Alors que le Dr François Braun a remis jeudi à Elisabeth Borne son rapport pour aider à désengorger les hôpitaux cet été, la Première ministre retient l'ensemble des mesures. Comment réagissent les professionnels face à cette "mission flash" commandée par Emmanuel Macron ?
Le gouvernement "retient bien toutes les propositions" du rapport Braun, a annoncé Élisabeth Borne ce vendredi, à l'occasion d'un déplacement au centre hospitalier René-Dubos de Pontoise (Val-d'Oise). Parmi ces "réponses de court terme", la Première ministre a notamment confirmé un "complément de rémunération" pour le travail de nuit des soignants, ainsi qu'un bonus de 15 euros par consultation "pour inciter les médecins (libéraux) à prendre des personnes en soins non programmés".
La cheffe du gouvernement a reçu jeudi à Matignon cette "mission flash". Ce document de 60 pages doit permettre d’aider à surmonter le manque de personnel dans les services d'urgences pendant "cette période estivale à haut risque".
Le rapport du Dr François Braun, président de Samu-Urgences de France, liste 41 propositions. La mission préconise d’accepter moins de patients, soit en les triant à l'entrée des urgences, soit en s'appuyant sur une "régulation médicale préalable systématique" par le standard téléphonique du Samu.
Le document propose ainsi une grande campagne d'information afin d’inviter les Français de contacter le 15 avant de se déplacer, et éviter la venue des patients ne relevant pas des urgences. Le rapport recommande aussi une "mise à niveau des effectifs" d'assistants de régulation médicale (ARM) afin d’absorber la hausse à prévoir des appels. D’autres recommandations visent à mieux payer les médecins libéraux à la régulation (à hauteur de 100 euros brut de l'heure défiscalisés), ainsi qu’en consultation (avec 15 euros supplémentaires par acte demandé par le Samu).
Pour ce qui concerne les personnels hospitaliers, la mission propose une revalorisation du travail de nuit et des ponts du 14 juillet et du 15 août, mais aussi une prime pour les équipes des urgences psychiatriques, pédiatriques et gynécologiques. Autres suggestions : s'appuyer davantage sur les pompiers dans certaines zones, et sur des équipes réduites du Samu sur le terrain, avec seulement un ambulancier et un infirmier.
"Ce sont des mesures d’urgence qui ne vont pas nous sortir de la crise"
Des mesures rejetées par le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf) et délégué national CGT Santé. Ce dernier a dénoncé sur Twitter "la fin du service public ouvert 24 heures sur 24" et "un État qui abandonne la population avec comme conséquence des morts évitables". Dans un entretien à franceinfo, l’urgentiste au Samu 93 pointe du doigt du "bricolage" et des recommandations "affligeantes" qui "mettent la population en danger".
De son côté, le Dr Frédéric Adnet, chef des urgences de l'hôpital Avicenne (AP-HP) à Bobigny (Seine-Saint-Denis), salue certaines "mesures de bon sens". "Le rapport propose notamment ce qu’on appelle du 'bed management', c’est-à-dire dédier du personnel pour pouvoir recenser les lits et hospitaliser les patients. Et ça on en a besoin. Ce n’est pas le métier des urgentistes d’aller chercher des lits pour aller hospitaliser les patients. Ça va dans le bon sens. Revaloriser le temps de travail pendant les gardes, ça va aussi dans le bon sens, on le réclame depuis longtemps", explique-t-il.
Mais le Dr Frédéric Adnet qualifie toutefois globalement le rapport de "sparadrap" pour passer l’été : "Ce n’est pas ça qui va résoudre les vrais problèmes de l’hôpital public. Il faut vraiment qu’il y ait une action structurelle, sur le long-terme… Là, ce sont des mesures d’urgence qui ne vont pas nous sortir de la crise que subit actuellement l’hôpital." Le chef des urgences de l'hôpital Avicenne appelle à "changer de logiciel" pour "rendre l’hôpital attractif", afin que "nos soignants reviennent à l’hôpital" face à "cette hémorragie de personnels".
"Dans mon hôpital, il y a 20% de lits fermés", indique-t-il. Au-delà de la crise sanitaire et de la nouvelle flambée épidémique de Covid-19, le responsable des urgences explique déjà que "même au quotidien, on a du mal à trouver des lits".
Des mesures qui "vont dans le bon sens" pour l'URPS Médecins Libéraux Île-de-France
Le Dr Valérie Briole, présidente de l'association URPS Médecins Libéraux Île-de-France, estime que "les mesures vont dans le bon sens". "Ce rapport a permis de mettre en lumière ce qui ralentit les prises en charge", explique cette rhumatologue libérale parisienne. Comme "point majeur", elle salue la recommandation qui vise à favoriser l’activité des médecins retraités, tout en suggérant, "pour être plus incitatif auprès de ceux qui veulent prêter main-forte", de "supprimer les cotisations de retraite que les médecins doivent continuer à payer" dans ce cadre. "Une autre réflexion : faire en sorte que ces médecins puissent voir leurs revenus défiscalisés", ajoute-t-elle.
Concernant le bonus de 15 euros par consultation pour inciter les médecins libéraux à prendre des personnes en soins non programmés, le Dr Valérie Briole explique que la mesure pourrait "se pérenniser", en soulignant le problème des déserts médicaux dans la région. Parmi les autres mesures, la présidente de l’URPS Médecins Libéraux Île-de-France salue également celles concernant "l'éducation de tout un chacun pour savoir quand aller aux urgences ou quand recourir à la médecine généraliste, pour mieux rééquilibrer les flux et permettre aux urgences de se concentrer sur les problématiques aiguës et graves".
Plus globalement, le Dr Valérie Briole souligne l’enjeu des déficits démographiques : "En 10 ans, l’Île-de-France, qui compte normalement 20 000 médecins, en a perdu 3700. Il faut anticiper la pénurie par la nomination des internes. On est prêt à ouvrir nos cabinets comme terrains de stage, c’est déjà fait en province. C’est un autre levier."
Enfin, alors que le rapport Braun ne propose pas d’obligation de garde individuelle pour les médecins de ville, la présidente de l’URPS Médecins Libéraux Île-de-France s’oppose à ce type de contrainte : "Les choses imposées, ce n’est pas la bonne méthode. Lorsqu’il y a des alertes par exemple pour les urgences pédiatriques, on a un lien avec des médecins prêts à soutenir. Mais à un moment donné, il faut composer avec la démographie et l’organisation des médecins."
Ces derniers mois, de nombreux services ont dû fermer ponctuellement leurs portes en région parisienne, faute de personnel. Les urgences de l'hôpital de Poissy-Saint-Germain (Yvelines) ont d’ailleurs rouvert mardi, après 60 heures d’interruption.