Au CHU de Poitiers, le coronavirus est entré dans les habitudes. Un peu trop sans doute. Les renforts ont disparu. Avec la montée actuelle des contaminations, la hausse des hospitalisations à venir met à l'épreuve toujours un peu plus l'organisation du service.
"On y arrive toujours". "Puisqu'on y arrive". "On va y arriver, comme d'habitude". Au service réanimation du CHU de Poitiers, la bonne volonté ne manque pas, mais pour tous, elle se teinte de lassitude.
Renfort à zéro
Différence majeure par rapport aux autres vagues Covid, celle-ci va se dérouler sans aucun renfort. C'est la tournure annoncée en tout cas. Les infirmières notamment se retrouvent bien seules face à la charge de travail.
On manque de personnel en général, là, avec le Covid, c'est encore plus compliqué !
Aurélie Fuseau, infirmière au CHU de Poitiers
Aurélie Fuseau en est à sa troisième année en réanimation. Les vagues Covid, elles les a toutes vues passer. "Les isolements [des patients Covid] sont contraignants... Habillage, déshabillage... Il faut penser à tout rentrer dans la chambre. Une fois qu'on est entrée dans le box, avec le patient, personne n'est disponible pour nous aider, apporter quelque chose qui manquerait. Ca demande une concentration hyper importante. Là, il n'y a pas de renfort, pas d'infirmière circulante..." Haussement d'épaules. "Comme on y arrive sans !"
Chacune des infirmières s'occupe de trois patients minimum, dont un Covid. "Si un autre patient nous appelle, c'est pareil, on perd du temps, il faut se déséquiper, blouse, surblouse, charlotte, lunettes, masque... On manque de personnel en général, là, avec le Covid, c'est encore plus compliqué !"
Le casse-tête des tableaux de service
Le plus usant : jouer au Tétris tout le temps avec les tableaux de service
Pr Arnaud Thille, CHU de Poitiers
Pour le Pr Arnaud Thille, ce manque d'infirmières, c'est le nœud du problème. Le chef du service de réanimation reste enthousiaste, mais... Il y a un mais. "On fait notre métier, on entend beaucoup de catastrophisme sur l'hôpital public. Il y a des difficultés, comme dans tous les métiers. C’est normal d’avoir des pics d’activité, ça nous arrive régulièrement. Nous on est réanimateur, il ne faut pas être trop sensible au stress. Là, avec le difficile recrutement des infirmières, le problème, c’est la durée. On doit jouer au Tetris tout le temps avec les tableaux de service, c'est ça le plus usant..."
Une infirmière enceinte ? Interdite de secteur Covid. Une infirmière absente pour maladie ? Ses collègues la remplaceront à tour de rôle. Les heures supplémentaires, Aurélie ne les compte plus. Il y a ces minutes, plus ou moins longues, ajoutées aux fins de service et puis il y a ces journées de 10h, qui remplacent tout simplement des repos. "La fatigue, c'est ça aussi, ces repos qu'on n'a pas... Ces 10h de travail qui viennent en plus des 5 jours, elles reviennent plusieurs fois par mois, ça pèse à force."
Des burn-out dans le service, il y en a eu. "Le Covid a impacté tout le monde, il faut bien se serrer les coudes. Mais avec des gens déjà fragiles de base, ça a fait craquer du monde."
Nous n'en saurons pas plus, Aurélie n'a plus vraiment de temps à nous consacrer. Elle repart écouter les briefings des médecins, attraper du matériel dans les réserves, vérifier sur l'écran la suite de ses missions. L'espace des questions se referme, sa journée auprès des malades se poursuit.
Pour l'instant, le service est encore assez calme avec neuf patients Covid, mais depuis une quinzaine de jours, la circulation du virus s'intensifie, les hospitalisations suivront. "C'est le décalage habituel, observe le Pr Thille. Moi, je ne suis pas les médias. Je ne lis pas trop ce qui se passe sur le Covid, ça ne m’intéresse plus. J’ai arrêté de faire des prédictions. Je sais en revanche que la diminution du nombre d’infirmières disponibles est plus visible avec le Covid. Il n’y a pas eu de formation de masse, ni d’investissements importants là-dedans..."
Pendant ce temps, l'infirmière cadre est en train de préparer les tableaux de service de Noël. Elle réfléchit aussi à une fête de service, un moment de convivialité qui ferait du bien aux équipes. "Enfin, si on a le droit de le faire, évidemment..."
Comme pour le reste, c'est le Covid qui décide.