Ce sont des élus que l'on n'a pas forcément l'habitude d'entendre, mais depuis quelques mois et les annonces d'économies demandées par le gouvernement, les présidentes et les présidents de départements se mobilisent. Bien souvent pris en étau par leur situation financière, ils alertent avant une catastrophe qu'ils estiment inéluctable. Illustration en Charente, Charente-Maritime, dans les Deux-Sèvres et la Vienne.
"Fin de 2025, si rien ne change dans ce projet de budget, 85 % des départements pourraient se retrouver sous le seuil d’alerte budgétaire et dans l’incapacité de répondre aux besoins fondamentaux de leurs administrés." Dans une tribune du 13 novembre, les élus de départements alertaient le gouvernement sur les effets du projet de loi de finances (PLF) 2025. Dans sa version initiale, le texte demande un effort de 5 milliards d'euros aux collectivités territoriales, dont 2,2 milliards d'euros réalisés par les départements.
Aux assises de l'association départements de France, à Angers, le 15 novembre dernier, le Premier ministre, Michel Barnier s'est présenté devant eux en expliquant avoir entendu le message. "Nous allons réduire très significativement l'effort qui vous est demandé", a-t-il déclaré, sans toutefois chiffrer cette baisse.
🔴 "Je suis là pour vous dire que nous allons réduire très significativement l'effort qui vous est demandé par le projet de loi de finances"
— franceinfo (@franceinfo) November 15, 2024
Michel Barnier s'exprime depuis les Assises des départements de France pic.twitter.com/70d5Jg6Moj
En Charente, en Charente-Maritime, dans les Deux-Sèvres et dans la Vienne, le message a été accueilli très variablement par les présidents de départements. Si Philippe Bouty (PS), président de la Charente, dénonce "une simple opération de communication visant à calmer la grogne des départements", Coralie Dénoues, présidente (DVD) des Deux-Sèvres et Alain Pichon, président (DVD) de la Vienne, se disent "rassurés" tout en restant "très attentifs aux futures annonces".
D'une manière plus générale, la santé financière des départements de France se révèle mauvaise. En 2023, 14 des 103 départements étaient en grande difficulté et leur nombre devrait au moins doubler à la fin de l'exercice 2024 avec un gros risque que cette situation affecte très concrètement le quotidien de leurs habitants. Le président de la Vienne ne le cache pas : "Nous sommes, depuis quelques mois, dans les 30 départements les plus en difficulté de France".
Des dépenses imposées par l'État...
Les départements ont à leur charge des compétences comme la protection de l'enfance, le revenu de solidarité active (RSA), les routes, les collèges, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap. "Le département accompagne les gens tout au long de leur vie. C'est le dernier ou le premier rempart social, selon comment on le voit", résume Philippe Bouty. Parmi ces compétences, une bonne partie est imposée par l'État, représentant environ 65 % à 70 % des dépenses départementales en moyenne, selon Coralie Dénoues, dont l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou le RSA. Dans ces conditions, la présidente des Deux-Sèvres dénonce une demande d'effort "culottée". "Quand le RSA augmente de 4,6 % ce n'est pas nous qui le décidons, c'est la promesse du président de la République, mais nous devons l'appliquer quand même", soulève-t-elle.
Quand l'État nous demande des économies, ce sont des économies sur quoi ?
Sylvie MarcillyPrésidente du département de la Charente-Maritime
Les marges de manoeuvre des élus apparaissent compliquées. En Charente-Maritime, Sylvie Marcilly s'interroge : "Quand l'État nous demande des économies, ce sont des économies sur quoi ? Les allocations individuelles de solidarité ? Hors de question. La rénovation énergétique ? hors de question. Les routes ? Hors de question. Sur le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) ? Hors de question."
À côté de cela, les départements ont aussi d'autres compétences, optionnelles cette fois, comme le soutien aux collectivités, le sport, la culture, la vie associative, l'environnement ou le tourisme. Ce sont ces dernières qui risquent de subir les conséquences de la mauvaise santé financière des départements. Mais parfois, par souci de cohérence, elles doivent être maintenues. "Nous sommes obligés de verser le RSA. Mais nous ne sommes pas contraints de faire une politique d'insertion", pointe la présidente des Deux-Sèvres.
...qui augmentent d'année en année
Mais depuis quelques années, la situation financière des départements s'est dégradée. "C'est lié à un désengagement de l'État sur la protection de l'enfance, l'autonomie des personnes âgées, la prise en charge de personnes en situation de handicap, ou le versement du RSA, dénonce Philippe Bouty. Tout cela augmente considérablement et sans compensation véritable de l'État." Il en veut pour preuve la protection de l'enfance. En Charente, ce poste de dépense à augmenter de 50 % en trois ans, passant de 872 enfants placés à l'ASE en 2021 à 1310 en 2024. "Le département doit nécessairement recruter pour pouvoir accompagner les enfants. On est passé à 70 millions d'euros, rien que sur la protection de l'enfance, quand on était à 46 ou 47 millions avant", assure-t-il.
Une situation également connue dans les Deux-Sèvres où, sur les deux dernières années, 18 millions d'euros supplémentaires ont été ajoutés aux dépenses du département liées à la protection de l'enfance. De manière générale, dans la Vienne, depuis 2022, entre 22 et 23 millions d'euros de dépenses nouvelles ont été enregistrées. De son côté, le département de Charente-Maritime a vu ses dépenses sociales grimper de 48 millions d'euros de 2021 à 2024 dont 20 millions d'euros uniquement en 2024. Parmi elles, 70 % concernent la protection de l'enfance.
Dans le même temps, des recettes qui baissent
Du côté des revenus, la tendance est l'inverse. Les budgets départementaux sont financés par une fraction de la TVA et par les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), un pourcentage de 4,5 % des frais de notaire payé lors d'achats immobiliers. "Tous les départements ont des DMTO qui baissent de l'ordre de 20 %. Parallèlement, les dotations basées sur la TVA sont mécaniquement plus basses, en période de crise, car la consommation baisse", observe Alain Pichon. En Charente, Philippe Bouty a vu les recettes liées aux frais de notaire augmenter entre 2020 et 2022, soit pendant la période Covid où les transactions immobilières ont explosé, passant de 43 millions d'euros de recette en 2020 à 65 millions d'euros en 2022. Mais par la suite, c'est la dégringolade, à 48 millions d'euros en 2023 et 38 millions d'euros en 2024.
De son côté, la Charente-Maritime enregistre une baisse de 115 millions d'euros de recettes entre 2021 et 2024. Dans le même temps, le département voit une hausse de ses dépenses de l'ordre de 60 millions d'euros. Un croisement des courbes généralisé qui force les départements à d'ores et déjà faire la chasse aux économies et à limiter les dépenses, avant même l'effort demandé par le gouvernement. Ainsi, la Charente-Maritime a déjà annoncé le report du projet de rénovation de la caserne de pompier de l'île d'Oléron. La Charente, elle, a déjà prévu pour 2025 de réduire ses dépenses de 10 millions d'euros.
Les ressources liées aux frais de notaire, c'est comme une drogue dure, mais elles restent très volatiles.
Philippe BoutyPrésident du département de la Charente
En Charente, Philippe Bouty reconnaît que "les frais de notaire (DMTO), c'est une drogue dure". La difficulté, pour lui, est que les départements ne doivent pas "s'y habituer, malheureusement". "On voudrait que ça continue, mais ça reste très volatil", confie-t-il.
La situation est encore pire dans la Vienne qui fait partie "depuis quelques mois des trente départements les plus en difficulté de France", de l'aveu de son président. "C'est une situation extrêmement difficile à vivre et à gérer", déplore Alain Pichon. Pour rentrer dans son budget 2024, il a dû puiser dans les 50 millions d'euros mis de côté depuis 2021 par le département. Malgré cela, la Vienne doit économiser 7 millions d'euros en 2025 avant même l'application du PLF 2025. Car si les départements ne sont pas à l'équilibre, ils risquent la mise sous tutelle par la préfecture.
"Si nous n'avions pas eu une gestion rigoureuse, voire parfois douloureuse, je pense que nous ne serions pas en capacité de pouvoir présenter un budget", indique Coralie Dénoues, tout en pointant du doigt certaines gestions de départements "sans citer de noms". Elle signale tout de même une situation en "alerte rouge" pour son département, malgré "quelques millions d'épargne nette en 2024". Mais la présidente deux-sévrienne redoute surtout, à l'avenir, les économies demandées par le gouvernement.
DGCL, Les finances des départements en 2023 (29.08.24)
— Xavier Cabannes (@XavierCabannes) August 29, 2024
« Après deux années d'amélioration sensible de leurs finances, les départements affichent en 2023 une dégradation de leur situation financière » :https://t.co/IpRx1bZoFa pic.twitter.com/FzYiuM8brw
Des départements risquent la cessation de paiement
Dans ces conditions, l'effort budgétaire demandé aux collectivités pour le budget 2025 fait grincer des dents. Chaque département a calculé les économies imposées par le PLF 2025, avant sa modification promise par Michel Barnier. Pour la Vienne, cela représenterait 16 millions d'euros supplémentaires en moins. "C'est impossible à gérer", s'inquiète-t-il. En Charente-Maritime, le PLF 2025, dans sa version actuelle, représenterait 25 millions d'économies à trouver, soit la moitié du budget des routes du département.
Nous sommes, depuis quelques mois, dans les 30 départements les plus en difficulté de France.
Alain PichonPrésident du département de la Vienne
Pour la Charente, c'est 9,3 millions d'euros supplémentaires qu'il faudrait trouver et près de 11 millions d'euros pour les Deux-Sèvres. "Dans ces conditions, on sera peut-être obligé de geler des aides et des dépenses facultatives, alerte Philippe Bouty, qui a terminé 2024 sur le fil. Sur un petit département comme le nôtre, cela représente le budget de la culture, du sport et des compétences facultatives !"
Après plus de 17 ans à la tête de la Savoie, le Premier ministre, Michel Barnier, connaît pourtant bien la situation et le fonctionnement des départements. Aux assises des départements de France, en plus de cette "baisse significative" de l'effort demandé, non chiffrée, il a accédé à plusieurs demandes des présidents de départements qui menaçaient pour ceux de la droite et du centre de "suspendre le versement du RSA". Les revenus liés aux frais de notaire vont être augmentés de 0,5 points, passant à 5 %. C'est encore trop peu pour Philippe Bouty : "Le temps que ça se mette en place, sur la Charente, si on récupère 1 million d'euros supplémentaires, ce sera déjà bien !"
Tous les agents du département nettoieront eux-mêmes leurs bureaux. Economie : 100 000 euros par an.
Coralie DénouesPrésidente du département des Deux-Sèvres
Dans les Deux-Sèvres, Carolie Dénoues dit vouloir "balayer devant notre porte". Même si cela peut apparaître "anecdotique", elle donne en exemple, l'effort demandé à "tous les agents du département". Dorénavant, ils "nettoieront eux-mêmes leurs bureaux, c'est une économie de 100 000 euros par an", avance-t-elle.
Toutes les présidentes et les présidents de départements interrogés restent surtout suspendus à la nouvelle version du PLF 2025 qui devrait se jouer au Sénat dans les prochaines semaines. Pour cela, tous repoussent le vote de leur budget "le plus tard possible", autour de fin mars ou début avril 2025, à l'exception des Deux-Sèvres. Coralie Dénoues entend voter une première fois le budget en décembre puis "dans un second temps" après application du PLF 2025 afin que les citoyens "comprennent l'impact des économies imposées par le gouvernement". Tous s'attendent à réduire significativement les dotations aux collectivités, aux associations et repousser certains investissements en plus des efforts déjà effectués sur les ressources humaines de chaque département.
Mais plus encore, en l'état actuel, Alain Pichon redoute que "certains départements soient en cessation de paiement". "Ce serait dramatique, si on ne pouvait plus faire face à nos obligations envers l'aide sociale à l'enfance, les Ehpad, le RSA…", redoute-t-il. Les citoyens les plus fragiles seraient alors en première ligne.