Pour les fêtes, ils ont montré le meilleur d'eux-mêmes : ils ont organisé une collecte de jouets pour les enfants défavorisés. Des élèves de 1ere d'un lycée de Poitiers luttent contre la mauvaise réputation de leur classe. Un travail pour retrouver l'estime de soi. Car la réussite est à leur portée. Reportage dans une classe de STMG.
Parce qu’au départ, il y a un cri du cœur : « Je n’en peux plus de les entendre me dire : " Madame, nous, les filles, on fera rien ! On sera femme de ménage ou femme au foyer." »
Au départ, il y a Emilie, la rage au corps. Qui ne veut en laisser tomber aucun. Une professeure de gestion, désignée "prof" principale de cette classe de première au lycée Camille Guérin à Poitiers. Elle ne veut pas que l’on donne son nom, parce qu’elle veut avant tout que l’on parle d’eux, ses « attachiants » comme elle dit malicieusement. Et tendrement. D’ailleurs, on sait qu’elle va nous en vouloir de commencer par parler d’elle. Mais il faut bien un début, un passeur, quelqu’un pour ouvrir la porte et tendre la main.
Des cancres et une classe "poubelle"
Voici donc une classe qui, au premier abord, ressemble à toutes les autres. Trente-cinq élèves à l’image des adolescents d’aujourd’hui. Quelques-uns sont au tableau et écrivent. Visiblement, on surgit en plein débriefing. Une mise au point sur ce qui va et ne va pas dans la classe.
On a été prévenu, ils sont difficiles. Beaucoup de fortes têtes. Beaucoup qui se cherchent en fait. Et qui jaugent, jugent, chahutent. Des STMG. Ah bon ? Quand on est éloigné du lycée depuis quelques décennies maintenant, ce sigle ne signifie absolument rien. On découvre que STMG veut dire « Série technologique Management et Gestion ». À première vue, on ne voit pas ce qui pêche. Management ? Gestion ? Tiens, des jeunes qui ont la fibre entrepreneuriale, quelle chance ! C’est si rare. Mais non, STMG, comme « classe poubelle », là où atterrissent les cancres. C’est comme ça qu’eux-mêmes décrivent leur section. Il faut alors abandonner toute naïveté et les écouter.
L'obstination d'une professeure
« Quand j’ai dit à mes potes que je quittais la filière générale pour choisir STMG, ils se sont foutus de moi », confie Ewen Raveau. Le grand gaillard, réservé mais solide comme un rugbyman, ne s’est pas laissé décourager. Car lui, c’est ce qu’il voulait faire. « Je veux devenir manager du sport plus tard, peut-être dans le foot et intégrer STMG, c’était la meilleure option à prendre. » Mais beaucoup ont rejoint cette classe par défaut. Sans l’avoir voulu.
Au tableau, les bons points s’alignent. « Meilleure ambiance », « meilleure cohésion de groupe », « meilleure solidarité », « moins d’objets jetés en maths ». La classe semble revenir de loin. Depuis la rentrée, 6 exclusions, 2 mesures conservatoires, 1 conseil de discipline et 3 commissions éducatives. Mais visiblement les choses s’arrangent. D’ailleurs, on a beau chercher, scruter les visages, impossible de deviner qui sont les trouble-fête, les chahuteurs, les fortes têtes. Les élèves à soutenir plus que d’autres pour qu’ils trouvent leur voie et avancent sur leur chemin sans se perdre. « Ils sont notre futur », insiste Emilie, le dévouement à toute épreuve. « Cela aurait été trop facile de n’avoir que des bons élèves. Et parmi ceux qui sont considérés comme des cancres, il y a des perles et on passe à côté. Cela ne me va pas ! »
Quand les langues se délient
Un petit bout de femme à la parole cash qui n’épargne personne, surtout pas eux, ses "attachiants". « Cela me fait plaisir de voir votre tableau mais j’ai l’impression d’être dans le monde des bisounours ! Quand je suis seule avec vous, ce n’est pas du tout ça qui ressort ! » Pour cette séance de mise au point, la CPE et le proviseur adjoint se sont joints au cours. Il faut donc décoincer la parole. « Arrêtez ! Si vous voulez qu’on résolve les problèmes, il faut dire les problèmes ! Si vous avez quelque chose à dire, c’est maintenant ! »
Un coup de sang qui fonctionne : les bruits, les bavardages, les cours de maths perturbés, les langues se délient devant le proviseur adjoint qui entend leurs doléances. Et est obligé d’apporter des réponses.
Un sentiment d'injustice
Tandis qu’au fond de la classe, des yeux s’endorment, des regards se perdent dans le vide, le quotidien d’une classe de STMG se dévoile avec son sentiment d’injustice et de relégation. « Il y a beaucoup de préjugés sur les STMG ! », lâche une élève. « Et cela ne vient pas que des élèves mais aussi des professeurs », déplore-t-elle. « Les élèves qui ont un bon niveau s’entendent dire quand ils choisissent STMG : "Oh non ! Tu ne vas pas gâcher ta vie dans cette section !" »
Marie-Oumayna Imbo a 16 ans. Elle est brillante. C’est volontairement qu’elle a quitté la filière générale. « En 2nde générale, c’était compliqué pour moi. Je n’aimais pas la façon de travailler. Je me suis renfermée sur moi-même. En 1ere STMG avec ses spécialités, nous découvrons la gestion, l’économie, le droit, les ressources humaines, tout ce qui concerne les entreprises. Et cela me va beaucoup plus. » La jeune fille, vive d’esprit, veut travailler dans le tourisme. Elle se heurte aux incohérences de l’Education nationale et ne comprend pas que l’on propulse dans cette section toutes les personnes en difficulté scolaire. « STMG est une section faite pour ceux qui savent ce qu’ils veulent faire plus tard avec des matières nouvelles qui ne sont absolument pas simples. »
Le combat est gagné
Ewen Raveau, lui aussi, a trouvé sa place dans cette section. Il avait tout juste la moyenne en 2nde, désormais il atteint les 13 et aurait même plus s’il n’avait cette faiblesse en anglais. « Cela me plaît car on aura accès à des métiers qui sont bien aussi, comme celui de manager du sport qui m’intéresse. La filière générale, ce n’était pas assez vivant, pas assez concret. Trop de choses sans lien avec notre monde d’aujourd’hui. »
Deux élèves qui ont la maturité suffisante pour prendre du recul sur le mal-être de leur classe, et pour travailler sans se laisser perturber, avec un objectif professionnel en ligne de mire. Pour eux, le combat est déjà gagné.
Même si Emilie, leur professeure, doit les aider à ne pas se laisser étouffer par ceux qui déchargent leur trop-plein de vie et de vide à longueur de temps. Un rapport de force dans lequel elle ne concède aucune parcelle de terrain : « Si j’arrive à en sauver un seul, je n’aurais pas été prof pour rien ! »
Avec beaucoup de ténacité
Car il faut œuvrer aussi pour ceux qui sont arrivés là sans trop savoir comment. Avec le sentiment d’avoir été rejetés de partout ailleurs. Et qui vont cracher leur colère, leur déception, leur ressentiment par la défiance, la rébellion, la provocation. « On leur a tellement dit qu’ils étaient nuls qu’ils préfèrent ne rien faire de peur de mal faire. Et de mon côté, je constate la grandeur de leur potentiel ! », insiste Emilie. « Ils ont de grandes capacités cognitives et affectives. Ils ont des connaissances qu’ils ne mettent pas en œuvre, car ils pensent qu’ils ne connaissent rien. »
La tenace professeure travaille patiemment à leur redonner les armes les plus importantes qui soient en ce monde : la confiance et l’estime de soi.
Et c’est pour cela que la boîte mail de France 3 Poitou-Charentes a reçu des courriers réguliers d’une certaine Emilie, professeure d’un lycée de Poitiers afin qu’un journaliste se déplace pour assister à un beau projet sur lequel des élèves ont travaillé : une collecte de jouets au profit des enfants soutenus par le Secours populaire.
"À mes super élèves"
« Mettre en avant leur travail, leur investissement mais surtout montrer à mes super élèves qu’ils sont aussi importants que des 1eres générales et que des jeunes des quartiers ou en difficulté scolaire peuvent réussir des projets et rendre des sourires à des enfants. Ils sont certains que personne ne croit en eux. Montrons qu’ils ont tort. »
Le mail à la rédaction de France 3 a fait mouche. Bon, il faut bien avouer que les jeunes en question ont été déçus de ne voir arriver qu’une journaliste avec un simple carnet à la main. Pas de caméra, pas de micro, pas d’images au journal de 19h. Mais il y avait tant à dire qu’un reportage d’actualité en télé, un peu rapide, un peu succinct, n’aurait pu résumer toute cette richesse humaine.
On parle d'eux, en bien
Pendant trois semaines, ils ont collecté des jouets dans tout le lycée. Ils sont allés présenter leur projet aux autres classes. Ils ont fait parler d’eux. En bien. « Cette collecte va permettre d’avoir une meilleure image de la filière », se réjouit Ewen Raveau, le futur manager de club sportif. « Ça va montrer aux gens qu’on peut faire des choses, même en étant en STMG. »
Et l’heure est venue de confier la collecte aux bénévoles du Secours populaires qui vont repartir les bras chargés de peluches, de jeux, de jouets. « C’est quelque chose qui me tient à cœur de soutenir des causes comme celle-ci, j’y suis très sensible », confie Marie-Oumayma Imbo, la future hôtesse de l’air ou responsable de complexe hôtelier (Oui, rêvons grand pour elle). « Des enfants dans le besoin ou malades auront des jouets pour penser à autre chose que leur situation. »
En quête de sourires
Justement, Emilie, la professeure, souhaitait qu’ils se rendent compte que d’autres étaient plus démunis qu’eux. « Et en faisant quelque chose d’utile, on gagne de la confiance en soi. » Une professeure très fière de ses élèves et qui le leur clame aussi souvent que possible.
Pour la photo et le souvenir, chacun se saisit d’un jouet. L’atmosphère devient légère, les sourires s’emparent des visages. « Voilà ! Regardez ! Des sourires ! C’est ce que je voulais voir ! Car il en manque… »
Aujourd’hui, ces jeunes, en décrochage, ne saisissent pas toujours le sens et l’intérêt de ces actions pour eux. « Sur le moment immédiat, nous n’avons pas forcément de résultat », indique Franck Renaud, proviseur adjoint au lycée Camille Guérin. « Mais plus tard, les élèves reviennent et nous disent : "Vous avez bien fait." »
L’année dernière, la filière STMG n’a eu que 75 % de réussite au bac. Mais le lycée ne désespère pas : il veut que cette classe atteigne les 95 %. L’équipe enseignante le sait : beaucoup de ces élèves sont aptes à faire de grandes écoles ensuite. Il faut juste que ces adolescents finissent par en être convaincus eux-mêmes.