REPORTAGE. Festival "Paris Courts Devant" : le handicap fait son cinéma

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Pour la deuxième année consécutive, le Festival de court-métrage "Paris Courts Devant" propose le concours "ça tourne en Île de France !" en version inclusive. Ce concours est destiné à promouvoir la visibilité des personnes en situation de handicap au cinéma. Année des jeux olympiques et paralympiques oblige, l’édition 2024 a choisi le sport pour thème imposé.

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"Moteur !" clame Romain Vesin, réalisateur du court-métrage, à ses onze comédiens. Chacun prend place dans un bus imaginaire, totalement mimé. Vanda Beffa, co-auteur du film et interprète du rôle de Carla, s'est mise en retrait pour le tournage de la prochaine scène : "là, le bus freine brusquement, c'est l'accident", m'explique-t-elle tout bas.

Ils enchaînent les prises dans cette rue de Bures-sur-Yvette, au cœur de la Vallée de Chevreuse. Le froid, 6°C au thermomètre, fige les visages mais n'altère pas l'enthousiasme. Romain repositionne ses troupes, c'est le tournage d'une des scènes principales de cette comédie romantico-burlesque. Vanda, alias Carla, fait face à Yaël Ciancilla, qui tient le rôle principal de cette fiction. Cette dernière interprète Eloïse, une jeune femme en fauteuil roulant. Elle joue à merveille ce rôle d'une personne en situation de handicap, et pour cause, atteinte d'une paralysie cérébrale depuis sa naissance, Yaël se déplace en fauteuil à la scène comme à la ville.

"Action !", dans le freinage brutal du bus, le fauteuil roulant d'Eloïse dévale toute l'allée centrale du véhicule pour atterrir dans les bras de Carla. Coup de foudre à Bures-sur-Yvette pourrait être le titre de ce film, mais c'est Pédibus qui est provisoirement plébiscité par les auteurs. Les bruitages prennent le relais, une mélodie chantée à l'unisson par les acteurs illustre cette rencontre amoureuse impromptue. Le film est muet pour mettre en valeur les mouvements, surtout ceux d'Eloïse et de son fauteuil. Champs et contre-champs s'enchaînent devant l'arrêt de bus L'Isles de la ligne 6. "Trois jours de repérage pour trouver un arrêt de bus proche d'une station de RER équipée d'un ascenseur", Vanda rappelle pourquoi ce lieu n'a pas été choisi au hasard. L'accessibilité est primordiale.

"Coupez !" Applaudissements pour cette première journée de tournage, toute l'équipe est là depuis 8 heures du matin. Yaël, moins mobile pour se réchauffer, est emmitouflée dans un plaid. L'équipe s'adapte à son handicap. "Avec une comédienne en fauteuil, il faut ajuster le timing pour tenir compte de la fatigue", précise Romain, "et la mise en scène mimée offre le luxe de créer de l'espace à volonté, pour laisser Yaël et son fauteuil jouer son rôle plus librement." Clap, perche et caméras sont minutieusement rangés pour la seconde journée de tournage le lendemain. Romain rappelle les consignes, la seconde scène importante va se jouer sur une piste d'athlétisme. Qui d'une paire de jambes bien ancrées dans le sol ou du fauteuil va triompher sur l'asphalte orange ?

L'absurde pour changer les regards

Pour écrire ce film choral et chorégraphique, Romain et Vanda sont partis du regard que le public porte sur le handicap et le caricaturent en utilisant l'absurde : "Le scénario met en exergue les bruits occasionnés par le fauteuil, qui peuvent gêner les personnes alentour." La caméra place souvent le spectateur au niveau de Yaël dans son fauteuil, "l'objectif est de montrer au public l'impact de la synchronicité des regards sur une personne handicapée", précise Romain.

Présentée six mois avant les jeux olympiques de Paris 2024, cette édition doit raconter le handicap et le sport dans toutes ses dimensions : l’adversité, les obstacles, les échecs, les victoires. Le sport a souvent été un sujet de fiction."Le dépassement de soi est très artistique", souligne Rémi Bernard, délégué général du festival Paris Courts Devant, "il offre une dramaturgie très forte".  

Un speed-dating en guise de casting

Les candidats ont sept jours pour réaliser un film de maximum dix minutes. Chaque équipe doit être autonome, techniquement et financièrement, et comporter au moins un rôle interprété par un(e) comédien(e) en situation de handicap.

Clap de départ au matin du 3 janvier, avec la réunion d’ouverture du concours au cinéma des 7 Batignolles, dans le 17ème arrondissement de Paris. Les candidats se présentent tour à tour, parmi lesquels une comédienne déficiente visuelle, un réalisateur porteur d’un projet, une monteuse, des sportifs handicapés, un maquilleur artistique, une actrice et danseuse fauteuil tout juste arrivée du Conservatoire de Montpellier. C'est Yaël, vite repérée par Romain Vesin pour son scénario.

Ce concours permet à de jeunes talents émergents, ordinaires et en situation de handicap, de créer des films ensemble. Les équipes constituées de passionnés du 7ème art, d’élèves d’école de cinéma, de techniciens, de comédiens en herbe, utilisent le prisme de l’art pour faire évoluer l’imaginaire collectif vis-à-vis du handicap. L’art est en effet porteur d’imaginaire. "Le film Intouchable a eu plus d’impact que 30 ans de combat associatif", soulève Rémi Bernard. Le but de ce concours est de changer les modèles de représentation : "La pédagogie artistique est d’une puissance incroyable", surenchérit-il.

L’attrait du dispositif est double. Fabriquer un film en un temps limité a pour avantages l’attractivité, le challenge, l’esprit de troupe et la rencontre de talents autour d’un projet commun. Il a également pour objectif de banaliser la présence de personnes handicapées dans le cinéma et les métiers de la production. Mélanger les mondes du cinéma et du handicap pour créer et consolider des habitudes de travail conjoint.

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Yaël se prépare pour une séance de course. ©Romain Vesin

"Les mentalités ont évolué, les comportements doivent suivre"

Le concours ça tourne en Île de France ! existe depuis cinq ans. En 2023, une rencontre bouleverse l’équipe du Festival Paris Courts Devant.  Ryadh Sallem, champion de basket-fauteuil et rugby-fauteuil, est sollicité en tant que référent sur le sujet imposé : Les mondes du handicap. Son parcours et sa détermination inspirent alors l’évidence, les personnes handicapées sont des acteurs comme les autres.

"Les efforts à fournir restent énormes", insiste Ryadh Sallem. Si les personnes en situation de handicap représentent 12% de la population en France, seulement 0,6% est visible à l’écran, selon un rapport du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) publié en 2020. Mais, comme le dit Ryadh Sallem avec poésie, "le monde du cinéma a cette capacité d’ouvrir les yeux." Il a pu constater que le fait d’être au cœur d’une production transforme le regard. Pour le champion paralympique, "l’art est un langage universel, le cinéma est le miroir de la société." Mais "si les mentalités ont évolué, les comportements doivent suivre", conclut-il.

Le concours ça tourne en Île de France ! veut montrer la voie et hausse le ton : sur 330 candidatures, 70 sont des personnes en situation de handicap, soit 21%. Ryadh Sallem félicite ce Festival qui "invite les personnes en situation de handicap à jouer leur propre rôle".

Et l'inclusion va encore plus loin, en invitant des handicapés à jouer des rôles de personnes ordinaires. C'est le cas d'Iliès, comédien et danseur de petite taille, recruté pour le tournage à Bures-sur-Yvette. 

507 heures comme tout le monde

Les accusations ne se portent pas uniquement sur un retard des mentalités. Le respect des réglementations est également pointé du doigt. Yaël est heureuse d'avoir été choisie par Romain Vesin, "pour une fois, ce n'est pas victimisant."

Elle regrette toutefois le cruel manque de rôle pour les personnes handicapées dans l'industrie du cinéma français. Une loi de 1987 oblige pourtant toute société de 20 salariés et plus à l'embauche de personnes en situation de handicap dans une proportion de 6 % de l'effectif total. Selon Yaël, cette loi n'est pas respectée : "les employeurs préfèrent payer des amendes plutôt que des assurances qu'ils jugent trop onéreuses." La jeune comédienne constate que "le handicap fait peur. Il affiche trop de contraintes pour les producteurs qui acceptent des scénarios dans lesquels des personnages valides se retrouvent handicapés", à l'image du film De rouilles et d'os. Une personne en situation de handicap doit, de surcroît, prouver une activité annuelle de 507 heures comme tout le monde, alors que "le handicap engendre plus de fatigue", rappelle Yaël. Il est donc très difficile d'obtenir un statut d'intermittent du spectacle.

Face à tous ces obstacles, le déclic est compliqué dans l’esprit des personnes handicapées elles-mêmes. "Elles pensent souvent que les castings ne leur sont pas accessibles. Elles se replient sur elles-mêmes et n’explorent pas de nouveaux réseaux", déplore Pascal Parsat, expert du vivre ensemble au sein du groupe de protection sociale Audiens, destiné aux professionnels de la création audiovisuelle. Aussi, les personnes handicapées sont mal informées en ce qui concerne leurs droits et les aides dont elles peuvent bénéficier. Pour Pascal Parsat, c’est une réalité de vie qui doit être intégrée dans leur carrière, "une situation prise en compte, et non prise en charge", défend-il.

Tous les films réalisés seront projetés le 17 janvier, durant le 18ème Festival Paris Courts Devant qui se tiendra du 12 au 19 janvier 2024 au Cinéma Les 7 Batignolles. Ce sont 8 à 10 films qui seront sélectionnés sur une trentaine de productions. La sélection officielle sera présentée devant un jury constitué de Ryadh Sallem, des réalisatrices Anne Berjon et Anne-Sophie Bailly, ainsi que du fondateur du média Handicap.fr Gilles Barbier. Le lauréat sera récompensé d’une dotation en moyens de production.

Retrouvez des extraits du court-métrage de Romain Vesin sur Instagram

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