ENTRETIEN. "Les concerts de casseroles veulent transmettre une colère populaire et couvrir une parole dominante"

Rituel ancien, les concerts de casseroles sont de nouveau popularisés depuis l'adoption de la réforme des retraites. L'historien Emmanuel Fureix de l'Université Paris-Est Créteil, co-auteur d'une "Histoire de la rue. De l'Antiquité à nos jours" parue l'an dernier aux éditions Tallandier, revient sur ce phénomène.

Quelle est l'origine des "casserolades" ?

"En perpétuant une vieille tradition protestataire, les auteurs de casserolades renouvellent le répertoire d'action contemporain. On perçoit des analogies très fortes avec le XIXe siècle où le charivari politique s'est diffusé dans les années 1820-1830. Il s'agissait alors de manifester par du tintamarre assourdissant la colère populaire contre des représentants politiques, en particulier après la révolution de 1830. Certains ont été particulièrement pourchassés comme Thiers ou Guizot. Les "charivariseurs", comme on disait à l'époque, ont détourné un très vieux rituel coutumier, le charivari, qui visait les veufs remariés à des jeunes filles. Aujourd'hui, la filiation n'est pas directe avec le XIXe siècle. Les casserolades se rattachent à un phénomène mondialisé depuis les années 2000. En particulier avec les "cacerolazos" en Argentine, au Chili et au Venezuela au moment de la crise financière, qui visaient à protester contre l'austérité. Puis en 2011-2012 avec l'occupation des places publiques par les Indignés en Espagne".

"Le charivari est un rituel d'humiliation"

Emmanuel Fureix, professeur d'histoire contemporaine Université Paris-Est Créteil

Quelle en est la signification politique ?

"Ces casserolades viennent après un débat parlementaire qui a échoué, après des manifestations traditionnelles. On peut y voir une invention, un bricolage de formes nouvelles de protestation adaptées à cette crise politique de la représentation. Il s'agit de porter par d'autres voies une colère populaire qui s'est déjà exprimée. Il y a l'idée aussi d'un contre-discours face à une parole officielle, en particulier lorsque les casserolades sont organisées le jour même de l'intervention du président de la République. Les deux se superposent: transmettre une colère populaire et couvrir une parole dominante".

Quelle attitude ont adoptée les pouvoirs visés ?

"Le charivari est un rituel d'humiliation. Il se déroule dans l'espace privé, c'est-à-dire sous les fenêtres de la personne visée. Au XIXe siècle, c'est le plus souvent au retour des sessions parlementaires que les députés étaient visés dans une sorte de tribunal populaire et même de contrôle des votes. Parfois, on les suivait aussi dans leurs déplacements comme c'est le cas aujourd'hui. Face à cela, au XIXe, c'est le mépris et l'impuissance qui ont dominé. Le mépris pour cette voix prolétaire jugée "populacière" et réduite à un vague bruit. L'impuissance aussi car les charivaris relevaient du simple tapage nocturne et les peines encourues étaient très faibles. Les procès, quand ils avaient lieu, se transformaient en tribunes pour les opposants. On voit bien que le pouvoir est tenté de réprimer mais il se heurte à la dérision générale avec l'impossible interdiction des casseroles. La confrontation devient la seule issue possible, sous la forme d'un dialogue de sourds. De ce point de vue, le rituel constitue un piège redoutable".

Avec AFP

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