Le ramadan doit officiellement commencer ce vendredi. D’ordinaire synonyme de grands rassemblements et de larges tablées, cette année, en pleine épidémie de Covid-19, ce mois de fête devrait se dérouler dans l’intimité la plus stricte.
Un ramadan sans ruptures du jeûne avec sa famille, ses voisins ou ses amis. Sans grands rassemblements... Cette année, la fête risque d’être morose pour les musulmans. Première contrainte imposée par l’épidémie de Covid-19, la fermeture des mosquées, particulièrement fréquentées pendant cette période. Parmi elles, la Grande Mosquée de Paris qui peut accueillir jusqu’à 14 000 fidèles. Pour la première fois depuis sa création en 1926, le lieu de culte a dû fermer ses portes au début du confinement. "Même si le Premier ministre n’a pas parlé officiellement des fermetures des lieux de cultes, interdisant simplement les célébrations, je ne voulais pas que la mosquée devienne un foyer de contamination, explique Chems Eddine Hafiz, recteur de la grande mosquée de Paris. C’était une décision très lourde à prendre. Les lieux de culte ont de tout temps été des lieux de refuge, de protection pour les populations même pendant les guerres. Mais le coronavirus lui se fiche bien des religions."
Les prières devront donc se faire chez soi, dans l’intimité, comme l’a préconisé le Conseil français du culte musulman (CFCM).
"C’est la seule attitude responsable et conforme aux principes et aux valeurs de notre religion dans ce contexte d’épidémie." Des recommandations qui devraient être largement respectées selon Anouar Kbichech, président du Rassemblement des musulmans de France. "Il n’y a pas eu de transgression des règles depuis le début du confinement. Il y a certes eu quelques inquiétudes concernant des quartiers habitués aux veillées comme en région parisienne, à Strasbourg ou encore à Marseille. Mais dans l’ensemble, il y a une véritable prise de conscience qu’il fallait éviter les rassemblements pour s’en sortir collectivement." Pour Khalil Merroun, recteur de la mosquée d’Evry-Courcouronnes dans l’Essonne qui accueille jusqu’à 3 000 personnes pendant les célébrations du vendredi, ce ramadan sera l’occasion de se recentrer sur la famille, faute de mieux. "Chaque père de famille aura la responsabilité de diriger la prière pour que la famille puisse faire les actes religieux ensemble. Rien n’empêche de respecter ses cinq prières."
Des paniers-repas pour les plus démunis
Autre tradition fortement chamboulée, celle de la rupture du jeûne, l’iftar. D’ordinaire, chaque mosquée préparait des grandes tablées pour les plus pauvres. Impossible dans ce contexte d’épidémie. Pas question pour autant d’en oublier la générosité, une obligation dans l'Islam. Certains lieux de culte comme à Paris récoltent les dons pour pouvoir distribuer de la nourriture dans des foyers de femmes isolées ou de réfugiés. D’autres mosquées vont proposer des paniers-repas comme à Evry-Courcouronnes. "Avec des associations, et en accord avec la préfecture, nous distribuerons environ 300 paniers tous les jours entre 14h et 18h devant la mosquée, explique Khalil Merroun. Cette crise ne doit pas empêcher la générosité avec les plus démunis et ils sont nombreux : les réfugiés, les étudiants dans leurs cités universitaires, des voisins qui n’ont rien à se mettre sous la dent."
Les marchés, qui sont des lieux de grande affluence pendant le ramadan seront eux aussi particulièrement scrutés. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a demandé aux pays "d'empêcher un grand nombre de personnes de se rassembler dans des lieux associés aux activités du ramadan, tels que les lieux de divertissement, les marchés et les magasins". Pour Hocine Redjem, habitué à faire ses emplettes chaque année sur le marché de Belleville, c’est cela qui sera le plus dur. "C’est toujours un moment sympa. Pendant cette période, le quartier change de visage. Il y a beaucoup de monde, on vient chercher des gâteaux, des sucreries que l’on ne mange pas d’habitude et qu’on ne fait pas à la maison. Il y a aussi des produits de Syrie et de Turquie… Mais cette année, je ne prendrai pas de risques." Pour ce médecin, engagé dans la lutte contre l’épidémie du Covid-19, il n’y aura pas non plus de grand repas à la maison où se mêlaient traditionnellement la famille, les voisins et les personnes isolées. Chacun mangera seul. Pas question d’exposer qui que ce soit à la maladie, surtout pas des parents âgés.
Une frustration partagée par le recteur de la grande mosquée de Paris, Chems Eddine Hafiz. "Pendant le ramadan, votre porte est toujours ouverte. Rester confinés tout en jeûnant pendant 16 heures, ça risque d’accentuer le malaise. C’est une contrainte supplémentaire."
Si le confinement empêche les festivités, il ne dispense pas les musulmans en bonne santé de jeûner "comme les années précédentes", tempère l'OMS. Les patients atteints du Covid-19 sont en revanche appelés à consulter leurs médecins concernant la pratique du jeûne "comme ils le feraient pour toute autre maladie", ajoute l'organisation. Hocine Redjem va plus loin. Ce médecin conseille aux personnes à risque face au Covid-19, comme les personnes hypertendues, d’éviter de jeûner. "Car avec la déshydratation, ces personnes-là pourraient être des proies faciles pour le Covid."