Léa est atteinte d'aniridie, une maladie génétique rare qui conduit à la cécité. Pour venir en aide à leur fille, ils se mobilisent et ouvrent une cagnotte afin de financer la recherche. Sylvain Le Pape, père de la petite fille, témoigne.
Le 29 mars 2020, Léa voit le jour au CHU de Poitiers. Née prématurée à 36 semaines suite à des complications, les médecins annoncent deux jours plus tard à ses parents qu’elle est atteinte d’aniridie. "Les ophtalmologues se sont réunis et ont posé le diagnostic. On ne connaissait pas du tout cette pathologie bien qu’on travaille dans le milieu médical", raconte Sylvain Le Pape, père de Léa.
Le diagnostic est brutal et sans appel. Les médecins lui ouvrent les yeux et annoncent devant les parents "elle est plein phare". Tout de suite, les deux parents associent cette expression à la "mort encéphalique", un arrêt du cerveau. "Dans le domaine médical, on rattache ces mots à quelque chose de très grave, on a soulevé ce terme dès qu’on l’a entendu", explique le père. Ils demandent immédiatement des explications et apprennent qu’il s’agit d’aniridie, une maladie rare, qui touche une personne sur 75.000 ce qui fait environ 1.000 personnes atteintes de cette maladie en France. Il s’agit d’une maladie congénitale, dégénérative qui conduit à la cécité. Elle peut être visible dès la naissance, mais s’aggrave souvent avec l’âge.
Le malade n’a pas ou peu d’iris et son œil est malformé. Dans certains cas, la personne atteinte d’aniridie peut voir. Les deux premières conséquences sont la malvoyance et la photophobie. L’iris, qui fait office de diaphragme, ne dispose d'aucune protection contre la lumière. "On prend 36 fois plus de lumière qu’une personne lambda", explique Gaëlle Jouanjan, vice-présidente de l’association Gêniris.
La petite Léa est aveugle. Un choc pour les parents qui ne s’y attendaient pas. "On avait acheté des jeux, des livres, on était très contents de l’accueillir parmi nous", raconte Sylvain Le Pape, ému. "Ça a été très difficile à accepter au début, et ça l’est encore. C’est plus un deuil pour nous que pour Léa car elle ne s’en rend pas compte".
Ces amoureux de la nature avaient pour projet d’apprendre à leur fille le nom des constellations, de lui faire admirer des couchers de soleil.
On a beaucoup d’amis autour de nous qui ont des enfants, avec qui tout va bien. Ils nous parlent des échanges de regards quand ils leur donnent le biberon… ça nous rappelle que Léa est aveugle et que cette complicité visuelle on ne l’aura jamais.
- Sylvain Le Pape, père de Léa
Après avoir reçu la nouvelle de plein fouet, Stéphane et Célina se renseignent sur la toile. "Sur internet, toutes les recherches que je faisais étaient bourrées de termes techniques, on s’imagine le pire, on n'a pas d’explication, on angoisse".
Un sentiment partagé par Gaëlle Jouanjan, vice-présidente de l’association Gêniris. Si on diagnostique aujourd’hui plus rapidement la maladie -dans les trois mois qui suivent la naissance- les familles n’ont pas toujours toutes les informations nécessaires pour faire face et prendre en charge le malade. "Souvent les parents vont sur internet et se prennent en pleine face et sans filtre beaucoup d’informations auxquelles ils ne s’attendaient pas, généralement les plus graves et pas forcément les plus récurrentes. Cela crée de la peur et quand on a les familles au téléphone, elles ont besoin d’informations, d’être rassurées, d’être orientées au bon endroit…".
Sylvain Le Pape finit par trouver le premier protocole national de diagnostic et de soins, élaboré par le Centre de référence des Maladies Rares en Ophtalmologie (Ophtara) mis en ligne en 2019 sur le site de la haute autorité de santé. "Ça nous a énormément aidé. On a pu avancer et contacter l’association Gêniris".
C’est une aide précieuse car ce protocole permet aux médecins non spécialistes et aux ophtalmologues d’avoir des indications très précises sur la prise en charge des patients atteints d’aniridie.
- Gaëlle Jouanjan, vice-présidentde de Gêniris.
Les parents de Léa se rendent alors à Paris, à l’hôpital Necker où exerce le professeur Bremond-Gignac, experte dans le domaine de l’aniridie et présidente de l’association. Les tests débutent rapidement et la famille est rapidement prise en charge.
Aujourd’hui, Léa entame son troisième mois dans la ville de Roches-Prémarie-Andillé (Vienne) et est une petite fille comme les autres malgré sa cécité. "Elle commence à gazouiller, elle grandit bien, elle se développe normalement".
Accompagner les familles
L’association nationale Gêniris existe depuis 2005 et a une activité internationale. Avec son siège à Malakoff dans les Hauts-de-Seine, elle couvre trois grands axes d’action. Le soutien aux malades et aux familles, l’aide à la prise en charge globale (médicale et médico-sociale), et le financement de projets recherche.
"Depuis 2015, on est aidé par un conseil médical et scientifique composé de médecins et de chercheurs qui sont un peu partout en France. La présidente du conseil est le professeur Bremond-Gignac à l’hôpital Necker de Paris", ajoute Gaëlle Jouanjan, vice-présidente de l’association.
Avec 200 adhérents, un conseil d’administration et un conseil médical composés de plus de dix personnes, l’association ne compte que des bénévoles, administrateurs comme chercheurs.
Gêniris organise des rencontres régionales, la dernière a eu lieu en novembre dernier à Lyon. "On essaie de faire deux à trois rencontres régionales par an. Actuellement, on est en train de s’organiser pour de prochaines rencontres mais là, avec le coronavirus, c’est un peu particulier".
Ces évènements sont un succès affirme-t-elle.
Ça réunit entre 20 et 30 personnes à chaque fois. Ce sont soit juste des rencontres entre personnes, soit des rencontres avec une conférence tenue par des professionnels.
- Gaëlle Jouanjan, vice-présidente de l'association Gêniris.
Des parents désemparés et souvent démunis face à cette maladie. "On sent que les gens ont besoin de partager leurs expériences, d’avoir l’avis de personnes qui vivent avec la maladie depuis longtemps car souvent, les familles qui se présentent sont celles avec des nouveaux-nés à qui on vient de diagnostiquer la maladies", affirme Gaëlle Jouanjan.
Sylvain Le Pape le reconnaît, trouver cette association a été une chance. Grâce à elle, ils ont été mis en contact avec toute une communauté de parents, soit directement atteints par la maladie, soit ayant un petit garçon ou une petite fille malades. "On est en contact avec un couple qui habite près de Pau dont le petit garçon a été diagnostiqué comme atteint d’aniridie. Il a un mois d’écart avec Léa. On s’échange des conseils, des informations qui paraissent anodines mais qui sont importantes pour nous, sur nos ressentis, l’évolution de nos enfants", explique le père de Léa.
Ça permet de vider son sac, ça fait du bien. On se sent moins isolés.
- Sylvain Le Pape, père de Léa.
En plus d’apporter un soutien personnel aux familles, l’association accompagne également les parents dans l’évolution de la maladie "Gêniris nous a soutenu car il y a beaucoup de rendez-vous, les soins sont lourds. On nous a aidé à remplir certains documents de prise en charge sociale. C’était un soulagement d’être accompagné", explique Sylvain Le Pape.
Récolter des fonds pour la recherche
Un sentiment d’isolement et d’injustice qui se ressent chez beaucoup de familles et se traduit pas une volonté de trouver des solutions pour financer la recherche.
C’est une maladie rare car on ne la connaît pas. Comme ce n’est pas un problème de santé publique, on se dit que ça n’intéresse pas les gens.
- Sylvain Le Pape, père de Léa.
Si la France a été le premier pays à se doter d’un plan national de santé publique "maladies rares" dès 2004, les recherches sur l’aniridie sont encore loin d’être optimales et les fonds publics ne sont pas toujours au rendez-vous. "La recherche est plutôt orientée vers des problèmes de rétines, alors que nous on est plutôt orienté sur la partie antérieure de l’œil, le segment antérieur", explique la vice-présidente de l’association.
Mais depuis 2013, l’association consacre tout de même 10.000 euros par an à des projets de recherche. Le conseil médical est là pour aider l’association, conseiller sur les informations à transmettre aux patients mais aussi sur les projets à financer ou à cofinancer. "On fait partie des rares associations à avoir été soutenues par l’AFM téléthon (Association française contre les myopathies) pendant deux ans. Ils nous ont donné 85.000 euros sur deux ans. On a financé des projets de recherche sur les gênes impliqués dans la maladie, ophtalmo clinique…", affirme Gaëlle Jouanjan.
La course des héros à laquelle participe Sylvain Le Pape est une campagne mise en place par Alvarum, permet aux associations de récolter des fonds afin de financer des projets dans la recherche médicale. "On a 15 collecteurs ou familles qui se sont inscrits à notre profit et récoltent des fonds. Il faut collecter minimum 150 euros pour participer à la course de manière connectée (à cause du covid) le 28 juin. Pour l’instant, on a dépassé les 16.000 euros de collecte de fonds avec les 15 personnes, on a jusqu’au 19 juin pour collecter des fonds".
À ce jour, la famille de Léa a récolté 1.890 euros. Cette collecte est capitale pour Sylvain et Célina. Leur but est de sensibiliser à la maladie, savoir que l’aniridie existe et qu’il y a cette collecte de fonds pour aider à améliorer la qualité de vie des malades et éventuellement restaurer la vision. "On se sent abandonné, mis de côté, on essaie de trouver des solutions et ça passe par la récolte de fonds pour la recherche. Par le fait qu’il y ait trop peu de recherches sur cette maladie, on a l’impression que c’est une perte de chance pour Léa qui pourrait, au cours de sa vie, bénéficier de thérapies qui pourrait lui restaurer la vue et qu’elle puisse découvrir le monde comme nous le voyons", affirme Sylvain, désemparé.
La recherche avance très lentement dans ce domaine-là et pour Léa et les autres enfants atteints de cette pathologie, leur vue va continuer à se dégrader et vont la perdre une fois adulte et on trouve ça injuste.
- Sylvain Le Pape
Actuellement, Gêniris travaille, en partenariat avec le centre Ophtara, sur un projet d’éducation thérapeutique du patient, qui complétera le protocole national de diagnostic et de soins sur l’aniridie. "Le patient sera l’acteur central de sa prise en charge. Nous voulons qu’il soit au courant de sa pathologie, de comment il peut la prendre en charge, quand il doit s’inquiéter ou pas…", analyse Gaëlle Jouanjan, vice-présidente de l’association.
Si Sylvain Le Pape accueille cette nouvelle avec joie, lui et sa compagne n’en restent pas moins inquiets pour l’avenir de leur petite fille.
Est-ce qu’elle s’intégrera à l’école, est-ce qu’elle aura des amis, va-t-elle un jour nous en vouloir de l’avoir laissé vivre ?
Autant de scénarios et de questions qui restent aujourd’hui sans réponse pour les parents de la petite Léa.