Le saviez-vous ? Poitiers est l'une des villes de référence en matière de scolarisation des personnes sourdes. Focus sur ce travail de longue haleine qui ne s'est pas fait sans difficulté.

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Vendredi matin, 8h30. Dans cette classe de 6e du collège Henri IV à Poitiers, la vingtaine d’élèves présente est concentrée. Tous doivent construire une fusée à eau. Les visages sont sérieux, les mains dessinent frénétiquement. On ajoute quelques couleurs par ici, on change les dimensions par là. Les croquis prennent forme petit à petit.

Dans le coin gauche de la grande salle de technologie, un groupe de trois élèves attire mon attention. Sam*, de grandes lunettes vertes sur le nez et un survêtement bleu sur le dos, et Sarah* bougent leurs mains dans tous les sens.

Avec son pantalon rose, ses cheveux bouclés et son tee-shirt gris, Sarah ressemble à n'importe quelle jeune fille de 12 ans. Rien ne laisserait imaginer qu'elle est en fait sourde de naissance.

En me rapprochant d'eux, je comprends qu'elle et Sam, également sourd, tentent d'expliquer à leur camarade Arthur*, entendant, la manière dont ils doivent construire les ailerons de leur fusée. Mais à vrai dire, je suis bien la seule à être intriguée par cette discussion très gestuelle. Les autres élèves, trop occupés par leur propre fusée, n'y accordent pas le moindre coup d'œil.
 

 

Poitiers, une terre d’accueil depuis 1885


Sam et Sarah ne sont pas les premiers sourds à être scolarisés à Poitiers. La cité pictave a en effet une longue tradition d’accueil des personnes souffrant de surdité. Tout a commencé en 1885 avec Marie Heurtin, une jeune fille sourde et aveugle de naissance.

À dix ans, elle est envoyée à l'institution de Larnay Sagesse, située à Biard (Vienne). Là-bas, les religieuses s’occupent de son instruction et de son éducation. Elle y apprend alors la langue des signes et le braille. Au bout de quelques années, elle réussit enfin à communiquer avec le monde extérieur.

Marie Heurtin représente l’exemple parfait pour montrer les difficultés auxquelles les personnes atteintes de surdité peuvent être confrontées. La première étant les problèmes de communication.

En France, on compte 300 000 personnes atteintes d'une surdité profonde et seulement un tiers pratiquerait couramment la langue des signes française (LSF), selon la Fédération nationale des sourds.
 
 
Pourtant, connaître la LSF est essentiel pour les personnes sourdes. C'est un peu comme leur langue maternelle, la plus simple à apprendre pour elles. "La LSF est un droit, tous les enfants sourds doivent pouvoir apprendre dans cette langue, affirme Maël Bin, membre de l’association Deux langues pour une éducation centre-ouest (2LPECO). Elle permet à l’enfant d'être plus épanoui et de dialoguer plus rapidement avec son entourage."

Les défenseurs de la langue des signes ont donc milité de nombreuses années avant qu'elle ne soit officiellement encouragée par l’Éducation nationale (en 1991). Et elle n'a été reconnue comme une langue à part entière qu'en 2005 avec la loi sur l’égalité des chances. Mais malgré ces textes, les choses n'avancent pas vite.
 

Des parcours bilingues peu répandus


Peu d’établissement en France permettent aujourd'hui une scolarité bilingue en français et en langue des signes. Il existe seulement quatre filières de la maternelle au lycée : elles sont situées à Poitiers, Toulouse, Lyon et Champs-sur-Marne. 

En juillet dernier, Poitiers a accueilli une rencontre entre des parents d'enfants sourds venus de toute la France et des enseignants et interprètes. L'objectif de cette rencontre, organisée par l'association 2LPE, est de mutualiser les méthodes d'éducation mises en place dans chaque ville pour les parcours bilingues LSF/français pour les enfants sourds. Vous verrez dans ce reportage que Poitiers fait référence en matière d'éducation et d'intégration des personnes sourdes.

Cette faible quantité oblige très souvent les parents à déménager pour que leurs enfants puissent bénéficier d’une scolarité adaptée à leurs besoins.

"À Poitiers, on a 80 élèves sourds inscrits dans le milieu ordinaire. La plupart ne sont pas originaires du département, explique Mathieu Grenier, chargé de la mission accueil et accompagnement des élèves handicapés pour l’académie de Poitiers. Les parents viennent chercher un accompagnement spécifique et une aide personnalisée. C’est ce que nous essayons de fournir."
 

Effacer les notions de handicap et de différence


Pour Sarah et Sam, en tous cas, l'intégration semble se faire à la perfection. Leur ami Arthur a même appris quelques mots en LSF pour dialoguer plus facilement avec eux. 

"On sent que les enfants sont curieux et qu'ils cherchent à aider leurs camarades sourds", constate Linda Dupuis, interprète depuis une dizaine d'années au collège Henri IV. Avec ses années d'expérience, elle a vu le comportement des élèves entendants évoluer au fur et à mesure que des camarades sourds arrivaient dans les classes.
 

Le fait de mélanger à la fois des jeunes qui entendent avec d’autres qui sont victimes de surdité, cela permet de faire évoluer les mentalités. Vu qu'ils grandissent ensemble, il n'y a pas cette peur ou cette agressivité que certains adultes peuvent parfois montrer envers les sourds. On efface les notions de handicap et de différence, constate l'interprète.


Des différences, ici, personne n’en fait. Les deux pré-adolescents sont traités de la même manière que leurs camarades. Aucun traitement de faveur n'est permis.  "Ils sont tous soumis au même régime, explique Gaëtan Guignard, enseignant. La seule chose que je fais pour adapter un peu mon cours, c'est de faire des pauses plus longues entre le moment où je pose une question à la classe et celui où j'interroge un élève pour que Linda ait le temps de traduire mes propos."
 

"Rien n’est impossible quand on a le bon accompagnement"


Au final, entre un élève sourd et un élève entendant, il n'y pas de grandes différences. Ils s'intègrent et réussissent tout aussi bien.

À Poitiers, la majorité des élèves sourds scolarisés en milieu ordinaire obtiennent le baccalauréat, parfois même avec mention. "Il n’y a pas de choix de parcours limités. Rien n’est impossible quand on a le bon accompagnement donc ils peuvent tout faire", assure Mathieu Grenier.

Tout au long de leur scolarité, les élèves sourds bénéficient d'une aide pour leur orientation. La ville a en effet plusieurs partenariats avec différents lycées dans le département qui peuvent accueillir des personnes sourdes.

De la mécanique à la littérature en passant par l'histoire de l'art, aucune branche n’est inaccessible. Mais certains progrès restent encore à faire, notamment du côté de l’éducation spécialisée.
 

Quand on est scolarisé dans un établissement réservé aux sourds, on nous apprend qu’on ne peut pas faire telle ou telle chose. Ils brisent les rêves, assure Jody Guilbert, président de l’association 2LPECO.


Heureusement, de petites améliorations se mettent en place progressivement en France pour faciliter l'accès aux études supérieures pour les personnes sourdes. Ainsi, de nouvelles opportunités se créent pour répondre du mieux possible aux attentes des élèves sourds.

* Les prénoms ont été modifiés
 
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