Samedi 30 septembre, Mediapart s'installe à l'espace Mendès France de Poitiers pour un après-midi de tables rondes autour des méthodes d'enquête journalistique, du traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles et des médias locaux indépendants. L'occasion pour les lecteurs et lectrices, ou celles et ceux qui ne le sont pas encore, de rencontrer les journalistes qui font Mediapart au quotidien.
Pour ses quinze ans, Mediapart s'offre un tour de France (et de Belgique). Quinze dates dans quinze villes, depuis mars dernier et jusqu'à mi-décembre, pour permettre à l'équipe de journalistes de promouvoir son travail, ses enquêtes, mais aussi le rôle de l'information indépendante. Samedi 30 septembre, Edwy Plenel et sa rédaction proposent plusieurs tables rondes à l'Espace Mendès-France de Poitiers, dès 14 heures. Lénaïg Bredoux, journaliste de Mediapart et responsable éditoriale aux questions de genre, a répondu à nos questions.
Vous organisez cette tournée dans quinze villes de France, dont Poitiers, pourquoi est-ce important d’avoir ce lien avec un territoire qui est autre que celui de Paris où se concentrent les grands médias ?
L’idée est de sortir de l’Île de France où une grande partie des collaborateurs et collaboratrices de Mediapart est installée, et le plus important c’est d’aller à la rencontre de nos lecteurs et de nos lectrices, ou même des gens qui ne lisent pas Mediapart, qui ne sont pas abonnés, mais qui auraient envie d’échanger avec la rédaction, avec l’ensemble des services du journal, pour discuter du rôle de la presse, du rôle des journalistes, de l’actualité, de ce qui se passe, ce qui traverse et ce qui nous bouleverse aujourd’hui.
Notre mission c’est une mission d’information. Cette information elle est au service du public.
Lénaïg BredouxJournaliste et responsable éditoriale aux questions de genre de Mediapart
C’est extrêmement important pour un journal d’être en lien avec la population, avec le pays dans lequel il s’inscrit, dans le milieu dans lequel il est, parce que notre mission c’est une mission d’information. Cette information elle est au service du public et donc c’est un lien qui est forcément intime entre un journal, des journalistes, et les citoyens et les citoyennes.
Vraiment, un journal ne peut exister que s’il est en lien avec son lectorat, et globalement avec l’environnement dans lequel il s’inscrit, encore une fois, l’information c’est au service du public, pas des journalistes, les journalistes sont au service du public. C’est quelque chose qui s’est distendu dans la perception et pour de bonnes raisons : aujourd’hui l’écosystème médiatique est déprimant, parce qu’il y a une concentration extrêmement forte de la presse, notamment écrite, qui est extrêmement inquiétante pour la démocratie, qui pose des questions légitimes sur l’indépendance des rédactions. Aujourd’hui, on voit que le quotidien Les Echos vient de voter très majoritairement contre la nouvelle direction de la rédaction imposée par Bernard Arnault, on est précisément au cœur du sujet de l’indépendance des rédactions, et par ailleurs d’un écosystème médiatique qui subit une offensive extrêmement forte, notamment d’industriels mais d’industriels proches de l’extrême droite, je pense bien sûr à Vincent Bolloré. Il est fondamental dans ce moment particulier pour les médias et la presse d’occuper l’espace, d’aller à la rencontre des gens, de débattre, de discuter, parce que ça nourrit le débat démocratique et ça nous nourrit nous.
Par ailleurs, on a une affection toute particulière pour Poitiers car une partie de l’équipe de Mediapart, la totalité du service abonnés, est installée à Poitiers, pour des raisons d’installation historique des personnes qui le composent. On a un lien tout particulier avec cette ville puisqu’on a l’un de nos services qui est précisément l’un de ceux qui est le plus en lien avec les lecteurs et les lectrices, avec le public en général, puisqu’il gère les relations avec les abonnés comme son nom l’indique, mais il reçoit les appels, les mails, de quiconque souhaite joindre Mediapart.
Quelles sont les grandes enquêtes de Mediapart qu’on peut trouver dans Poitiers et sa région ?
Dans les archives de Mediapart, on a fait beaucoup de choses sur la ville de Poitiers, sur son ancien maire ; sur Ségolène Royal et la gestion du conseil régional. Ce sont des papiers qui datent, mais si on prend les plus récents, il y a la question de l’évêque d’Angoulême, Hervé Gosselin, il y a l’enquête sur le CHU de Poitiers, celle sur le directeur du Confort Moderne, avec la question des violences sexistes et sexuelles.
On avait provoqué l’ouverture d’une enquête préliminaire au parquet de Poitiers il y a quelques années en raison d’une photo que nous avions publiée d’Alexandre Benalla avec une arme à la main.
Votre tournée s’intitule “Sans Mediapart vous n’auriez rien su”, il y a aussi des choses qu’on aurait su quand même mais sur lesquelles vous avez pu apporter des éclairages particuliers notamment après Sainte-Soline, sur le déroulé de l’intervention des secours.
Alors, “rien savoir” c’est un slogan, une manière de marquer les esprits, ça ne veut pas dire que personne d’autre que nous n'informe, on n’a jamais eu cette prétention, et on ne le pense pas et heureusement ! Dire ça, c’est aussi pour se rendre compte que la manière dont on organise la rédaction, dont on investigue dans la rédaction, nous permet de sortir des informations, des enquêtes qui sont parfois extrêmement chronophages. Effectivement il y a aussi plein d’enquêtes, parfois moins spectaculaires, qui sont extrêmement fondamentales. L’histoire de Sainte-Soline est un bon exemple, mais aussi les enquêtes sur l’écologie en général.
Vous allez personnellement animer une discussion qui s’appelle “Faire média” et vous avez, dans les différentes villes de votre tournée, plusieurs fois convié des médias locaux, cette fois-ci vous serez avec des journalistes de Vivant, quel rôle jouent ces médias aux yeux de Mediapart ?
Quand on dit qu’on est très attentifs à l’écosystème médiatique et qu’on est très inquiets de cet écosystème qui est difficile pour de très nombreux journalistes, ça passe aussi par le fait d’avoir tout tissu de partenaires, de titres, avec lequel on travaille, on collabore ou on a parfois des partenariats financiers. Dans de nombreuses régions de France, on a tout un tissu de partenaires. Je pense par exemple à Rue 89 à Strasbourg ou Lyon, l’exemple du Poulpe en Normandie, de Marsactu, de Médiacités aussi dans plusieurs villes. Tout ce réseau est pour nous essentiel parce qu’il y a plein de journalistes, de journaux, qui essayent dans cet univers médiatique compliqué, où la concentration et le poids des industriels sont très forts, de construire des titres indépendants, une information indépendante au service du public. Pour nous ce tissu vivant et très dynamique est essentiel, pour l’avenir de la presse et pour notre développement et les échanges qu’on peut avoir.
Pourquoi sont-ils menacés ces journalistes ? C’est pour les empêcher de publier des informations d’intérêt public.
Lénaïg BredouxJournaliste et responsable éditoriale aux questions de genre de Mediapart
Actuellement, le métier est de plus en plus difficile et subit un certain nombre d’attaques, de menaces, que ce soit sous la forme de la défiance de la population, mais également de la justice ou des industriels comme peut le connaître votre collègue Fabrice Arfi, est-ce que c’est aussi important de vous fédérer, de montrer votre nombre ?
Notre nombre, je ne sais pas mais il faut montrer que c’est une bagarre. Ce n’est pas une bagarre pas pour le droit des journalistes, bien sûr on défend le droit des journalistes, vous évoquez les menaces qui ont visé notre collègue et responsable du service enquête Fabrice Arfi, mais je pourrais citer évidemment la garde à vue de 39 heures absolument hallucinante d’Ariane Lavrilleux, pour ne citer que ces exemples-là. On pourrait aussi parler de la précarisation des journalistes qui est une menace pour l’information, enfin il y a différents types de menaces et d’attaques... C’est certes un enjeu de protection des salariés mais ce n’est pas un enjeu corporatiste. Pourquoi sont-ils menacés ces journalistes ? C’est pour les empêcher de publier des informations d’intérêt public. C’est ça qui est grave. Il y a deux choses : la défense de salariés comme les autres, et par ailleurs le fait que qu’on les empêche de faire leur travail et leur travail c’est produire des informations que certains pouvoirs veulent maintenir cachées, c’est là où c’est un sujet qui nous occupe tous et toutes. C’est un problème démocratique de l’ensemble de la société.