C’est l’incendie le plus meurtrier à Paris depuis 18 ans. Dix personnes ont péri au 17 bis rue Erlanger dans le XVIe arr, dans la nuit du 4 au 5 février 2019. Plus de 90 ont été blessées. Une des habitantes de l’immeuble est jugée à partir de lundi pour avoir mis le feu au bâtiment. Une femme qui présentait des troubles psychiatriques.

Il y a les images qui défilent encore dans sa tête et les cris qui la réveillent souvent la nuit. Cette peur envahissante, handicapante qui ne la lâche pas depuis quatre ans. La vie de Claire Mussy a basculé le 5 février 2019 lorsqu’un incendie a ravagé l’immeuble dans lequel elle vivait rue Erlanger. "Quand je me réveille à 00h36, il y a déjà énormément de fumée chez moi. J’ouvre la porte d’entrée et aussitôt, un nuage noir rentre à l’intérieur de l’appartement", raconte la jeune femme. Claire Mussy vit au 8e et dernier étage. Impossible de s’échapper par l’escalier en proie aux flammes. Prise au piège, elle décide de s’échapper par son balcon. "Je savais que je ne reviendrai pas. J’ai refermé tout doucement du mieux que je pouvais les portes-fenêtres derrière moi… et j’ai commencé à enjamber les herses qui séparaient les balcons de mes voisins, dans le vide, dans l’espoir de trouver une échappatoire."

En dessous, au 7e étage, Julie Forbes est quant à elle tirée de son sommeil par les cris d’une de ses voisines. "C’était des cris de plus en plus stridents, aigus. Je suis allée à la fenêtre de ma chambre, je l’ai ouverte et j’ai vu une énorme colonne de fumée noire, que du noir." Cette Américaine, installée rue Erlanger depuis plus de vingt ans, attrape un manteau et son téléphone, ouvre sa fenêtre et croise trois habitants qui marchent sur la corniche qui ceinture le bâtiment. Ils la persuadent de les suivre sur ce rebord qui ne mesure qu’une vingtaine de centimètres. "Nous avons longé la corniche les mains contre le mur, un peu comme Spiderman, pour voir ce qu’il y avait au bout. Quand je regardais en bas, je voyais les pompiers qui montaient avec des petites échelles, pas des grandes échelles. Je voyais ce qu’il se passait, mais je ne comprenais rien."

"Ca brûlait de la même intensité à tous les niveaux"

Appelés rapidement sur les lieux du sinistre, les pompiers font face à une situation inédite. L’immeuble, construit en H, est très difficile d’accès. Pour l’atteindre, il n’y a qu’une seule possibilité : pénétrer par un autre immeuble puis longer un couloir étroit de 18 mètres. Un couloir étroit par lequel doivent passer les échelles à main et les tuyaux mais aussi les victimes. "La première courette était accessible aux échelles trois plans qui vont au 4ème étage, les échelles à coulisses grand modèle qui vont au 2ème étage et les échelles petit modèle qui permettent d'aller au 1er étage. En deuxième courette, seules les échelles à crochet pouvaient être utilisées, les autres échelles à main ne pouvant y accéder en raison de leur longueur", expliquera au cours de l’instruction l’un des 250 pompiers présents sur le sinistre.

C’est une véritable course contre la montre, car le feu, extrêmement violent, se propage à une vitesse folle. La situation est totalement "hors norme" selon ces professionnels pourtant aguerris. "A titre personnel, je n’ai jamais vu autant de sauvetages réalisés en même temps", dira l’un d’entre eux plus tard. "On a dû effectuer une mission à l'ancienne. On a été ramené à une époque où l'on n'avait pas tous les moyens que l'on a maintenant, à devoir effectuer des sauvetages à l'aide d'échelle à crochets. Et ce qui m'a marqué par rapport à l'immeuble, c'est que ça brûlait de la même intensité à tous les niveaux. Il était impossible de trouver le foyer à vue d'œil. On pouvait regarder une fenêtre, encore fermée, sans rien, qui d'un seul coup explosait d'où le feu sortait de manière très intense. C'était incompréhensible pour nous. Des personnes avaient à peine le temps d'être sauvées et descendues par échelle que les flammes sortaient de leurs fenêtres", décrira un autre.

Selon les experts qui examineront le sinistre dans les jours qui suivent, le feu a démarré au 2e étage, gagnant rapidement en intensité et en hauteur. Le faux plafond a ensuite accéléré la diffusion des fumées vers les niveaux supérieurs tandis que la gaine d'ascenseur, les gaines techniques et l’escalier ont permis à l’incendie de se propager au huitième étage puis aux étages inférieurs. Les fenêtres ouvertes et la mauvaise qualité des portes palières, anciennes, semblent également avoir joué un rôle important dans le développement de l’incendie.

Faisant face à un embrasement général, les pompiers vont alors tenter de grimper sur le toit avec un dispositif de cordes, mais ils se retrouvent bloqués par les fumées. C’est là qu’attend frigorifiée Claire Mussy, pieds nus et en tee-shirt, avec deux de ses voisins. Pour respirer, ils partagent à tour de rôle une serviette mouillée. "J’assiste à tout, au désespoir des gens, aux hurlements, aux appels à l’aide et je ne vois toujours pas arriver les secours en bas. J’étais persuadée que c’était la fin, au vu de ce qui se passait aux étages en dessous, parce que je voyais tout ça. Je voyais les gens sauter, je les ai sentis mourir, je les ai entendus partir. Je me disais que s’il se passait ça en dessous, c’était forcément ce qui allait m’arriver à moi dans quelques minutes."

10 personnes ont péri dans l'incendie

Un désespoir partagé par Julie Forbes en équilibre sur la corniche à 20 mètres de hauteur depuis bientôt une heure. "J’ai appelé mon compagnon et mes parents aux États-Unis. J’avais besoin de leur dire au revoir, ce que j’ai fait. Je suis restée au téléphone avec mon père qui est un homme à la tête froide. Il m’a gardée au téléphone en me disant « décris-moi ce que tu vois, décris-moi ce qu’il se passe, explique, OK, réexplique". Et quelque part, ça m’a aidée. Mon père m’a tenue comme ça, un peu comme s’il me tenait la main." Julie Forbes sera finalement évacuée en rappel, à l’aide de cordes comme Claire Mussy, harnachée et basculée dans le vide par les pompiers. La jeune femme fait partie des derniers habitants à être sauvés. Il est près de trois heures du matin.

Cette nuit-là, 64 personnes ont été sorties du 17 bis rue Erlanger, mais dix ont péri dans les flammes ou en se défenestrant. C’est le bilan le plus lourd à Paris ces 18 dernières années.

Parmi les victimes, Adèle G., 31 ans, clerc de commissaire-priseur. Elle a vécu ses derniers instants au téléphone avec sa mère qui était en bas dans la cour. Radia B., une architecte de 40 ans, habitait au 6e étage. Elle venait de s’installer à Grenade en Espagne et était passée en coup de vent récupérer ses affaires. Pascale C, 58 ans, fait également partie des victimes. Elle avait reçu trois ans plus tôt la médaille de l’ordre du Mérite pour sa fondation aidant les jeunes des milieux défavorisés à s’insérer dans la vie professionnelle. Elle habitait depuis 20 ans dans son appartement. Jonathan J. avait 26 ans. "Il a été retrouvé dans sa chambre, certainement que son habitude de jouer en ligne avec un casque sur les oreilles l'a empêché d'entendre les alarmes à temps", postera son père sur les réseaux sociaux quelques jours plus tard. Nathalie L., 92 ans, vivait au 8e étage depuis 1961, entourée des poupées qu’elle collectionnait. Fransesco A., 65 ans et Cresencia A., 57 ans, étaient quant à eux, parents de trois enfants. Employés de maison, ils avaient l’intention de repartir s’installer aux Philippines, leur pays d’origine. Myriam I., 23 ans, rêvait aussi de s’installer à l’étranger pour son travail, à Casablanca au Maroc. Revena H., 37 ans, avait de son côté quitté l’Île Maurice en 2014 pour fuir un mari violent et garantir de meilleures chances de réussite à son fils Adel, 16 ans. Tous deux sont morts dans l’incendie.

Essia B., l'incendiaire sortie de l'hôpital Sainte-Anne

Très vite dans la nuit du drame, une femme est interpellée à proximité de la rue Erlanger alors qu’elle tente de mettre le feu à une poubelle et une voiture. Il s’agit d’une habitante de l’immeuble, Essia B, 40 ans. A 00h10, les policiers de la Bac avaient déjà eu affaire à elle pour un conflit de voisinage. Essia B. accusait son voisin, un pompier, d’être trop bruyant en faisant l’amour. Elle avait alors mis la musique à fond, balancé des objets sur la fenêtre de ce dernier en l’insultant. Pensant la situation apaisée, les policiers étaient rapidement repartis. Pourtant, selon plusieurs témoignages, Essia B., était de nouveau sortie de chez elle peu après en lançant à son voisin : "Toi qui es pompier, tu vas aimer ce que tu vas voir"… "regarde-moi droit dans les yeux, toi qui aime les flammes, ça va te faire tout drôle quand tout va exploser, moi personnellement, je me casse."

Placée en garde à vue, Essia B. va nier être à l’origine de l’incendie, affirmant ne se souvenir de rien. Présentant des "troubles mentaux manifestes", elle sera ensuite conduite à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Ses analyses révèlent un taux d’alcool de 0,52 milligramme par litre d'air expiré, la présence de cannabis, de cocaïne et de benzodiazépine. Des addictions et des troubles psychiques qui l’ont déjà amené à être hospitalisée une trentaine de fois. Le 17 janvier 2019 notamment, elle avait été internée à l’hôpital Sainte-Anne pour des bouffées délirantes avant d’être libérée le 30 janvier. Sur le certificat médical de levée d'hospitalisation, il est écrit qu’Essia B. a présenté "une amélioration clinique rapide". "La patiente ne présente pas d'élément d'acuité. Elle critique les idées mystiques et reconnaît son état d'agitation. Elle se projette dans l'avenir et a organisé son suivi dans un centre de jour spécialisé."

Essia B. est par ailleurs connue des services de police. En 2016, elle a mis le feu à des vêtements dans une boutique afin de voler la caisse. La même année, elle a brulé un pompier à la main avec un briquet, et tenté d'utiliser une bouteille de gaz lacrymogène dans sa direction alors qu’il était en intervention à son domicile pour une tentative de suicide. Des faits tous classés en raison des troubles psychiatriques de cette femme.

En détention, l’incendiaire fait l’objet de plusieurs expertises psychiatriques qui parviennent au même constat : Essia B. présente une "personnalité de type borderline caractérisée par l’instabilité, l’impulsivité, les troubles de l’humeur, l’angoisse et la polytoxicomanie". Selon le psychiatre Daniel Zagury, l'ensemble des déclarations de l’accusée exclut un geste délirant. "Dans un contexte d'ivresse, amplificatrice du vécu émotionnel et inhibitrice des censures, de colère, d'exaspération, de besoin de vengeance, une femme provoque un départ de feu. À partir de là, la spécificité du feu est que celui qui l'a déclenché ne maîtrise rien de la suite, qu'il soit sans conséquence, ou qu'il conduise à un drame d'une telle dimension". Selon les experts, le discernement de cette femme était altéré au moment des faits, mais pas aboli. Elle est donc apte à être jugée.  

"C'est moi qui ai mis le feu au bâtiment"

Alors qu’elle nie être responsable de l’incendie, Essia B. est finalement transportée rue Erlanger en avril 2021 pour une reconstitution. Un électrochoc puisqu’elle finit par reconnaitre sa culpabilité, déclarant avoir agi "comme une gamine", "sans penser aux conséquences". "C'est moi qui ai mis le feu au bâtiment, j'étais dans un état psychotique, je me prenais pour le messie, j'étais en délire de persécution. J'ai mis le feu pour embêter mon voisin sans penser aux conséquences que cela pourrait avoir. Le fait d'être revenue sur les lieux m'a mis un choc, j'ai réalisé la gravité de mes actes, j'ai voulu dire la vérité." Des aveux réitérés le 3 novembre 2021 dans un courrier adressé au juge. La femme dit regretter, ne pas avoir réalisé ce qu'elle faisait et les conséquences que son geste allait entraîner. Et ajoute avoir peur, mais être prête à répondre de ses actes.

Pour ses anciens voisins, c’est la stupeur. Dans l’immeuble, peu d’entre eux la connaissaient. Certains ne faisaient que la croiser. "Quand j’ai compris que ce n’était pas un incendie domestique, mais un incendie criminel, ça a été pour moi une chute libre, comme si j'étais tombée du huitième étage. Ça a été très violent", confie Claire Mussy. "Il y a des actes qu’on ne peut pas prévoir, mais quand il s’agit de personnes comme ça qui ont des antécédents, je me dis qu’on aurait peut-être pu éviter tout ça."

"Est-ce qu'elle va comprendre qu'elle a ôté la vie ?"

Y a-t-il eu une faute professionnelle de l’hôpital Sainte-Anne, en la laissant sortir quelques jours avant le drame ? La plainte déposée contre l’établissement n’a pas abouti, le parquet considérant qu’il n’y a pas eu de défaillances dans le processus de prise en charge. Ses médecins ne seront pas entendus lors du procès qui s’ouvre ce lundi aux Assises de Paris, ce que regrette l’avocat de l’accusée, Maitre Sébastien Schapira. Une frustration également pour Julie Forbes, l’ancienne habitante de la rue Erlanger. Elle sera présente au procès. "L’accusée va voir les victimes, les familles des victimes. Est-ce qu’elle va comprendre ? Est-ce qu’elle a compris que les gens vivaient dans cet immeuble, qu’elle a ôté la vie ? Est-ce qu’elle peut comprendre l’ampleur des dégâts qu’elle a provoqués ? Moi, la seule chose que j’aimerais comprendre, c’est comment ça se fait qu’on l’a libérée de l’hôpital ? J’aurais aimé savoir ce qu’en disent les psychiatres qui ont signé ce papier."

Pour destruction du bien d’autrui ayant entrainé des incapacités inférieures à 8 jours, d’autres supérieures à 8 jours et la mort, Essia B., actuellement internée au sein d’une Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Villejuif, encourt la réclusion à perpétuité. Trente ans d'emprisonnement si l'altération du discernement est reconnue. 

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