Il y a quelques semaines, Nicolas Revel, directeur général de l'AP-HP, a présenté un plan de 30 mesures pour palier au déficit de personnel. Invité du 19/20 de France 3 Paris Ile-de-France, il répond à nos questions sur les tensions au sein de l'hôpital public.
La crise de l'hôpital public, est-ce que c'est d'abord une crise de ressources humaines ?
Oui c'est d'abord une crise de ressources humaines. Je vais vous donner un simple chiffre. Depuis 2018, l'AP-HP a perdu 1 700 infirmières et du coup nous sommes amenés à travailler avec moins de lits ouverts. C'est à peu près aujourd'hui 16% de nos lits qui sont fermés.
2 200 infirmières embauchées sur l'année mais 2 800 départs. C'est une hémorragie ?
On a plus de départs que d'arrivées. Notre intention c'est d'inverser cette tendance. Nous allons nous en donner les moyens dans le cadre du plan d'action que j'ai présenté en interne et qui est le fruit d'une longue concertation. J'ai entendu que quand je me déplaçais je faisais du "tourisme" dans les hôpitaux de l'AP-HP. Je me permets de dire que quand je vais dans les établissements c'est pour échanger avec les professionnels et comprendre ce qu'ils attendent.
Comment est-ce qu'on en est arrivés là ? Est-ce qu'il y a eu des erreurs ?
Je pense qu'il y a d'abord un phénomène post-covid. On voit, après le covid, une fatigue, qui était probablement là avant mais qui s'est accentuée depuis et qu'il faut prendre en considération. Cela veut dire travailler sur les conditions de travail.
Donc pas d'erreurs de stratégie ?
On a aujourd'hui un hôpital qui est en tension mais dès lors qu'à un moment donné vous commencez à perdre des effectifs et que cela s'accentue, vous pouvez être dans uns spirale qui fait que cela devient de plus en plus difficile. Il y a moins d'effectifs alors du coup on est plus fatigués parce qu'on fait plus d'heures supplémentaires, il y a plus d'absentéisme, etc. Il faut casser ça et donc c'est ce que nous allons nous employer à faire. D'un service à l'autre, la réalité n'est pas la même donc ça nous donne des vraies marges de progrès.
2 000 lits fermés sur 12 000 cette année. Est-ce qu'il y a des conséquences concrètes pour les patients ?
On peut se retrouver aujourd'hui, quand on arrive aux urgences et qu'on doit être hospitalisé, à devoir attendre plus longtemps que d'ordinaire pour trouver un lit de médecine. On peut, quand on a besoin d'une opération chirurgicale en urgence, attendre un peu plus longtemps aujourd'hui qu'il y a 3 ou 4 ans.
Vous avez présenté un plan pour attirer des soignants et ne plus en perdre. Vous avez beaucoup de leviers mais vous ne pouvez pas jouer sur les salaires ?
L'hôpital public s'inscrit dans la fonction publique hospitalière. Les salaires sont fixés au niveau national donc moi j'essaye de jouer sur la qualité de vie au travail et le logement.
Une question importante surtout en Ile-de-Frnace où le logement est cher. Vous allez aider davantage vos personnels ?
Exactement. On va tout simplement réussir dès cette année à doubler le nombre d'attributions de logements que nous attribuons à des personnels de santé et notamment aux soignants. Ce sont des logements sociaux qui nous appartiennent et sur lesquels nous achetons en quelque sorte un droit de réservation. C'était 600 par an jusqu'à maintenant, nous allons passer à 1 200 et nous allons cibler notamment les jeunes professionnels. Celles et ceux qui sortent d'école d'infirmières par exemple. Nous aurons beaucoup plus de logements à mettre à leur disposition avec des loyers qui sont évidemment très intéressants.
Lors de ses vœux au personnel de santé début janvier, le président de la République a promis une nouvelle organisation du temps de travail à l'hôpital. Cela fait partie de vos pistes de travail ?
Oui parce que c'est une vrai aspiration de nos soignants. On a un modèle dominant dans nos hôpitaux, c'est de venir travailler tous les jours 7h30. Quand on habite loin, venir travailler tous les jours est difficile et fatiguant. Donc ce que l'on essaye de faire c'est maintenant de développer des formules d'organisation de la semaine et du temps de travail sur la semaine qui permettent de travailler un peu plus sur une journée et de venir travailler à l'hôpital soit 3 jours soit 4 jours.
Est-ce que c'est à la carte ?
Ce que nous souhaitons c'est pouvoir généraliser ce type d'approche qui marche très bien. D'abord c'est de pouvoir faire en sorte que les équipes choisissent leur maquette horaire, leur organisation de la semaine, leur organisation du temps. Et sur la confection même des plannings, que les soignants soient beaucoup plus autonomes et gèrent ça entre eux. Cela marche et le retour de l'expérience est très positif.
30 mesures au total dans votre plan. Est-ce que vous en attendez des résultats concrets rapides ?
Je pense que ce plan va produire ses effets dans 12 à 18 mois Ce que je souhaite, moi, c'est qu'on puisse déjà, en 2023, recruter beaucoup plus d'infirmières puisque ça se concentre beaucoup sur cette catégorie. Nous voulons atteindre 2 700 recrutements cette année. Evidemment nous souhaitons également avoir moins de 2 700 départs et donc cela veut dire travailler sur la qualité de vie au travail, sur le collectif.
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