Léonard Corti en troisième année d’internat au sein de l’AP-HP et président du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris à la Salpetrière alerte sur la situation à l'AP-HP. Il a tiré de son expérience un ouvrage qui paraît ce jeudi.
Jeune interne à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière entre 2019 et 2021, Léonard Corti a été confronté à de nombreux dysfonctionnements pendant cette période. Il en a tiré un livre : "Dans l’enfer de l’hôpital", aux éditions Robert Laffont. Il alerte les pouvoirs publics sur la souffrance des internes et le malaise de l'hôpital public.
Comment sont traités les internes dans les hôpitaux publics ?
J'étais interne depuis seulement quelques mois, je me suis retrouvé seul à gérer un patient en train de mourir. En pleine nuit, tout seul, sans médecin juste avec le personnel de service, il a fallu que je prenne des décisions, que j’endosse des responsabilités auxquelles je n’étais pas réellement préparé.
Jeune interne, je me suis retrouvé seul à gérer un patient en train de mourir.
Léonard Corti
En discutant avec mes collègues, je me suis rendu compte que je n’étais pas la première personne qui était confrontée à ce genre de situation. Une situation qui n'est pas anodine. Nous devons être mieux préparés psychologiquement à gérer ce type de situation et cette reconnaissance doit aussi être financière.
En première année d’internat on est payé 1500 cents euros alors que l'amplitude horaire est de plus de 60 heures par semaine. Quand tu demandes à ce que tes heures sup' soient payées, on te dit : "non ce n’est pas possible, tu es stagiaire, tu es en formation, donc tu n’as pas le droit de demander ça".
Que demandez-vous pour les internes à l'AP-HP ?
Les conditions de travail à l'AP-HP ne sont pas bonnes. Aujourd’hui l'institution a du mal à recruter du personnel paramédical mais aussi du personnel médical parce que les conditions se sont dégradées. Ce que nous demandons, c’est que l’on fasse plus attention à nous et qu’on respecte nos droits.
6 % des internes ont fait des tentatives de suicide
Léonard Corti
Le non-respect de nos droits a des conséquences sur notre santé mentale. Les chiffres sont édifiants. Il y a trois fois plus de chances de se suicider lorsqu’on est interne par rapport à quelqu’un d’autre. Presque deux tiers des internes ont été victimes de troubles anxieux lors de l’année qui vient de s’écouler et 6 % des internes ont fait des tentatives de suicide. Le fait qu’on travaille beaucoup et qu’on ne reconnaisse pas ce travail participe à ce malaise profond.
Pensez-vous que votre métier souffre d'une perte de sens ?
Il faut sortir de la logique purement comptable de la gestion de l’hôpital. La gouvernance doit être à nouveau partagée entre les directeurs et les soignants. Il faut démocratiser la gouvernance à l’hôpital qui a été verticalisée depuis 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Sortir de la logique purement comptable de la gestion de l’hôpital
Léonard Corti
Les directeurs subissent la pression de la rigueur budgétaire qu’on applique à l’hôpital depuis des années et les soignants regrettent d’être des exécutants dans une structure où il n’y a plus de place à la concertation. Il faut voir aussi l’organisation de carrière. On demande aux médecins d’être à la fois manager, chercheurs, cliniciens. On demande aux médecins de savoir tout faire et le risque c’est qu’on finisse par tout faire mal.
En sortie de crise sanitaire, ce que je souhaitais aussi c'est attirer l'attention sur la question de la médecine préventive. Il faut savoir que les maladies chroniques comme l'hypertension, l'obésité, le diabète sont la conséquence directe de notre mode de vie et que cela fait trente ans que les politiques publiques ne luttent pas suffisamment contre la malbouffe, la sédentarité ou la pollution de l'air.
Le Covid-19 a conduit en réanimation des patients qui étaient déjà malades, il faut savoir que tous les patients que j'ai pris en charge en réa étaient à 100 % atteints d'une pathologie chronique.