"On ne communique pas de chiffres, mais ça marche très bien". Si la direction du Musée d'Orsay est discrète sur l'affluence, une simple tentative pour réserver une place pour l'exposition "Paris 1874, inventer l'impressionnisme" fait office de preuve. Les visites sont déjà toutes complètes cette semaine. En attendant, c'est l'occasion d'en savoir plus sur les origines de ce mouvement artistique avec Sylvie Patry, co-commissaire de l'exposition.
Qu’est-ce qui donne à cette exposition son caractère exceptionnel ?
Sylvie Patry : Nous avons réuni 160 œuvres dans l'exposition et nous avons voulu revenir sur un moment mythique légendaire, ce moment où des artistes décident de se réunir et de s'affranchir de toutes les règles en vigueur et d'exposer de façon tout à fait indépendante. On les appellera les impressionnistes. Car à l'époque, il y a ce qu'on appelle "le Salon", une exposition annuelle à Paris qui réunit des milliers d'œuvres et des centaines de milliers de visiteurs. C'est là que les collectionneurs, les musées et les particuliers achètent et repèrent les artistes. C'est là que les carrières se jouent en quelque sorte donc tout est très centralisé. Mais au XIXème siècle il y a de plus en plus d'artistes, donc il y a de plus en plus d'œuvres et de clients, le marché de l’art se développe. Mais tout ça ne suffit pas à absorber toute cette demande d'art. Les impressionnistes peignent et voient les choses différemment, ils veulent innover et leur peinture n’est pas toujours acceptée au Salon. Donc ils prennent en main leur destin et leur carrière en décidant de ce qu'ils exposent et de quand et où ils exposent. Ils organisent en quelque sorte le contact direct entre leurs œuvres et le public, sans intermédiaire. Ils se réunissent la première fois à Paris en 1874.
Quelle est la spécificité de ce courant artistique ?
Sylvie Patry : Ils ont tous leur individualité et une personnalité assez différente et au-delà de la volonté de se réunir et d'exposer ensemble librement, ils ont en commun de s'intéresser au monde qui les entoure et donc de sortir de l'atelier. C'est vraiment important. On va peindre sur le motif pour peindre en lumière naturelle, on va peindre dans la ville dans un Paris en pleine transformation. Paris est en plein chantier, les industries s'implantent et les impressionnistes veulent peindre tout ça. Ils considèrent qu’il ne faut pas se réfugier dans des sujets historiques mais qu'il faut peindre la nature et ce monde qui change.
Ils ont relevé un défi presque impossible dans leur volonté de capturer l'instant, de saisir une sensation, une impression
Sylvie Patry, co-commissaire de l'exposition
D'où vient ce mot "impressionniste" ?
Sylvie Patry : Le mot "impression" est utilisé au moment de la première exposition de ces peintres par un journaliste qui veut se moquer d'eux. Il y a dans l'exposition un tableau de Claude Monet qui s'appelle "Impression, soleil levant" et ce critique dit : « Ah oui impression... oui... c'est vrai que je suis impressionné" ! Il brode autour de ce terme et il intitule son article "l'exposition des impressionnistes". Ce mot va ensuite être peu à peu repris mais au début c'est une moquerie, c'est vraiment pour les dénigrer. Ce n'est que plus tard que cela sera repris de façon positive. Aujourd'hui, c'est devenu un courant majeur de l'art qui a inspiré beaucoup d'artistes et qui a transformé l'histoire de la peinture jusqu'au XXème siècle, puisque les impressionnistes ont continué pour certains à travailler jusqu'en 1926 et la mort de Monet. De cette moquerie en fait est né une un nom qui va perdurer jusqu'à aujourd'hui et qui ne cesse d'inspirer les artistes.
Qu'est-ce qui vous émeut dans cette peinture impressionniste?
La liberté. À la fois la liberté dans leur démarche de s'affranchir des règles et d'organiser leur propre exposition et aussi d'un point de vue esthétique. J’aime la liberté de leurs gestes, de la touche. Et puis ils ont relevé un défi presque impossible dans leur volonté de capturer l'instant, de saisir une sensation, une impression. En fait, ils s'attaquent à l'impossible : fixer le fugitif, le transitoire, ce qui change tout le temps. Je suis émue par ces artistes qui se donnent une mission presque impossible.
"Paris 1874, inventer l'impressionnisme", au musée d'Orsay jusqu'au 14 juillet.