Ils sont de plus en plus nombreux à oser en parler. Les étudiants en médecine, externes ou internes dans les hôpitaux, n'en peuvent plus. Entre leur travail à l'hôpital et les cours, ils sont confrontés à une surcharge de travail mettant parfois leur santé en danger alors qu'ils sont sous-payés.
Une rapport de l'ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France) a dressé un constat alarmant de l'état de santé psychique des étudiants en médecine. Plusieurs associations d'étudiants en santé ( médecine, pharmacie, infirmiers..) ont mené ces derniers mois une étude auprès des étudiants, amenés à s'exprimer sur leurs conditions de travail, d'étude et de vie. Les conclusions de ce rapport sont sans appel et laissent apparaître un mal-être très profond et quasi-généralisé. Près de 30% des étudiants en médecine déclarent souffrir de dépression et, toutes spécialités confondues, une grande majorité d'entre eux ne se sent pas assez soutenue. Ce rapport a été rendu public dans une lettre ouverte publiée par ANEMF cette semaine. Elle se fait l'écho de la colère des étudiants.
Malgré les multiples promesses, la colère des étudiant.e.s en santé est encore là, et elle demeurera tant que les abus seront présents...Nous, étudiant.e.s en santé, ne supporteront plus d’être malmenés, utilisés, d’avoir une formation baclée, comme en témoigne notre lettre ouverte. Nous attendons maintenant des actes de la part de nos interlocuteurs institutionnels et locaux.
La lettre ouverte signée par huit associations d'étudiants explique que " la pression toujours plus impitoyable générée par les examens, l'apprentissage intensif et le bachotage de connaissances engendrent des risques psycho sociaux, l'isolement et le repli sur soi ". Ces associations mettent directement en cause le rôle des politiques publiques qu'ils jugent " indifférentes face à la maltraitance en stage des étudiants de santé " et d'abandon du " système de santé qui se trouve contraint d'exploiter ses soignants de demain."
Volontaires pour lutter contre la Covid malgré tout
A Poitiers, comme dans toutes les universités de France, longtemps les étudiants en santé se sont tus, cachant leurs difficultés et leur mal-être qui auraient pu être interprétés comme une faiblesse. Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ont décidé de sortir du silence. La crise de la Covid-19 a précipité cette nécessité de parler, en accentuant les failles qui existaient déjà.
Certains étudiants se sont portés volontaires ou ont été réquisitionnés pour apporter leur aide au personnel soignant. Ils ont accompli des remplacements d'aide-soignants ou d'infirmiers, ont aidé à réaliser les tests PCR ou ont travaillé dans les centres d'appel de l'ARS. Une activité qui s'est rajoutée aux heures de stage et aux cours et qui a conduit à enchaîner des semaines de travail, bien supérieures aux 48 heures contractuelles. C'est ce qu'a vécu Benjamin Bigaud pendant plusieurs semaines.
J'ai fait des vacations d'aide-soignant à l'hôpital de Châtellerault. J'ai fait le choix de faire les vacations le week-end. Donc en plus des stages, je faisais environ 80 heures par semaine sans compter les études.
Une crise d'angoisse à l'approche des examens
Mathilde, elle, a choisi de dire stop avant de perdre pied, ne supportant plus la pression qui s'accumulait chaque jour. Elle a décidé de redoubler pour aborder ses études dans de meilleures conditions.
On est lâché sans assez d'aide comme externe à l'hôpital. On doit cumuler les stages et les cours à apprendre.
Aujourd'hui, elle se sent plus armée pour affronter la pression, ce qui n'exclut pas les moments difficiles. Cette semaine par exemple, elle a enchaîné les heures de stage dans un service du CHU et les gardes de nuit à effectuer. Elle voit le prochain partiel de janvier arriver très vite.
L'autre soir, j'ai eu une crise d'angoisse. J'avais eu une journée difficile à courir partout dans le service et je me suis dit que si c'était tous les jours comme ça avec des horaires pas possibles, je n'arriverai jamais à préparer mon partiel pour janvier.
"90 centimes de l'heure, ce n'est pas décent"
Ces étudiants ont l'impression de toujours courir après le temps sans avoir jamais celui de se poser ou de faire autre chose que travailler ou étudier. D'autant que tous affirment que, pour eux, le plus difficile à supporter c'est le manque de reconnaissance. Ils prennent à témoin leur salaire, qui n'en est pas un.
Je ne conçois pas que l'on puisse être si peu reconnaissant du travail des étudiants. Pour moi, payer quelqu'un à 90 centimes de l'heure en temps qu'externe, ce n'est pas décent. Cela me révolte.
Chaque mois, les externes du CHU gagnent entre 100 et 150 euros, même pas de quoi s'acheter les livres nécessaires aux études. Pour l'ANEMF, une meilleure reconnaissance de leur travail passe avant tout par une augmentation financière. C'est, aussi, ce que demande Benjamin Bigaud.
Les étudiants sont souvent les premières personnes qui vont vous accueillir quand vous arrivez à l'hôpital, aux urgences. Ce sont les personnes qui vont vous faire les points de suture, qui vont faire les plâtres, sous la supervision d'un senior souvent. On demande une vraie reconnaissance de notre travail. On ne demande pas un salaire exorbitant. On demande juste le même salaire que les étudiants dans les autres filières, 3,90€ net de l'heure.
Les externes sont devenus, au fil des ans, un rouage important du fonctionnement des services hospitaliers. Pendant leur stage, chaque matin, "ils visitent tous les patients, notent les observations les concernant et signalent les problèmes, effecteunt les visites avec les médecins et peuvent être amenés à faire des examens cliniques complémentaires, comme les ECG,. Ils doivent aussi accomplir des tâches administratives. On peut aussi faire les dossiers d'entrée des patients." énumère Mathilde, étudiante en 4ème année qui ajoute que les heures d'astreinte ne leur sont pas payées.
80 heures par semaine pour certains internes
Ce malaise et cette anxiété, renforcés par leur participation aux deux vagues de l'épidémie de Covid, atteint la quasi-totalité des étudiants externes. Des maux qui touchent tout autant leurs aînés. Les internes sont mieux payés (pourraient-ils vraiment l'être moins). Mais leur salaire ne dépasse pas le SMIC ou reste juste en-dessous pour un nombre hebdomadaire d'heure qui s'envole. Nils Antonorsi, le président du bureau des internes de Poitiers se demande comment concilier cette vie professionnelle "qui prend en fait toute la vie" avec la poursuite des études.
Une étude, qui date de six mois, montre qu'en moyenne, un interne fait 57 heures par semaine et pour les chirurgiens, en moyenne, ça monte aux alentours de 70. Ceux qui sont en plateau, les neuro-chirurgiens tournent à 80 heures. C'est compliqué, nous sommes très peu à être à 48 h, comme le dit la loi.
Pour lui, la principale difficulté est ailleurs. Elle est dans la responsabilité médicale importante et parfois trop lourde que les internes doivent assumer.
On se retrouve catapulté interne. On se retrouve médecin avec toutes les responsabilités concernant les patients...Les gardes de nuit, c'est ce qu'il y a de plus dur pour les internes les plus jeunes. On se retrouve à gérer les cas compliqués et graves en étant un peu seuls. C'est alors que les internes se retrouvent le plus en difficulté.
Il estime être parfois mal accompagné, non pas par désintérêt des médecins plus confirmés ajoute-t-il, mais en raison d'un manque de moyens généralisé dans l'hôpital.
"On a peur des suicides"
Le constat est amer pour le jeune interne. Il dit aimer son métier mais constate qu'autour de lui les signes d'anxiété et de syndrômes dépressifs sont fréquents.
Le système de santé français, aussi bien soit-il, commence à écraser les étudiants en leur mettant des responsabilités qui les dépassent en fait. On retrouve souvent des internes au bout du rouleau, on a peur des suicides. Il faut donner les moyens aux jeunes médecins d'être formés correctement sans se demander si en venant au CHU le matin, on ne va pas mettre la voiture contre un arbre, c'est inacceptable.
"On est tous passés par là", témoigne Nils, "tout cela nous demande des ressources que nous n'avons pas tout le temps."
La douleur, la mort, les étudiants y sont confrontés tous les jours à l'hôpital, et encore plus avec la crise de la Covid, notamment dans les services de réanimation, mais combien d'entre eux sont vraiment armés pour les affronter ?
"Il n'y a pas vraiment de formation pour cela dans nos études" déplore Benjamin Bigaud.
Personne ne nous apprend à gérer la souffrance des malades et de leur famille.
Pour mieux préparer les jeunes médecins, l'ANEMF a proposé un mentorat étudiant/enseignant. Un tuteur pourrait ainsi accompagner chaque étudiant pendant toutes ses études pour faire avec lui le débriefing des situations les plus compliquées. Une façon de prendre soin de la santé mentale de chaque étudiant en santé, confronté chaque jour à sa propre anxiété, et à celle des autres.