Du jour au lendemain, une école privée préparant aux écoles d’architecture a fermé ses portes à Paris. Imperméable aux centaines d’appels et de mails qu’il a reçus, le gérant de la société s’est évaporé avec l’argent des familles. Elèves, parents et enseignants, abandonnés au beau milieu de l’année à quelques mois des concours, sont désemparés.
"Il a pris notre argent et celui de nos parents et il nous lâche au pire moment", souffle Leya, 18 ans. Elle rêve de devenir architecte depuis le collège. Comme la plupart de sa classe, elle n’est pas parvenue à intégrer les ENSA (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture) immédiatement après son bac. Elle a donc choisi cette mise à niveau, "Architektôn", pour être accompagnée dans sa réussite. Son année scolaire a coûté 6 980 euros.
Le 5 janvier, les 65 élèves qui avaient choisi la formation à temps-plein dans cette école ont reçu un e-mail de leur directeur des études, Bertrand B., lui aussi escroqué par le gérant. "Cette nuit m’est parvenu par mail ce message du directeur de l’entreprise à laquelle appartient l’école", peut-on lire sur le courriel. "Dû à de sérieuses difficultés actuellement rencontrées par la société, les cours ne reprendront pas jusqu’à nouvel ordre." Depuis, aucun cours n’a repris, et le gérant a disparu dans la nature.
"Où sont les 500 000 euros récoltés à la rentrée ?"
Bertrand B. n’a jamais été salarié, il facturait ses heures travaillées à l’école avec sa micro-entreprise. Chargé d’organiser et de coordonner les cours, il est aujourd’hui dans le même bateau que tous les autres enseignants de l’école.
"Les professeurs n’ont pas reçu d’argent depuis fin octobre", explique-t-il. A ce moment, le gérant de la société indique à son directeur que l’entreprise a des problèmes financiers, et qu’il va falloir se montrer compréhensifs. "Chacun a repris son boulot, on s’est dit que si ça se décalait de 15 jours, ce n’était pas si grave", se souvient Bertrand. En décembre, lorsque les salaires n’ont toujours pas été versés et que plusieurs stages de cours prévus pendant les vacances sont annulés, l’équipe s’alarme et commence à alerter M. H., qui gère l’entreprise. Personne ne reçoit aucune réponse.
"Toutes les familles ont payé comptant à la rentrée, en septembre", calcule Bertrand B. "On arrive à près de 500 000 euros… Ou sont-ils passés ?", se désole le directeur des études.
Le premier semestre s'était bien déroulé
Une prépa de mise à niveau privée n’est pas une obligation pour entrer dans les écoles nationales d’architecture. Mais les "ENSA", prestigieuses et sélectives, attendent en plus de notes correctes au lycée, des dossiers de motivation bien ficelés. C’est sur ce filon que jouent les prépas privées.
Le premier semestre d’"Architektôn" a été consacré à des cours de culture générale et de connaissance architecturale. C’est la deuxième partie de l’année qui devait préparer les élèves à proprement parler aux sélections de ces écoles : il était prévu qu’ils travaillent sur les lettres de motivation et les entretiens pendant toute la période.
"C’est un gâchis immense", d’après Bertrand B. "Le premier semestre a super bien fonctionné. Les enseignants ont fait du bon boulot et les élèves ont bien progressé." Une année de perdue sans ce deuxième semestre dédié aux concours d’après Leya, l’une des élèves abandonnés. "On a pleuré, on était en colère, on ne comprend pas, il nous lâche vraiment au pire moment de l'année !", raconte la jeune fille. "Je vais quand même essayer, mais je n’y crois pas sans la prépa. Ce n’est pas avec un an sans accompagnement que j’y arriverais mieux que l’an passé." Le ton de sa voix est déçu, comme tous les élèves qui constituaient la promotion d’Architektôn cette année.
Un recours judiciaire en cours de réflexion
Les familles se sont constituées en collectif. "Ça compromet l’avenir de nos enfants", d’après Jérôme, père de l’un des élèves. "On a payé cette prépa pour leur donner un maximum de chances, et ils finissent complètement désemparés et déstabilisés", s’indigne-t-il.
Une réunion entre les parents a eu lieu en début de semaine, des représentants ont été élus. D'autres réunions devraient suivre. "Nous allons essayer de porter une action commune en justice", précise Jérôme sans aucune certitude de pouvoir le faire.
Les enseignants, qui assurent depuis ponctuellement quelques cours bénévolement, sont solidaires des parents. Ils ont eux aussi perdu de l’argent et plusieurs d’entre eux doivent retrouver du travail. Bernard B., directeur des études pour la première année de cette école, souhaite que son ancien patron ne puisse plus ouvrir d’entreprise d’enseignement privé.
"Évidemment si on pouvait l’attraper et l’empêcher de recommencer ce serait bien. Je suis étonné, même si j’y ai pris part, qu’on puisse monter une boîte d’enseignement sans rendre des comptes à l’enseignement supérieur." Il assure espérer que les élèves réussissent tout de même à se préparer correctement et à intégrer des écoles d’architecture.
Contacté, Monsieur H., gérant de l’entreprise dont dépendait Architektôn, n’a pas répondu à nos sollicitations.