Coronavirus : à Poitiers, des réseaux de solidarité citoyenne émergent hors des circuits associatifs classiques

A l'initiative d'un entrepreneur, le réseau "Entraides Citoyennes 86" permet de venir en aide à des personnes démunies pendant le confinement. A Poitiers et ses environs, il permet déjà d'héberger six SDF à l'hôtel et de fournir chaque jour des paniers repas.

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J'arrive au bout de ce que je peux faire
Youssef Maiza, Entraide Citoyenne 86

Ce gérant d'entreprise spécialisée dans la sécurité est à l'intiative, sur les réseaux sociaux, d'Entraides Citoyennes 86, une action solidaire en faveur des personnes les plus fragiles pendant le confinement. Des mères célibataires, des personnes âgées ou encore sans logement. Pour lui, il est temps que d'autres prennent le relais.

On vit une situation inédite et des gens se retrouvent dans des situations difficiles 
- Youssef Maiza, chef d'entreprise, créateur d'Entraides Citoyennes 86

Ainsi, depuis le début du confinement, le réseau citoyen finance des nuitées d'hôtel à 30 euros pour des personnes sans solution d'hébergement, mais aussi des paniers de course (ou des tickets de Drive à récupérer) qui sont distribués à des gens démunis.
"On vit une situation inédite", poursuit Youssef Maiza. "Des gens qui jusque-là vivaient sans l'aide d'associations, qui subvenaient eux-mêmes à leurs besoins, se sont retrouvés avec leurs familles dans des situations difficiles: des auto-entrepreneurs, par exemple."

Des SDF logés à l'hôtel par des citoyens

En ce mercredi après-midi, Youssef poursuit ce qui est devenu sa deuxième journée de travail. Il prépare des colis de nourriture destinés à des personnes qui lui ont été signalées, parfois par des associations qui n'ont, elles-mêmes, plus assez à redistribuer.

Youssef fait son maximum
- Haidar Awada, gérant de l'hôtel Astral

Son nouveau quartier général est installé dans une pièce à l'entrée de l'hôtel Astral, situé en face de la gare SNCF de Poitiers. Le gérant a accepté de le suivre dans son initiative. Il lui a mis une pièce à disposition dans laquelle il reçoit les dons. Il loue également les six chambres destinées à des SDF.

"Je vois que Youssef fait son maximum pour aider", explique Haidar Awada, gérant de l'hôtel Astral. "C'est difficile pour moi aussi en ce moment, économiquement, j'ai repris l'établissement il y a juste cinq mois, mais je voulais aider, faire ce que je peux pour aider les autres."

Comme d'autres hôteliers de la ville, il a vu ses réservations s'annuler les unes après les autres. 

J'avais un taux d'occupation de 75% pour le mois d'avril, tout a été annulé.

Haidar Awada a préféré louer les chambres à un petit prix plutôt que de les voir rester vides.

Alors que nous discutons dans le hall de l'hôtel, un jeune homme entre avec un sac de courses, le visage protégé par un masque en tissu.

Des visières de protection

"Une de mes amies a vu l'initiative sur Facebook et comme j'avais une course à faire, elle m'a demandé de déposer ce qu'elle avait acheté pour Entraides Citoyennes 86", explique François-Thomas Choppin. "Pour ma part, je découvre l'action et je trouve ça bien."

Quelques minutes plus tard, une dame arrive. Elle porte un masque chirurgical. 

On n'a rien pour se protéger dans nos cabinets !
- une assistante médicale

"Bonjour, c'est ici que je peux récupérer les visières de protection ?", interroge-t-elle en passant le nez par la porte.

"Oui, c'est ici", lui répond Youssef. 

Parmi les dons qui lui ont été faits, celui d'une entreprise qui disposait d'un surplus de quelques visières pour les professions médicales.

"Je suis assistante dentaire", explique la dame. "On n'a rien pour se protéger dans nos cabinets. Nous ne sommes pas prioritaires. Alors, les cabinets sont fermés au public mais on vient quand même travailler pour faire de l'administratif et replannifier les rendez-vous après le 11 mai. Mais plusieurs fois par jour, les patients viennent quand même sonner. On est en contact avec eux, même si on les réoriente vers les urgences dentaires."

Les visières, en tout petit nombre, sont également destinées à des aides soignantes travaillant à domicile.  

"Elle est là, Estelle ?"

A son tour, Margaux passe le pas de la porte de l'hôtel avec deux sacs. L'un contient des vivres, l'autre des vêtements.

"Elle est là Estelle ?", interroge-t-elle. "J'ai quelques fringues pour elle."

Je voulais aider à ma façon 
- Margaux Roulet, donatrice

Estelle est "nomade". Elle est arrivée de La Rochelle il y a quelques jours et est hébergée depuis plusieurs nuits à l'hôtel Astral, grâce aux dons des particuliers. Margaux a entendu parler d'elle dans l'une des publications Facebook d'Entraides Citoyennes 86.

"J'ai vu qu'on était à peu près de la même taille et j'avais des choses à donner. Il faudrait qu'elle les essaye", explique Margaux Roulet qui voulait "aider à (sa) façon".

Ici, l'accueil est vraiment sympa
- Estelle, nomade

A quelques mètres de là, Estelle est en pleine conversation avec un jeune homme qui partage une cigarette avec elle.

"Tu sais, moi, je m'ballade", m'explique Estelle, le teint halé marqué par des traits profonds. "Ici, l'accueil est vraiment sympa. C'est rare d'être accueillie comme ça."

Puis, Youssef se tourne vers elle et lui demande : "Est-ce que tu as mangé, aujourd'hui?"

Estelle lève les yeux au ciel : "Non, pas encore, mais j'vais le faire."

Il est déjà 16h et Youssef lui tend quelques victuailles qui viennent d'arriver.

"Je n'avais plus rien"

Youssef termine un gros sac de courses et indique que l'heure est venue de livrer. Direction le quartier des Trois-Cités.

"Bonjour Madame, c'est Youssef. Je suis en bas de votre immeuble", lance-t-il en sortant de sa voiture qu'il vient de stationner rue de la Vallée Monnaie.

Vous m'appelez quand vous n'avez plus rien, d'accord ? Cette dame m'a été signalée par deux associations différentes
- Youssef Maiza, chef d'entreprise, créateur d'Entraides Citoyennes 86

Une dame descend avec précaution l'escalier jusqu'à l'entrée. Elle ne porte pas de masque mais des gants noirs qui lui permettent de se protéger les mains lorsqu'elle récupère le sac de courses.

"Je n'avais plus rien", confie-t-elle. Elle soulève les épaules et reconnaît que sans ce coli, elle ne sait pas ce qu'elle aurait mangé ce soir. "Vous avez mon numéro, on se tient au courant, hein ? Vous m'appelez lorsque vous n'avez plus rien." Le sac est copieusement rempli et devrait lui permettre de manger près de "deux semaines", estime Youssef.
"Cette dame m'a été signalée par deux associations différentes !" ajoute-t-il avant de remonter à bord de sa voiture. "J'ai rendez-vous maintenant au Pince-Oreille."

Des repas pour le CHU... et, les plus démunis

A Poitiers, le Pince-Oreille est un restaurant-cabaret connu de tous. Depuis le début du confinement, il participe, comme d'autres restaurateurs, à la préparation des repas pour les soignants du CHU. A notre arrivée, rue des Trois-Rois, l'équipe de trois cuisiniers, les trois co-gérants, est en pleine préparation du dîner. Salades de crudités, fraises fraîches, entre autres.

"Nous préparons les repas pour le CHU", explique Antoine Peurichard, l'un des co-gérants. "Il me semblait évident que l'on avait les moyens d'en faire profiter d'autres." "J'ai découvert l'initiative de Youssef par hasard, hier, sur Facebook. Ce que l'on prépare aujourd'hui pour le CHU, on en fait aussi profiter Entraides Citoyennes 86", poursuit-il.

Je voulais créer un réseau de solidarité et ça fonctionne 
- Youssef Maiza, chef d'entreprise, créateur d'Entraides Citoyennes 86

Youssef Maiza ne cache pas son enthousiasme. "Je voulais créer un réseau de solidarité et ça fonctionne." Il constate que "les institutions ont mis du temps à se mettre en route. Pas les citoyens."

"Il n'y a que les citoyens qui peuvent réagir tout de suite, sans attendre", poursuit-il, pour expliquer les motivations derrière la création de ce réseau, Entraides Citoyennes 86. "Je me suis juste dit qu'en créant un petit groupe, on pouvait aider. Non pas créer une association mais plutôt une plateforme informelle."

"A l'Etat de prendre ses responsabilités"

La page Facebook d'Entraides Citoyennes 86 est ainsi toute récente. Elle a été créée le 21 mars dernier sur un constat pour lui, sans appel.

"Je me souviens d'une dame âgée qui faisait ses courses dans un hypermarché où ma société de sécurité intervient", poursuit-il. "J'étais là et elle avait l'air perdue. On a parlé. Elle n'avait personne pour lui faire ses courses, ses enfants vivent loin et je me suis dit que c'était ce qui manquait : une forme d'entraide entre les citoyens pour aider des personnes comme elle."

Pour moi, en pleine période de confinement, les SDF ne peuvent pas rester dormir dehors!
- Youssef Maiza, chef d'entreprise, créateur d'Entraides Citoyennes 86

De la même manière, une seconde rencontre l'a motivé à aller au bout de sa démarche. 

"Je suis tombé un soir un jeune gars à la rue", se souvient-il. "Il m'a dit qu'il n'avait nulle part où dormir. Je lui ai proposé d'appeler le 115. Il l'a fait devant moi mais à l'autre bout du fil, la personne n'avait aucune solution à lui proposer. Pour moi, en pleine période de confinement, il ne pouvait rester dormir dehors."

Alors qu'il s'apprête à reprendre la route, Youssef consulte la page Facebook d'Entraides Citoyennes 86. Les demandes affluent. "Comme puis-je vous aider ?" ou encore "De quoi avez-vous besoin ?" Youssef répond patiemment à chacun, fait circuler le RIB de l'hôtel à ceux qui souhaitent financer les nuitées d'hôtel pour les personnes sans solution d'hébergement. Elles ne sont que six alors que les besoins sont bien plus importants.

"Le 115 fait un sacré boulot mais n'a plus de solution de logement. Nous on fait ce que l'on peut. Mais là, il est temps que l'Etat prenne ses responsabilités... Les SDF eux aussi doivent pouvoir se protéger du virus en étant confinés."
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