Syphilis, gale, lèpre, verrues, éléphantiasis… La collection du musée des Moulages de l’hôpital Saint-Louis, exclusivement dédiée à la dermatologie, est unique au monde par le nombre de pièces exposées. On y trouve près de 5000 cires, certaines datant du XIXe siècle.
Pour accéder à la salle des moulages, située au cœur des bâtiments historiques de l’hôpital, il faut impérativement prendre rendez-vous. Et une fois sur place, il est interdit de prendre des photos. Cette règle a été mise en place en raison du caractère sensible de pièces : 4850 moulages médicaux sont exposés en vitrine. Des cas souvent gravissimes de maladies dermatologiques, au réalisme saisissant. L’entrée est également interdite aux moins de 12 ans.
"On préfère ne pas y confronter les jeunes adolescents, ça semble tellement réel que ça peut être traumatisant, explique Sylvie Dorison, chargée du musée. Il y a aussi des raisons éthiques. Les jeunes ont quelquefois des codes différents. Par exemple, lors des journées européennes du patrimoine, j’ai discuté avec un adolescent auquel il était difficile de faire comprendre qu’il ne fallait pas prendre de photos pour les envoyer sur les réseaux sociaux, et en rire avec ses camarades."
Le lieu est un témoignage de l'histoire de la médecine, où l'on doit avoir du respect
"Il s’agit de véritables patients, poursuit-elle. Le lieu est un témoignage de l'histoire de la médecine, où l'on doit avoir du respect, il ne faut jamais l’oublier. D’autant que les derniers moulages réalisés datent de 1958, il y a donc actuellement des personnes vivantes qui sont représentées. Un peu comme le contenu d’un dossier médical, on ne diffuse pas leurs photos."
Sur une surface de 400 m2, les pathologies de la collection principale (3662 pièces) sont classées par ordre alphabétique. Derrière les vitrines, on observe des boutons et des lésions en tout genre, touchant toutes les parties du corps : des cas de gale, d’acné, d'eczéma, d’herpès, de lèpre ou encore de lichen plan.
Parquet, bustes… La décoration, qui peut faire penser à un muséum d’histoire naturelle, reflète le passé du musée, construit en 1885. Le bâtiment qui l’abrite est alors conçu comme un ensemble complet dédié à la dermatologie, avec l’accueil des patients au rez-de-chaussée et le musée (ainsi qu’une bibliothèque et une salle de conférences) à l’étage. Mais la collection, elle, remonte aux années 1860, après la rencontre dans les rues de Paris entre un médecin de l’hôpital, le Dr. Lailler, et Jules Baretta : un jeune artisan, mouleur de fruits en carton pâtes.
Une collection conçue à l’origine pour l’enseignement
A l’époque, le projet de mouler des patients atteints de lésions dermatologiques vise un objectif pédagogique et scientifique. "Le but est de proposer des supports en trois dimensions pour former les médecins, raconte Sylvie Dorison. Dans les années 1860, les photographies, en noir et blanc, devaient être recoloriées. Ça ne répondait pas aux besoins des dermatologues." Jules Baretta - auteur au total de 3000 pièces - réalise ainsi son premier moulage en 1867. Après son départ en 1913, lui succède le mouleur Louis Niclet jusqu’en 1924 ; puis Stephan Littre, jusqu’en 1958, et l’arrêt de la production à Saint-Louis.
Avec l’essor de la photographie en couleur et de la diapositive, les cires deviennent obsolètes. Aujourd’hui l’enseignement repose entre autres sur l’imagerie 3D. "Avant, les étudiants venaient travailler dans la salle, et les enseignants empruntaient les pièces pour leurs cours, comme dans une bibliothèque, rappelle la chargée du musée. Mais cette méthode n’est plus compatible avec le XXIe siècle, et les supports numériques."
Quand ça concerne des bébés, ça peut être encore plus impressionnant... C’est tellement réaliste qu’on sent presque la souffrance
Le musée renvoie d’ailleurs à des maladies pour certaines bien mieux traitées aujourd’hui. C’est par exemple le cas de la syphilis, représentée notamment par des centaines de moulages dans la sous-collection Fournier. Ces cires - qui concernent entre autres des parties génitales particulièrement altérées - sont exposées le long de la mezzanine, accessible par des escaliers en colimaçon.
Le long de la mezzanine, on trouve également la sous-collection Parrot : des pièces également très sensibles, puisqu’il s’agit de cas de pédiatrie atteints par de graves difformités. "Quand ça concerne des bébés, ça peut être encore plus impressionnant, prévient Sylvie Dorison. C’est tellement réaliste qu’on sent presque la souffrance."
Le réalisme des pièces s’explique d’ailleurs par les méthodes utilisées. La réalisation des moules les plus simples durait environ une heure, résume la chargée du musée : "La plaie était cachée certainement à l’aide de baudruche - de la peau d’intestin d’animal, qui ressemble à un film alimentaire - pour épouser les reliefs. Puis le mouleur versait du plâtre liquide, qui séchait rapidement. Le plâtre était ensuite graissé, puis la cire chaude était versée. Il fallait ensuite séparer les matériaux, puis, en fonction de l’aspect, intégrer des pigments en surface, un peu comme des tatouages. Les couleurs sont remarquablement conservées."
"Pour mouler des faces, c’était plus complexe avec l’obturation des yeux, précise la chargée du musée. Et il fallait permettre au patient de respirer avec un système de fils, et en procédant parfois partie par partie." Reflet de ces ouvrages historiques, le musée accueille aujourd'hui en temps normal environ 3000 visiteurs par an.