Quatre jours après la découverte du corps de Philippine dans le bois de Boulogne, les réactions politiques se multiplient. Visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), le principal suspect a été libéré début septembre sur décision du juge des libertés et de la détention de Metz. Le meurtre de Philippine aurait-il pu être évité ? Comment fonctionnent vraiment ces OQTF ? On fait le point avec des spécialistes du Droit.
À peine installé place Beauvau, Bruno Retailleau (LR), ministre de l'Intérieur, a condamné l’existence d’un "droit à l’inexécution des peines". À gauche, Fabien Roussel, le patron du PCF, a lui aussi réagi au meurtre de Philippine, dont le corps a été découvert dans le bois de Boulogne à Paris : "Un violeur est un criminel. Il aurait dû être surveillé. Ça n'a pas été fait. Il aurait dû être expulsé. Ça n'a pas été fait. L'Etat est défaillant ". Bref, à chaque fait divers, la question des OQTF est relancée.
"Depuis quelques années, il y a une politique de criminalisation des personnes étrangères. Un amalgame est entretenu entre étrangers et criminels. Or, il faut rappeler qu’une OQTF est d’abord délivrée parce que la personne est en situation irrégulière d’un point de vue administratif, et non pas parce qu’elle a commis un crime ou un délit", souligne Mélanie Louis, responsable des questions expulsion pour la Cimade, une association d’aide aux migrants.
Un taux d’exécution des OQTF inférieur à 7 %
Délivrées par les préfectures, les OQTF peuvent être prononcées après un refus de titre de séjour, une condamnation, un rejet d’une demande d’asile ou après un contrôle d’identité par les forces de l’ordre. En 2022 par exemple, elles ont prononcé 134 280 OQTF, ce qui fait de la France le pays qui en délivre le plus en Europe. À titre de comparaison, l’Allemagne et l’Italie en ont prononcé moins de 40 000 et l’Espagne et Suède moins de 20 000.
Paradoxalement, 15 400 OQTF seulement ont été appliquées, soit un taux d’exécution inférieur à 7 %. Un pourcentage stable depuis une dizaine d’années.
Selon Nicolas de Sa-Pallix, avocat au barreau de Paris, exerçant principalement en droit des étrangers, ce faible taux s’explique par une politique du chiffre voulue par les gouvernements successifs : "Il faut prendre des OQTF pour faire plaisir à l’électorat, or, la plupart de ces OQTF ne peuvent pas être mises à exécution. Certains Etats, par exemple, refusent de délivrer des laissez-passer consulaires, nécessaires aux retours de leurs ressortissants."
Les laissez-passer consulaires : un véritable obstacle pour la justice française
Concernant le principal suspect dans l’affaire Philippine, la France avait demandé un laissez-passer au Maroc, son pays d’origine. Faute de retour, le juge des libertés et de la détention de Metz avait libéré l’homme de 22 ans, et l’avait assigné à résidence, dans un hôtel près d’Auxerre.
"Il faut bien comprendre qu’il s’agissait, en l’espèce, d’une quatrième demande de prolongation de maintien en détention. Au-delà de trois demandes, le texte est très restrictif. Il aurait fallu que le détenu présente une menace à l’ordre public, or, il n’a causé aucun trouble lors de sa détention en centre de rétention administrative. Le juge des libertés et de la détention n’avait qu’une solution : le remettre en liberté et le placer sous surveillance. Selon le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le trouble à l’ordre public doit, en effet, être constitué lors du maintien en détention", explique Ludovic Friat, président de l'Union syndicale des magistrats. L’ancien juge rappelle aussi que "le juge applique la loi, il ne la crée pas".
Selon un récent rapport parlementaire, le Maroc et l’Algérie ont accepté la moitié seulement des demandes françaises pour un laissez-passer consulaire et à peine un tiers de retour favorable pour la Tunisie.