Âgé de 77 ans, Raymond gère depuis 40 ans le Nant, un bar du 18e arrondissement de la capitale. Alors qu'il fait face à d'importantes dépenses pour garder son établissement ouvert, ce Parisien voit le quartier se gentrifier.
"Je vais prendre un déca Raymond", demande Morgane dès qu’elle passe au Nant. "Je viens ici depuis presque 20 ans, d’abord parce que j’adore Raymond, raconte cette cliente, accoudée au zinc. J'aime bien le voir quand il y a du monde, quand il est tout seul... Il garde mes cigarettes comme ça je ne fume pas beaucoup, c’est une bonne technique."
A 77 ans, Raymond gère seul ce bar situé rue du Ruisseau, dans le 18e arrondissement. "Je travaille ici depuis 1988, ça fait 37 ans, retrace ce Parisien, né dans le 15e arrondissement. C’est ouvert depuis les années 1920, mais la déco date des années 1970. Le mobilier, les lampes orange le long du bar, les boxes avec les sièges en skaï... Il y a aussi les juke-boxes, qui ne marchent pas. Même avant que j'arrive, ils ne fonctionnaient déjà plus."
Tas de cartons et de journaux entassés par-ci par-là, photos délavées et vieux tableaux accrochés sur les murs… Avec sa décoration rétro et fouillis, le bar est dans son jus. On trouve aussi des dizaines de figurines représentant des chouettes, alignées un peu partout. "J’ai eu une chouette pendant 8 ans, elle s’appelait Clin d'œil. Un policier du Loir-et-Cher m’avait ramené le poussin. Elle vivait et volait en liberté, sans cage. Depuis les clients me ramènent régulièrement des objets, en souvenir", explique Raymond.
Un cercle d’habitués fréquente d’ailleurs l’établissement avec fidélité. "Il reste toujours un noyau, indique le gérant. Il y a même des gens qui reviennent 20-30 ans après, pour voir si je suis toujours là, ça fait vraiment plaisir. Ils me racontent leur premier passage, ils n'inventent pas… Mais parfois, je ne les reconnais pas. 20 ans, c'est énorme. Certains me téléphonent pour prendre des nouvelles. Certains sont envoyés ici par des amis de province, il y a beaucoup de Bretons."
"Il y a beaucoup de cas soc' mais on les aime bien"
"Il y a des juristes, des mathématiciens, des philosophes…", liste Louis, un autre client. "Il y a surtout beaucoup de cas soc' et une bonne bande d’alcoolos, mais on les aime bien. Parfois c'est un peu la cour de récréation de l'hôpital psychiatrique", sourit Morgane. "Raymond est à la fois videur et assistant social", ironise Louis.
Mais le gérant doit faire face à de lourdes dépenses. "Il y a eu des travaux sur les fondations du bâtiment, je suis propriétaire d’une grande surface donc c’est cher. Heureusement le syndic est sympa et ne me met pas vraiment le grappin dessus. Je paye de temps en temps quand j'ai des sous, c’est parfois difficile. Mais maintenant je travaille mieux", se réjouit Raymond, depuis la publication d’un article du Parisien le présentant comme "le bar le moins cher de Paris".
"Le bar le moins cher de Paris, peut-être... Il y en a d’autres dans le genre. Mais c’est vrai que les prix sont bas, réagit Morgane. Le pastis est à 2,50 euros, pareil pour la Super Bock, le verre de vin est à 1,50 euro… Mais ce n'est pas qu'une question de prix, c'est tout une ambiance ici, c’est spécial. Les gens viennent parce qu'on fait ce qu'on veut. On se lâche, on discute. Il y a beaucoup de convivialité. Le soir, c’est serré, on met de la musique. Et si quelqu'un consomme un café pendant 3 heures, Raymond ne dit rien."
Alors que le quartier se gentrifie, la cliente juge que "pour certaines choses, ce n'est pas plus mal que ça évolue". "Il y a beaucoup de cafés, ça bouge bien. Mais en même temps ça perd un peu de son âme. Ceci dit, maintenant ça se rajeunit beaucoup, ici on trouve des moins de 30 ans et des anciens. Il faut que ça se renouvelle, c'est bien", estime-t-elle.
Bientôt la retraite pour Raymond ? "Il n’est pas près de la prendre", prévient Morgane. "Je viens seulement de faire la demande cette année", sourit le gérant.