Les métabolites du chlorothalonil, résidu d'un fongicide utilisé massivement sur les terres agricoles depuis plus de 50 ans en France jusqu'en 2020, s'invitent dans les robinets de la Vienne. Un arrêté préfectoral devrait prochainement voir le jour, sous forme de dérogation. En attendant, des Poitevins se résignent à acheter de l'eau en bouteille.
La préfecture de la Vienne va-t-elle entériner par arrêté la distribution d’une eau au robinet "non optimale", que des associations environnementales jugent, elles, "non potable", en raison de la présence de résidus de chlorothalonil, un produit phytosanitaire utilisé dans l’agriculture et aujourd’hui interdit ?
Dans un communiqué, l’association environnementale, Vienne Nature, acte que le "CoDERST (Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques) du 7 septembre a validé des arrêtés préfectoraux de "dérogation"". Depuis, pourtant, aucun arrêté n’a été publié. La préfecture de la Vienne n’a toujours pas officialisé ces dérogations, renvoyant la communication sur ce sujet à l’Agence régionale de santé (ARS). Les arrêtés doivent permettre aux distributeurs d’eau potable de livrer une eau dépassant le seuil de qualité de 0,1 µg/l en métabolites de chlorothalonil, mais restant dans la limite légale du seuil sanitaire de 3 µg/l.
"Pas d'impact sur la santé des consommateurs"
Dans le département, le syndicat Eaux de Vienne et Grand Poitiers ont dû solliciter l’ARS pour continuer de distribuer ces eaux "non optimales". L'agence se veut rassurante. "En dessous de 3 microgrammes par litre, représentant la limite toxicologique protectrice de la population, (les métabolites) n'ont pas d'impact sur la santé des consommateurs", explique le docteur Benjamin Daviller, directeur départemental de la Vienne à l'ARS.
Étant donné que l'on possède peu de recul sur le sujet, on se veut très protecteur auprès de la population.
Dr Benjamin DavillerDirecteur départemental de la Vienne à l'ARS
L’ARS rappelle que la limite sanitaire de 3 µg/l a été fixée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les autorités européennes et françaises. Elle juge néanmoins primordiale d’accumuler plus de connaissance scientifique sur ces résidus.
"Il est nécessaire de poursuivre les études sur le sujet et l’impact sur le long terme, précise le Dr Benjamin Daviller. Car le temps scientifique est un temps long et complexe. Étant donné que l'on possède peu de recul sur le sujet, on se veut très protecteur auprès de la population. On fait le maximum pour être le plus transparent possible".
Des associations en alerte
En attendant, l’association environnementale Vienne Nature constate que l’eau distribuée "n'est pas conforme aux normes prescrites". Dans un communiqué, elle ajoute que pour "la première fois dans son histoire, le département de la Vienne est massivement alimenté en eau non potable, et cela, pour une durée illimitée".
L'État doit mettre des moyens financiers et techniques pour faire face à cette situation d'urgence.
Jean-Louis JollivetAssociation Vienne Nature
La dérogation validée par le CoDERST de la Vienne début septembre serait valable trois ans, "renouvelable". Jean-Louis Jollivet, l’un des administrateurs de Vienne Nature et référent Eau, estime que "l’on n'avancera jamais en mettant en place des dérogations. Il faut alerter la population pour enfin avoir l’occasion d’en parler".
"On est dans une impasse absolue", poursuit Jean-Louis Jollivet. La présence de métabolites de chlorothalonil va contraindre les autorités sanitaires à trouver des solutions de dépollution. À l’heure actuelle, aucune option satisfaisante n’existe. La mise en place de nouvelles techniques de filtration pourrait se révéler extrêmement onéreuse. "L'État doit mettre des moyens financiers et techniques pour faire face à cette situation d'urgence. Même le syndicat et distributeur Eaux de Vienne doit interdire les pesticides dans les aires de captage d'eau potable. Cela représente un travail colossal".
De l'eau en bouteille
En attendant, certains habitants, pourtant habitués à consommer l’eau du robinet, se tournent désormais vers l’eau minérale en bouteille.
Arrivée à Poitiers en 2020, Samira Bouhenika a arrêté de boire de l'eau du robinet, dès qu'elle a su que son eau "était, dit-elle, contaminée". En discutant avec ses collègues de travail, cette ancienne Bordelaise avait observé que son eau du robinet avait "un goût et une texture bizarre". Face à ce ressenti, Eaux de Vienne précise que "la présence de ce métabolite de chlorothalonil dans l'eau n'a aucune incidence sur sa saveur ou sa couleur au robinet".
Reste que depuis, Samira Bouhenika se sent rassurée de boire de l'eau minérale. "J'achète plusieurs packs de bouteilles d’eau toutes les semaines. Un grand pack de six bouteilles et des petites bouteilles pour mes enfants, qu’ils prennent tous les matins pour aller à l’école".
Pour elle, comme de nombreux Pictaviens, l'achat successif de ces bouteilles a des répercussions environnementales, mais également économiques. "J’espère que cette situation ne va pas durer. Ça m'agace d’acheter des bouteilles d'eau en plastique, car cela pollue énormément. De plus, ça fait quand même un petit budget. Au final, tous les mois, j’en ai pour un peu plus de 20 euros".
(Mise à jour, le 21 septembre 2023 à 16h)