Que l'on soit Ukrainien ou Russe, que l'on ait vécu les bombardements ou que l'on tremble pour des proches, la confrontation à la guerre ne laisse pas indemne. Un accompagnement psychologique précoce peut éviter les traumatismes profonds.
« J’ai reçu une jeune fille très inquiète, sans nouvelle de son père parti au front. Elle n’arrivait plus à dormir, faisait des cauchemars, c’est typiquement les symptômes d’une personne en situation de stress aigu… ». Chef du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie adulte au centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers, Nematollah Jaafari est aussi vice-président délégué aux politiques de prévention de santé et de précarité à l’Université de Poitiers.
C'est à son initiative que dès le 3 mars dernier, une cellule d’écoute et d’aide psychologique a été mise en place en soutien aux 41 étudiants et chercheurs ukrainiens et russes (10 ukrainiens et 31 russes) présents à l’université de Poitiers. Ils en ont été informés personnellement et certains qui manifestaient des signes d’angoisse ont pu bénéficier de l’écoute de psychologues.
« Nous leur proposons une prise en charge globale, avec des psychologues, mais aussi le médecin et l’assistante sociale de l’université. Ce dispositif s’adresse aussi à la dizaine d’étudiants qui étaient en mobilité en Russie et ont été exfiltrés. Les vols depuis la Russie étant interrompus ils ont dû se débrouiller pour rejoindre des pays frontaliers comme la Finlande pour prendre un avion. Même s’ils ont été accompagnés par les services du ministère des affaires étrangères, ça n’a pas été une expérience facile.» explique Lionel Vinour, directeur vie de campus et patrimoine à l’université de Poitiers.
Une aide d’urgence de 500€
Détresse face au manque d’information concernant les proches sur place, inquiétude pour leur avenir, pour la pérennité de leurs bourses, les sources d’angoisse des étudiants ukrainiens et russes sont multiples.
L’exclusion de la Russie du réseau bancaire international Swift n’a pas seulement des conséquences sur les oligarques russes. Les moyens de paiements des étudiants sont aussi affectés. « Au-delà du soutien psychologique, nos étudiants ont aussi besoin d’aides financières quand leurs moyens de paiements ne fonctionnent plus. Une aide individuelle d’urgence de 500€ a été débloquée, et au besoin il sera possible d’aller au-delà » précise Lionel Vinour.
La nécessité d'une prise en charge rapide
« On sait par expérience que si on réagit très tôt et très vite on peut éviter l’entrée dans un cercle vicieux dont on a beaucoup de mal à sortir ensuite. » explique le professeur Nematollah Jaafari.
Ukraine Libre, association d'entraide nouvellement créée à Poitiers, réfléchit à la mise en place d'un accompagnement psychologique à destination des réfugiés qui arrivent dans la région.
Et la préfecture de la Vienne affirme que le dispositif d’accueil se met en place graduellement et qu’elle « mandatera une association pour assurer un accompagnement global des réfugiés ukrainiens hébergés dans le département de la Vienne.»
Un opérateur qui procédera à une première évaluation de la problématique sociale des personnes et les orientera au besoin vers les professionnels de santé. « Il s'agit pour les problématiques d'ordre psychologique de l'équipe mobile psychiatrie- précarité du centre hospitalier Laborit de Poitiers et de la permanence d'accès aux soins de santé (PASS) rattachée au CHU de Poitiers.» précise la préfecture.
Stress aigu ou post-traumatique
« Quand les gens ont vécu des situations de guerre, la confrontation à la mort, pour nous il va être important d’arriver à mesurer s’ils souffrent de stress aigu, qui est une réaction mais pas une maladie, ou de stress post-traumatique, qui est une maladie qui se caractérise notamment par la reviviscence diurne ou nocturne de scènes vécues. Les besoins thérapeutiques ne sont pas les mêmes, les traitements non plus. » explique Jean-Jacques Chavagnat, médecin psychiatre responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique de la Vienne.
Aujourd'hui à la tête de l’équipe mobile de psychologie et précarité qui intervient notamment dans les lieux d’accueil des personnes exilés, il est intervenu pendant le conflit au Liban, ou sur des scènes d'attentats, et connaît bien les traumatismes de guerre.
« Il y a une différence entre ceux qui ont été en réel danger de mort, et ceux qui ont anticipé ce danger. Mais dans tous les cas il se peut aussi que cette expérience-là fasse écho à d’autres moments difficiles de leur vie et réveille d’anciens traumas. C’est tout ça qu’il nous faut arriver à décrypter. Et la principale difficulté que l’on rencontre, c’est la barrière de la langue, car même si nous disposons de traitements médicamenteux, la connaissance du patient et de nombreuses techniques thérapeutiques efficaces comme l’hypnose passent par la parole.»
Les deux principaux risques liés aux traumatismes de guerre sont les conduites d’addiction à des produits toxiques, et le suicide.
Avant tout, retrouver un cadre de vie bienveillant
« De toutes façons ce sont des personnes qui ont vécu une maltraitance existentielle, et la première chose dont elles ont besoin c’est d’être rassurées et de subvenir à leurs besoins essentiels. Retrouver un peu de calme et un milieu humain bienveillant, pour pouvoir ensuite raconter leur histoire, et leur histoire traumatique. » précise Jean-Jacques Chavagnat.
Ne pas appuyer là où ça fait mal.
J.Jacques Chavagnat, psychiatre
Valable pour les soignants, cette règle de base l’est aussi pour tous ceux qui seraient amenés à accompagner les réfugiés ukrainiens dans leur exil, les familles d’accueil par exemple. « Il ne faut pas les interroger sur ce qu’ils ont vécu. Ne pas appuyer là où ça fait mal. S’ils sont arrivés ici, c’est que là-bas c’était invivable. Il faut les aider à retrouver une vie aussi normale que possible, et s’ils en ont envie ou besoin ils parleront » explique le psychiatre.
Les enfants, ils peuvent rigoler, ils donnent le change.
J.Jacques Chavagnat, psychiatre
L’expression de la douleur et du traumatisme chez l’enfant et l’adolescent n’est pas la même que celle de l’adulte, et ils peuvent donner l’impression d’aller mieux rapidement. « Alors que les adultes vont rester prostrés, les enfants vont jouer au foot, rigoler. Etre dans l’action, c’est leur façon de supporter ce qu’ils ont vécu. Mais quand on échange avec eux, on peut se rendre compte qu’ils font des cauchemars, qu’ils ont eux aussi besoin d’aide.» Des échanges et des techniques thérapeutiques qui passent souvent par le jeu ou les dessins.
Proposer des activités
Comme les enfants le font instinctivement, les adultes aussi ont besoin d’être dans l’action pour échapper à leurs souffrances. « L’inactivité favorise la rumination anxieuse » souligne le psychiatre. Se balader, faire des jeux de société, faire la cuisine, proposer des activités à partager leur permet de soulager l’attente et le manque d’informations.
Repérer les signaux d’alerte
Pour ceux qui vont accueillir ces réfugiés et partager leur quotidien, l’important estime le Jean-Jacques Chavagnat, c’est aussi d’être « attentif à des comportements qui peuvent être des signaux d’alerte : manque d’appétit, ou au contraire appétit féroce, grande excitation ou apathie … des comportements excessifs indiquant une détresse. » Le recours à un soutien psychique peut alors être nécessaire.
Un numéro d’appel 24h/24
Parce qu’ils savent bien que les montées d’angoisse ou de détresse peuvent surgir à tout moment, que la nuit peut y être propice, les psychiatres insistent sur le recours possible 24h/24 au 3114. Un numéro national d’appel dédié à la prévention des souffrances et du suicide créé en septembre 2021, qui offre une écoute et peut en cas de nécessité déclencher l’intervention du Samu.
Ces derniers jours parmi les internes de la cellule d’urgence médico-psychologique de la Vienne amenés aussi à recevoir ces appels, deux médecins russes ont manifesté leur solidarité pour le peuple ukrainien, exprimé leur désaccord avec cette guerre et ont proposé leurs services de traduction. «Savoir qu’il y a des gens qui vous soutiennent même chez l’ennemi renforce votre capacité à faire face. » conclut le chef du service Nematollah Jaafari.