Vienne : Une journée au centre de psychotraumatologie de Poitiers

Nous avons choisi de passer une journée au centre de psychotraumatologie de l'hôpital psychiatrique Henri Laborit de Poitiers. Une immersion pour apprendre comment ces patients guérissent de ces traumatismes particuliers.

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C’est souvent comme ça sur le site de l’hôpital psychiatrique Henri Laborit à Poitiers, lorsqu’on y circule en voiture. On est confrontés à plusieurs ronds-points qui indiquent une multitude de noms de pavillons, chacun dédié à une pathologie. Moi je cherche le pavillon Pierre Janet, entrée 4.

Je le trouve enfin, un peu à l’écart, à l’abri des regards. C’est ici que se trouve le centre de psychotraumatologie Nord de Nouvelle-Aquitaine. Au premier étage du bâtiment, on soigne les traumatismes psychiques, ceux qui ont des conséquences dans la vie de tous les jours alors que les faits se sont passés il y a longtemps.

L’équipe du Centre, presqu’au complet, m’accueille avec le sourire. Des infirmières, des psychologues, des psychiatres, et une coordinatrice, elles sont cinq femmes en tout. La responsable est la psychiatre Mélanie Voyer, cheveux blonds, aux yeux clairs et surtout une voix très apaisante. C'est elle que je vais suivre toute la journée pendant ses consultations.

Au cours de cette petite présentation du centre et de l’équipe, j’ai une première surprise : Le docteur Voyer est catégorique : "oui, on peut guérir d’un psychotraumatisme !"

Des méthodes quasi miraculeuses

A les écouter, les méthodes appliquées ici sont quasi miraculeuses. Cela fonctionne à tous les coups ou presque, en seulement quelques séances. Ces pratiques portent des noms un peu complexes : L’EMDR, un acronyme anglais pour eye movement desensitization reprocessing. En français, on utilise seulement l’abréviation, EMDR, plus facile à dire. L’autre technique est appelée méthode Brunet pour simplifier le nom barbare de « thérapie de reconsolidation ».

Tout au long de la journée, je vais voir l’application des deux méthodes.

La première patiente de la matinée est Amandine, 25 ans, une jeune femme vive et pétillante. Elle s’exprime par des phrases claires, les mots sont précis. Elle vient pour sa 2eme séance d’EMDR. Le docteur Voyer et sa patiente se font face, chacune dans un fauteuil. « Replongez-vous dans votre souvenir, dans ce qui s’est passé, Amandine » murmure la psychiatre. La jeune femme ferme les yeux un instant pour les rouvrir et se concentrer.Un étrange ballet

Mélanie Voyer commence alors un étrange ballet avec l’une de ses mains. Sa main, et deux doigts tendus, vont à droite, à gauche, à droite, gauche.

Amandine suit des yeux le mouvement pendant que le médecin prononce à voix très basse des phrases apaisantes : « Je vous accompagne, vous êtes en sécurité ici, un pied dans le passé, un pied dans le présent ». Le ballet de la main cesse un instant pour faire réagir Amandine : « J’ai mal au ventre, j’ai une boule au ventre ». La main de la thérapeute reprend quelques minutes, puis s’arrête. « Je me sens vide, mon émotion, c’est du dégoût », dit Amandine.

A la fin de cette séance, la jeune femme se dit plus apaisée.

« Je suis venue ici car j’avais besoin de me construire, confie-t-elle en interview, pour enfin vivre ma vie d’adulte. Je suis très motivée et je me sens prête à affronter mon traumatisme. J’ai besoin de retrouver ma concentration. Souvent je mets ces souvenirs dans un tiroir mais parfois ils résistent et s’échappent ». Amandine a été abusée sexuellement de l’âge de 13 ans à 22 ans.

Elle repart de la salle, le sourire aux lèvres.

Ce que je viens de voir m’interpelle. Comment ce travail entre des gestes de la main suivi par les yeux peut-il agir sur le cerveau ?

L’EMDR a été inventé dans les années 90. « On ne sait pas encore très bien pourquoi, dit Mélanie Voyer, mais il est avéré que par ces mouvements des yeux, le souvenir traumatique se transmet aux deux hémisphères cérébraux. Et en lui apportant une émotion calme cette fois il se réinscrit différemment dans la mémoire. C’est comme si on remettait un circuit en marche. »

Ecoutez ici l’interview de Mélanie Voyer sur comment fonctionne l’EMDR

(Durée : 1'26)

Mélanie Voyer, psychiatre

La patiente suivante a 40 ans, elle s’appelle Lise. Cela fait six fois qu’elle pratique l’EMDR. Sa dernière séance a duré deux heures au lieu de 45 minutes. Un temps qui lui a permis de réactiver les émotions et sensations ressenties lorsqu’elle a été sexuellement abusée à l’âge de 2 ans et demi. Jusque-là, impossible de se souvenir de ce traumatisme de la toute petite enfance. 

Ça a été révolutionnaire, j’ai entendu la voix de mon agresseur me dire :  tu ne diras rien. Depuis, je me sens apaisée et beaucoup plus légère. Je n’ai plus de crises d’angoisse, c’est bluffant. Je me sens tellement bien.

Lise, patiente du centre de psychotraumatologie de Poitiers

Ecoutez ici le témoignage de Lise

(Durée : 1'51)

La patiente suivante vient pour un tout autre trauma qui peut arriver à chacun d’entre nous.

Corinne (nom d’emprunt) a 50 ans, sa vie a basculé en novembre 2019, une nuit, sur une route mouillée. Un terrible accident de voiture, une collision qui fera un blessé grave. « Je n’ai plus de vie sociale depuis. Je suis vite débordée, je stresse, je vois le temps filer sans avoir rien fait. Tout prend d’énormes proportions », m’explique-t-elle.

Aujourd’hui c’est sa 2eme séance. La nuit qui a suivi son premier rendez-vous, elle s’est mise à suer abondamment la nuit, une odeur nauséabonde, liée au stress. « j’ai eu l’image de la voiture, du visage en sang. »

Le docteur Voyer lance son ballet et ses mots apaisants. Corinne revit l’accident, elle décrit la nuit, la pluie, les tonneaux qui ne s’arrêtent plus, la ceinture qui l’étouffe, l’angoisse de l’attente d’être secourue, les pompiers. La scène est très claire. Il lui faudra quelques minutes pour récupérer un peu. Les séances secouent, c’est certain. « Mais je suis tellement soulagée de savoir qu’il y a la perspective d’une solution, d’un remède », souffle-t-elle avant de partir.

VIDEO - Mouvements du docteur Voyer

Un accident de la route peut-il vraiment constituer un traumatisme ? Selon Mélanie Voyer, les chiffres sont éloquents. « 4 à 5 mois après un accident de la circulation, dans 40% des cas il y a un stress post traumatique. L’accident quelle que soit sa nature, peut constituer une effraction psychique qu’il faut soigner ».

Et pourtant le centre en voit peu dans sa patientèle. Cela demande un gros travail de dépistage de la part des médecins. Il leur faut associer des troubles de stress, des états dépressifs à un événement concret, pas forcément dramatique. Pourtant cet état porte un nom, on parle de trouble de stress post traumatique, TSPT.

Patient suivant, cette fois c’est un homme, Pierre, (nom d’emprunt) la cinquantaine. Son regard est vide, ailleurs. Il me dit bonjour sans réellement me voir. Je le sens très très loin. Pour lui, le docteur Voyer a choisi une autre méthode, la fameuse méthode Brunet, du nom du psychiatre qui a mis au point cette « thérapie de reconsolidation » en 2008. Cette fois, pas de gestes ni de mots.

Le propranolol, un béta-bloquant efficace

Le principe est, qu’une heure avant la séance, le patient doit avaler une pilule de propranolol, un béta bloquant qui va calmer et agir directement dans le cerveau.

« Lors de la première rencontre, le patient écrit et décrit son événement traumatique. Ensuite , à chaque séance, il devra le relire à voix haute, sous l’influence du médicament », explique Mélanie Voyer.

Je suis à nouveau très surprise d’apprendre qu’une lecture à haute voix soit si efficace… Jusqu’à ce que j’entende Pierre.

Pierre est enseignant depuis prés de 30 ans. Lors de la première séance, il a donc écrit son texte. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’il le lit à voix haute. Il commence son récit après un long silence. Avec difficulté, il raconte, en lisant, comment il a été agressé, frappé par un élève dans un couloir, en 2017.

Pierre s’interrompt au bout de quelques lignes, en pleurs, avant de se reprendre et de poursuivre sa lecture. Sa voix s’affermit un peu à la fin du texte. Il est évident que toutes les images ont été réactivées, c’est exactement l’objectif du médicament.Ce patient repart dans un état second. Il lui reste encore quatre séances au moins, cela peut aller jusqu’à dix.

VIDEO - Comprendre le mécanisme de la méthode Brunet

Mélanie Voyer, psychiatre

Quelques minutes plus tard, le téléphone sonne dans le bureau, le patient de 15H30 est arrivé. C’est aussi un homme.

Wenceslas a 39 ans, il est militaire. Kosovo, Afghanistan, Tchad, il est allé en zone de guerre, parce que c’était son métier, son envie. Mais en 2012, en Afghanistan, sa carrière bascule. Son camp est attaqué par des tirs de rocket. Un assaut qui a duré 10 heures, sans fin. Par miracle aucun homme n’est tué, mais ces dix heures le hantent. Les théâtres de combat qui suivent ne lui font rien oublier, au contraire. 

 Et puis c’est la descente , l’alcool, les insomnies, le couple qui explose. Les psychiatres de l’armée me bourrent de médicaments depuis cinq ans. 5 ans, que je suis en arrêt et que je n’arrive pas à me relever.

Wenceslas, patient du centre de psychotraumatologie de Poitiers

Cela fait peu de temps qu’il a découvert l’existence du centre de psychotraumatologie, après des années d’errance entre différents psychiatres militaires.

Cette fois Wenceslas est très motivé.  « J’ai un petit bout de 6 mois qui me fait aller de l’avant ainsi que ma nouvelle compagne ».

Pour lui ce sera aussi une séance d’EMDR, sa deuxième. Le docteur Voyer tente de lui faire dire qu’il est « quelqu’un de bien », mais Wenceslas n’y arrive pas, c’est trop tôt.

Ecoutez ici le témoignage de Wenceslas

(Durée : 1'34)

Après ces cinq consultations, je me sens fatiguée. Je mesure toutes les charges émotionnelles qui ont été déversées ici en quelques heures dans ce grand bureau clair, aux étagères remplies de livres sur le psychisme. Je me demande comment fait cette psychiatre. « Heureusement que nous formons une équipe soudée avec les infirmières et les autres psychologues et psychiatres, cela permet d’échanger, de souffler nous aussi » . Les yeux de Mélanie Voyer pétillent et sont bienveillants.

Savoir que cela fonctionne, voir que les patients vont mieux en quelques séances, cela me motive et m’aide à écouter sereinement les histoires de chacun. 

Mélanie Voyer, psychiatre responsable du centre de psychotraumatologie de Poitiers

Je repars de ce lieu, toute étonnée de voir que l’on peut guérir d’un traumatisme psychique, sans passer par des années d’analyse.

Il faut dire que ces centres sont tout récents. Celui de Poitiers a ouvert en septembre 2019. Sa zone de travail regroupe le Poitou Charentes et le Limousin. Au vu des effectifs médicaux et les moyens du centre de psychotraumatologie, seuls les habitants de la Vienne peuvent accéder aux soins qui sont totalement gratuits. Victime de son succès, le centre prend en charge 150 patients mais la liste d’attente compte 100 à 150 de plus, soit six mois d’attente. Ce constat mine l’équipe, alors elle mise sur la formation. Former d’autres confrères pour constituer un réseau de ressources réparties sur les sept départements du territoire néo aquitain nord. Un autre centre existe à Bordeaux, pour gérer l’Aquitaine. Il a été ouvert en janvier 2020.

Avec la vague #metooinceste, les appels affluent et justifient encore plus l’intérêt de ces sites, nés en 2018 en France. Trois ans après les attentats qui ont secoué la France, et après le Grenelle des violences conjugales, un appel à projets avait été lancé pour mettre en place des centres de psychotraumatologie. Dix hôpitaux ont été retenus mais aucun en Nouvelle-Aquitaine .

CARTE - Les 12 centres de psychotraumatologie en France

C’est l’Agence régionale de santé qui a elle-même financé les deux centres de la plus grande région de France, non retenue, pour avoir ces dispositifs.

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