Avec l’arrivée de réfugiés ukrainiens se pose de manière accrue la question de l’accueil des enfants qui ne parlent pas français. Le Rectorat de Créteil va fermer une classe pour lycéens étrangers à Pantin. Enseignants, élus et associations de la ville de Pantin s'indignent.
Ils viennent d’Egypte, du Mali, du Bangladesh, de Moldavie. Certains sont arrivés comme mineur isolé, d’autres ont fui la guerre ou la famine avec leurs parents. Ces adolescents parlent peu ou pas du tout le français mais s’améliorent chaque jour dans leur classe dédiée, des Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants - surnommées UP2A.
Au lycée professionnel Simone Weil de Pantin, deux classes accueillent ainsi depuis 20 ans des élèves étrangers. Une quarantaine en général, divisée par groupes de niveau, qui suivent des cours de français, mais aussi de maths, physique ou histoire-géo en version simplifiée.
L’an prochain, l’un de ces deux classes sera supprimée, faute d’un nombre d’élèves suffisants : « des places sont restées vacantes », justifie la direction académique de Seine-Saint-Denis qui ouvrira en contrepartie une UPE2A au Lycée hôtelier François Rabelais de Dugny.
Les enseignants de Pantin, qui refusent d'être dans la concurrence, sont ravis pour leurs collègues de Dugny, mais dépités pour leur établissement.
« Le déplacement d’un UPE2A qui fonctionne ne peut se justifier » dénoncent les syndicats enseignants dans une communiqué commun. « Si des besoins se font sentir ailleurs, c’est une ouverture qu’il faut organiser et non un transfert. »
« L’actualité montre que les arrivées de réfugiés sont fluctuantes, » souligne Flavia Quintiliano Verri, en charge de l’une des deux UPE2A de Pantin. « S’il y a moins d’élèves à un moment donné, cela peut remonter du jour au lendemain, comme avec les réfugiés ukrainiens » poursuit cette professeur de français, qualifiée pour encadrer ces classes spécifiques.
Moins d’élèves cette année
Le lycée Simone Weil avait été surpris de découvrir, à la rentrée de septembre dernier, que les effectifs avaient fondu, passant de 40 élèves étrangers à 17. « Nous avons, comme d’habitude, réparti les jeunes en 2 classes, en fonction de leur niveau » détaille Flavia Quintiliano Verri, « mais on a trouvé ces chiffres étonnamment bas et on redoutait que cela ne cache autre chose. »
Hasard ou pas, en janvier, l'Académie de Saint-Saint-Denis a annoncé, dans le cadre des dotations horaires globales, la suppression de l’une des deux classes pour allophones. « Le gros problème » regrette Flavia Quinililano Verri, « c’est que nous ne pourrons plus séparer les jeunes par groupe de niveau. Certains ne connaissent pas un mot de français ni l'alphabet latin et d'autres, originaires d'Afrique du Nord ou francophone, ont déjà une base. Si à la rentrée de septembre nous les mélangeons tous dans une seule classe, l’apprentissage va être très compliqué ! Et nos 20 ans d'expérience dans le domaine ont montré que cela marchait!» conclut, dépitée, l'enseignante.
Le soutien de Médecins sans frontières
Depuis le coup de massue en janvier, les UPE2A de Pantin ont obtenu un soutien tous azimuts dans leur combat auprès du Rectorat de Créteil pour conserver les 2 classes : anciens élèves, FCPE 93, Mairie de Pantin, Etablissement de La Villette (qui travaille beaucoup avec ces élèves étrangers) et même Médecins sans Frontières.
Car MSF a ouvert en 2017 une antenne pour jeunes mineurs isolés à deux pas du Lycée : « Nous sommes effarés d’apprendre que vos classes risquent de fermer par manque d’élèves alors que nous ne parvenons pas scolariser nos jeunes » écrit Corinne Torre, cheffe de mission France de l’ONG, dans un courrier de soutien aux enseignants de Pantin. Et précise. « Nous avons admis en 4 ans 3250 mineurs. A peine 10% ont pu être scolarisés par manque de volonté et peur de l’engagement. Ne fermez pas vos classes! ».
De plus, beaucoup de mineurs isolés habitent Paris ou changent de lieu d’hébergement en cours l’année. Le Lycée Simone Weil, situé juste à côté du métro "Eglise de Pantin" est facilement accessible, insistent les enseignants. Cela permet ainsi d'éviter le décrochage en cours d'année parce que le transport devient trop compliqué.
Plus d’élèves étrangers que de classes pour les accueillir
Alix Rivière, porte-parole de la Fédération des Parents d’Elèves du 93, fulmine. « C’est une décision froide et technocratique ». Elle estime qu’il y a beaucoup plus d’élèves parlant mal le français que d’UPE2A susceptibles de les accueillir. « Dans certaines classes de Seine-Saint-Denis, un quart des enfants sont allophones, sans aucun accompagnement spécifique. Au mieux, ils sont mutiques au fond de la classe car n’arrivent pas à suivre; au pire, ils perturbent les autres. Et les personnels enseignants sont totalement dépassés, ne savent plus comment faire, se mettent parfois en arrêt. »
La direction académique de Seine-Saint-Denis estime au contraire, dans son mail de réponse à nos questions, qu'elle cherche, chaque année, à « mettre en adéquation les places proposées avec les lieux de résidence des élèves allophones et à proposer la plus grande diversité possible de contextes de formation. »
C'est pour cela qu'il a été décidé d'ouvrir une Unité pédagogique pour les Elèves Allophones Arrivants (UPE2A) au Lycée des métiers François Rabelais de Dugny « sur un territoire non doté jusqu'à maintenant et dans un établissement proposant des formations hôtelières demandées et porteuses de nombreux débouchés professionnels ».
L'Académie de Seine-Saint-Denis, qui compte plus de 350 000 élèves, dispose de 800 places disponibles pour enfants et adolescents allophones. Mais la direction académique ne précise pas si elle a prévu d'augmenter le nombre de places pour s'adapter à l'arrivée massive de réfugiés ukrainiens.