"Expliquer la souffrance au travail, c’était quelque chose d’impossible il y a 25 ans" : à Poitiers, les magistrats veulent réformer la justice

Presqu'un an jour pour jour après la publication d’une tribune signée par 3.000 magistrats dans le journal Le Monde, une soixantaine de magistrats, greffiers et avocats se sont réunis devant le tribunal judiciaire de Poitiers, mardi 22 novembre, pour dénoncer leurs conditions de travail.

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"C’est un changement de culture professionnelle", observe Stéphane Winter, membre du syndicat de la magistrature. A ses côtés, devant le tribunal judiciaire de Poitiers mardi matin, une soixantaine de juges, greffiers et avocats se sont réunis. D’habitude si discrets, les magistrats osent désormais prendre la parole à visage découvert. Ils dénoncent, pancartes à la main, une justice "à bout de souffle." Pourtant, d'après le syndicaliste, "expliquer la souffrance au travail, c’était quelque chose d’impossible il y a 25 ans."

Il y a un an jour pour jour, ils étaient 3.000 à cosigner une tribune dans Le Monde, quelques mois après le suicide d’une jeune juge, démunie face à la réalité du métier dont elle avait rêvé. L’article avait provoqué une onde de choc dans le monde si secret des tribunaux. "Pour la première fois, on exposait publiquement la face cachée de cette justice que les personnes connaissent en général mal", se souvient Stéphane Winter.

"Sans moyens supplémentaires, il est inutile d’imaginer réformer la justice"

En octobre 2021, les Etats généraux de la justice avaient été lancés depuis le tribunal de Poitiers par Emmanuel Macron. La consultation publique avait pour but de "formuler des propositions concrètes pour mettre la justice au centre du débat démocratique." Un an après, les magistrats sont déçus. "On a eu le sentiment que la seule question qui ne pouvait pas être abordée dans ce cadre c’était les moyens de la justice. […] Le rapport Sauvé qui a fait suite aux concertations n’a pu que constater que sans moyens supplémentaires, il est inutile d’imaginer réformer la justice", regrette le syndicaliste.

Après la publication de ce rapport, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti avait confirmé la promesse d'Emmanuel Macron de recruter 1500 magistrats sur 5 ans, dont 200 en 2023, ainsi que 1500 greffiers. Une mesure jugée "insuffisante" par l’Union syndicale des magistrats, soutenue par l’association syndicale des magistrats, le barreau de Poitiers et de la Roche sur Yon lors de la manifestation. Stéphane Winter le rappelle, tous espèrent "des recrutements massifs, mais qui ne viendront en juridiction qu’en septembre 2025, puisqu’il faut, s’agissant des magistrats, deux ans et demi de formation." 

17 mois pour juger une affaire pénale

Avant que ces nouvelles recrues ne viennent soulager un système surchargé, les dossiers continuent de s’entasser. A Poitiers en particulier, le déficit de personnel pèse sur le quotidien des magistrats. Selon ces derniers, il faut ici en moyenne 17 mois pour juger une affaire pénale, 8 mois pour le tribunal des affaires familiales ou encore 12 mois pour les affaires prud’homales. Au-delà de six mois, pourtant, un délai de jugement est considéré comme problématique ou déraisonnable par la Cour de cassation.

Selon un rapport de l’INSEE publié en 2018, la Vienne possède en moyenne deux fois moins de juges, procureurs et greffiers que les autres régions de France. Comparé à l’Europe, le déficit est quatre fois plus important. Stéphane Winter déplore que ces conditions de travail "empêchent les justiciables d’avoir un service public de qualité."  D’autres magistrats craignent même que, désespérés par les délais de traitement de leur dossier, certains citoyens ne finissent par se rendre justice eux-mêmes.

Malgré les protestations des magistrats, un an après la publication de la tribune, "les situations dans les juridictions sont les mêmes, ou pire", regrette Stéphane Winter. Inquiets et épuisés, le personnel judiciaire de Poitiers pourrait poursuivre sa mobilisation dans les semaines à venir.

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