abonnés absents", dénonce Valérie Dauge, 1ère vice-présidente du département de la Vienne, en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.
La visite aurait "été reportée plusieurs fois, l’agent étant cas contact, puis positif au Covid", comme l’avance la Nouvelle République. "Finalement, mardi 12 juillet, l’ARS nous précisait que, faute de pouvoir effectuer ce contrôle, c’est le Département qui devait s’en charger le mercredi 13 juillet 2022, trois semaines après le signalement", écrit le quotidien. Des informations que l’ARS n’a pas confirmé auprès de France 3, ne souhaitant pas "communiquer sur une procédure en cours".
Des contrôles dépendant de deux institutions
Depuis le début de l’année et la sortie du livre-enquête de Victor Castanet Les fossoyeurs révélant de nombreux cas de maltraitance dans les Ehpad du groupe Orpéa, les inspections des maisons de retraites médicalisées sont au cœur des débats. En mars dernier, le gouvernement a annoncé "un vaste plan de contrôles" sur 2 ans pour la totalité des Ehpad, soit 7 500 sur tout le territoire.
Ces contrôles peuvent être effectués par l’ARS comme le département, suite à des signalements ou des réclamations. "Quand on estime, avec les informations que l’on a, qu’il y a un risque sur le plan de la prise en charge des soins, on va contrôler. Mais on peut être amené à ne pas le faire quand on estime qu’il n’y a pas ou peu de risque", précise Arnaud Tranchant, à la direction de l’ARS Nouvelle-Aquitaine.
Les deux autorités compétentes n’ont cependant pas les mêmes prérogatives : l’ARS regarde plutôt du côté des soins et des traitements médicaux quand les compétences du département se concentrent sur le volet social et dépendance. "Nous faisons attention à ce que les patients aient toute l’hygiène nécessaire pour leur santé. Qu’ils soient changés de façon normale. On veille sur la bienveillance", résume Valérie Dauge.
Mais sans la présence de l’ARS, les inspecteurs du département n’ont pas la capacité d’évaluer les soins prodigués. Une inspection conjointe est donc nécessaire pour examiner la bonne tenue de l’établissement dans son ensemble. "À ce jour, nous avons fait 5 inspections conjointes avec l’ARS alors que l’objectif est de visiter les 85 établissements de la Vienne", déplore la vice-présidente du Conseil départemental.
Un manque de coordination ?
Visiblement agacée, l’élue dénonce les difficultés de se concorder avec l’ARS : "Je trouve cela regrettable, pour le partenariat que nous menons. C’est dommage, car derrière, il y a des êtres humains. Il faut faire preuve de bienveillance et de réactivité." Du côté de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, Arnaud Tranchant ne comprend pas tellement. "Les deux autorités peuvent décider une inspection de part et d’autre, mais il y a régulièrement des contrôles communs", assure-t-il.
"Oui, si l’ARS n’est pas là, le département va contrôler uniquement selon ses prérogatives. Donc effectivement, la prise en charge du côté soin, au sens strict, ne va pas être contrôlée", avoue tout de même Arnaud Tranchant. Avant de nuancer : "Mais une prise en charge, c'est un tout, il y a une interdépendance entre les deux compétences."
Nous faisons remonter les choses, mais ce n’est pas suivi de faits.
Valérie Dauge, 1ère vice-présidente du département de la Vienne, en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.
Ainsi, dans le cas de Vouneuil-sur-Vienne, l’ARS va attendre le rapport des inspecteurs du département pour décider ou non de contrôler à leur tour l’établissement. "Ils peuvent aussi nous faire remonter des choses qu’ils constatent sur le terrain", explique le membre de la direction de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Une méthode qui ne semble pas sans faille, l’expertise du département sur le domaine strictement médical étant pour le moins limitée.
Valérie Dauge, elle, regrette la proximité d’antan avec l’Agence Régionale de Santé, maintenant que "tous les pouvoirs de décision sont à Bordeaux". "Les référents ici n’ont pas les pouvoirs de décision. On est des élus de terrain, on connaît le territoire et les établissements, on fait remonter les choses, mais ce n’est pas suivi de faits", pointe la conseillère départementale. En réponse, Arnaud Tranchant avance pourtant des "échanges quotidiens" entre les deux institutions.
Des moyens "insuffisants"
Mais il n’y a pas qu’au département de la Vienne que l’implication des ARS dans les contrôles en Ehpad est pointée du doigt. Auditionnés dans le cadre de la commission d’enquête du Sénat sur les Ehpad en mars dernier, les syndicats des corps d’inspection de santé publique ont dénoncé des moyens "largement insuffisants" pour une mission qui ne serait pas considérée comme "prioritaire" par les ARS. En cause, le faible nombre d’inspecteurs - environ 230 sur tout le territoire - consacrés au contrôle de la prise en charge des personnes âgées. Un chiffre en constante baisse.
Il faut que l'ARS mette les moyens nécessaires pour accompagner les personnes âgées.
Valérie Dauge, 1ère vice-présidente du département de la Vienne, en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.
"C’est réducteur de parler du nombre d’agents, réagit Arnaud Tranchant. Il y a, certes, moins de personnel dans les ARS, c’est une réalité. Mais le directeur général de l’ARS peut également mobiliser un agent qui est ensuite formé à l’inspection." Pour Valérie Dauge, le manque de ressources se fait cruellement ressentir. "Il faut que l’ARS mette les moyens nécessaires pour accompagner ces personnes.", réclame-t-elle.
La région serait pourtant mieux dotée que les autres pour les contrôles. C'est en tout cas ce qu'affirme la direction de l'ARS Nouvelle-Aquitaine, comme le rapportait Libération en février 2022. Le journal évalue à "environ 20 à 30 équivalents temps-plein pour un territoire qui compte plus de 900 Ehpad." Mais tout ne serait pas idyllique pour autant, comme le confiait un inspecteur à CheckNews : "Une partie de ces contrôles se font uniquement sur pièces, donc sans sortir du bureau. Difficile, dans ces conditions, de repérer la maltraitance."
À présent, la vice-présidente du Conseil départemental, s’estimant "bloquée par le système" demande une réforme de toute urgence. Grande promesse du quinquennat précédent, la loi "grand âge" était censée répondre à ces enjeux, avant qu’elle ne soit, en novembre 2021, abandonnée par Emmanuel Macron.