Dans une note, le président du tribunal et le Procureur de la République alerte le ministère de la justice sur le manque de moyen. La juridiction ne peut pas faire face au surcroit de travail lié aux JO de 2024.
« La communauté judiciaire n’a pas le sentiment de bien juger, ni de rendre une justice de qualité pour les justiciables ». Le constat sévère a valeur de propos liminaire. Dans une "note d'alerte" de trois pages adressée à la Cour d’appel de Paris, le président du tribunal de Bobigny et le Procureur de la République dressent un sombre tableau. « Le tribunal n’a pas les moyens de ses ambitions et des charges singulières qui sont les siennes dans la perspective des Jeux olympiques», reconnaissent les deux magistrats. Par cette missive, Peimane Ghaleh-Marzban et Eric Mathais ont voulu avertir la chancellerie en prévision de la réunion de gestion, mardi prochain (13 décembre 2022).
Les deux magistrats dressent un inventaire des dysfonctionnements. Le traitement en comparutions immédiates d’affaires « qui s’apparentent à de véritables dossiers d’informations judiciaires » ; « le nombre de dossiers en stocks de plus de 550 » qui crée « une véritable injustice pour les victimes » ; les retards au Tribunal pour enfant, aux Assises, au greffe correctionnel, à l’exécution des peines … Une situation qu'a pu filmer le magazine de France 3 IDF « Enquête de Région ». Durant trois jours, nos équipes avaient pu suivre le quotidien des magistrats et des greffiers du tribunal de Bobigny.
Dans cette lettre, les deux magistrats s'inquiètent aussi de l'empilement des réformes judiciaires qui alourdissent la charge de travail. Ils s'interrogent aussi sur l'augmentation du dispositif policier qui engendre "des gardes à vue qui doivent être traitées par des magistrats du parquet à moyen constant". Quid du surcroit de travail liés à la période de préparation des JO ? Les responsables de la juridiction demandent des renforts : 49 magistrats du siège, 24 parquetiers et 168 fonctionnaires du greffe.
Du coté de l'Union Syndicale des Magistrats qui a rendu publique la lettre sur les réseaux sociaux, on dresse un satisfecit. La note reprend les trois axes de revendication évoquées lors de l'Assemblée Générale des magistrats du siège et du parquet en début de semaine.
"C'est une prise de position courageuse et rare. Je pense qu'on aura quelques dotations en plus en septembre prochain. Ca serait le minimum pour gérer nos missions sans y passer toutes nos soirées, nos week-ends et nos vacances. Et peut-être cela nous permettra-t-il de créer cette fameuse chambre de "déstockage" pour traiter les quelques 500 affaires dont l'instruction est achevée, en attente d'une date d'audience."
Maximin Sanson, représentant de l'Union Syndicale des Magistrats
Le ministère de la Justice nous indique que le tribunal "aura évidemment des renforts" pour les JO. "Pour rappel, en 2022, 7 nouveaux magistrats ont été affectés au TJ de Bobigny. 17 magistrats en 4 ans. Grâce à une augmentation historique du budget de 40% depuis 2017, le ministère de la Justice a embauché 700 magistrats, 850 greffiers et 2000 contractuels sous le précédent quinquennat. Pour le quinquennat actuel, ce seront 1500 magistrats, 1500 greffiers qui permettront de faire face à ces situations."
L'an passé, les difficultés de la justice avaient été dénoncées dans une tribune de 3000 magistrats. A Bobigny, département le plus criminogène de France métropolitaine, elle prend un tour particulièrement abrupte. En 2021, plus de 221 000 plaintes ont été traitées au Parquet. 18 000 décisions ont été rendues par le tribunal correctionnel. 22 000 ont été orientées vers des mesures alternatives, notamment pour empêcher la paralysie des chambres correctionnelles. Une politique pénale qui doit s'adapter aux manques de moyens, tout un symbole.