Bientôt, Paris se dotera d'une rue Dora Bruder, du nom d'un texte de Patrick Modiano. Certes, Dora Bruder a réellement existé mais elle est nourrie également de l'imaginaire du récent prix Nobel. L'occasion d'imaginer un Paris dont les adresses seraient les noms de héros de romans ou de fictions.
Il y aura donc bientôt une rue Dora Bruder à Paris.
Anne Hidalgo l'a annoncé afin de rendre hommage à Patrick Modiano. C'est le patronyme d'une des héroïnes d'un de ses romans éponymes. Ce sera l'une des premières fois qu'un personnage de fiction donne son nom à une artère de la capitale. (enfin presque puisque Dora Bruder a vraiment existé mais que cette quête nourrit l' imaginaire romanesque de Modiano).
Pourquoi ne pas généraliser cet usage ? Un héros de fiction a sans doute plus d'ancrage dans nos coeurs que d'obscures personnalités tombées dans les oubliettes de l'histoire.
La première option serait de débaptiser les rues portant le nom d'écrivain par des personnages issus de leur imagination. On pourrait ainsi renommer l'avenue Victor Hugo, avenue Cosette. Quoique ce serait un peu paradoxal pour ce quartier huppé de Paris. Choisissons donc l'avenue Jean Valjean. De même, la rue Balzac pourrait s'appeler rue Eugénie Grandet. Tout Paris pourrait d'ailleurs se parer des noms de tous les personnages de la Comédie Humaine, tellement la capitale y a une place primordiale.
C'est l'une des autres options. Donner le nom d'une rue à des personnages qui dans le roman y habitent. Ainsi le boulevard Richard Lenoir pourrait prendre le nom de boulevard Jules Maigret, en hommage au commissaire de Simenon. Il se situerait donc entre le boulevard Zadig (ex bd Voltaire) et le boulevard Figaro ( ex bd Beaumarchais).
Il faudra évidemment garder la spécificité des quartiers qui regroupent des célébrités ayant oeuvré dans le même domaine. Que faire des boulevards des Maréchaux ? Ces militaires de l'Empire ne disent plus grand chose à plus grand monde. Qui sait qui furent Davout, Berthier ou Suchet ? En revanche, Athos, Aramis, Porthos, Cyrano, Pardaillan ou Lagardère parlent plus à tous les Français et même aux touristes étrangers. J'habite au 37 boulevard d'Artagnan. Ca fait tout de suite plus rêver que le 37 boulevard Mac Donald.
Bien sûr, tous les écrivains ne sont pas romanciers. Mais baptiser l'avenue Montaigne avenue des Essais aurait un sens dans l'artère des grands couturiers de la capitale et des cabines d'essayage de luxe.
Il faudra évidemment arrêter cette volonté de désacralisation aux grands noms de l'histoire de France. Pas question de débaptiser l'avenue Foch ou la place Charles de Gaulle. Mais, ce dernier, après tout, est l'auteur de ses propres mémoires. On reste dans la littérature.
Moderniser les plaques de rues serait un bon moyen de donner un coup de jeune à la patronymie parisienne, trop ancrée dans un passé institutionnel. Ainsi la rue Gay-Lussac, haut-lieu des manifs de 68, pourrait s'appeler rue Gai-Luron.
La culture populaire ou la contre-culture devraient trouver leurs places aux côtés de la culture officielle et classique. Par exemple, la rue Monge, qui abrite les arènes de Lutèce, se régénérerait en rue Astérix. Et pour rendre hommage à une célèbre archéologue virtuelle, la rue des Pyramides prendrait un peu de rondeur en rue Lara Croft.
Et puis, en ces temps de mondialisation, il s'agirait de s'ouvrir au-delà du champ franco-français. La rue des Anglais deviendrait la rue Harry Potter et le boulevard des Italiens, le boulevard Pinocchio.
L'idée est séduisante mais dangereuse. Attention à ne pas tuer l'imaginaire des noms réels des rues de Paris en lui substituant ue imaginaire préexistant. Les romans de Modiano n'auraient pas la même saveur, s'ils se déroulaient rue Ferdinand Bardamu plutôt que rue de Lauriston.
C'est pourquoi, la rue Blanche ne changera pas de nom en hommage à la célèbre collection des éditions Gallimard.