Ultime tour de piste ce samedi soir pour Rahotep de Toscane, un cheval médaillé d’or aux JO de Rio. L’étalon monté par Philippe Rozier viendra recevoir l'hommage du public à l’occasion de l’étape parisienne du Longines Global champions Tour.
Samedi, Rahotep de Toscane va quitter son pré normand. Direction Paris, le Champs de Mars et le Longines Paris Eiffel Jumping, un concours international de sauts d’obstacles qui réunit les 35 meilleurs cavaliers mondiaux qui se à partir d'aujourd'hui jusqu'à dimanche. Cette fois ci, Rahotep ne franchira pas les obstacles mais il foulera une dernière fois la piste du Paris Eiffel Jumping.
Ce jeune retraité de 16 ans vient pour une dernière séance photos et un ultime tour de piste. Un tour d’honneur pour y recevoir les hommages du public, des cavaliers et des amoureux des chevaux.
Son cavalier, Philippe Rozier, sa groom Maud Ligouzat et son propriétaire Christian Baillet nous raconte l’étonnante histoire ce cheval, fils de Quidam de Revel et de Fanny du Murier, né le 6 avril 2005 chez Michel Aubertin.
Quand on l’a vu, nous avons été déçus
"Cela n’a pas été le coup de foudre, loin de là", sourit Philippe Rozier son cavalier. "Un ami belge m’avait contacté par Facebook en me disant qu’il avait vu le frère de Jadis de Toscane, cheval que je montais depuis des années, et que ça valait peut-être le coup de faire un petit détour d’une vingtaine de kilomètres. Nous étions dans le coin, alors nous y sommes allés. Avec Christian Baillet, (ndlr : son futur propriétaire), nous sommes partis en Belgique. Quand on l’a vu, nous avons été déçus. On a failli repartir mais lorsqu’on a mis les barres un peu plus haut, il s'est transformé, c’était un autre cheval", explique-t-il.
"Nous n’avons effectivement pas eu le coup de foudre avec Philippe Rozier car il n’avait aucun muscle. Ce n’était pas du tout un athlète et puis c’est un cheval qui ne se donne pas quand on lui demande de petits efforts, il saute très moyennement, et quand on monte les difficultés il commence à se révéler mais Philippe Rozier a senti quelque chose et puis j’avais déjà son propre frère je connaissais sa génétique, j’avais donc un apriori favorable", confirme Christian Baillet.
Avec ce cheval, je suis parti d’une page blanche pour aller au sommet
Le cavalier seine-et-marnais écoute son intuition. Christian Baillet lui accorde sa confiance et achète le jeune étalon. A 5 ans, Rahotep rejoint les écuries de Philippe Rozier à Bois-le Roi en Seine-et-Marne. Sans nourrir beaucoup d'espoirs.
Philippe Rozier fait un autre pari : lui laisser du temps.
"Il y a des sponsors, des mécènes qui achètent pour des cavaliers de compétition des chevaux déjà prêts. Nous, cela nous a pris cinq ans et ce n’était pas gagné avec lui ! Le travail a payé. Nous avons dû croire en lui et lui aussi a cru en nous", témoigne Philippe Rozier.
Avant neuf heures du matin, il fallait le vouvoyer. Après cela allait beaucoup mieux !
Adolescent, Rahotep de Toscane rencontre sa groom, Maud Ligouzat. L’entente est immédiate avec celui qu'elle nomme "le gris au fond des écuries".
"A cette époque, personne ne le regardait mais moi il me plaisait beaucoup car il était très gentil et puis il avait un œil très malin", raconte sa soignante. Le cheval à 7 ans, elle va s’occuper de lui quotidiennement pendant 8 ans. Préparation physique, soins, maréchal-ferrant, kinésithérapie, osthéopathie, dentiste équin, transports, échauffement et sorties en forêt. Sans oublier les raisins que le cheval affectionne !
"Les premiers quarts d’heure de son entraînement, il était plutôt coquin et il jouait beaucoup. Ça ne me faisait pas peur du tout ! Bon je me faisais secouer", s’exclame Maud Ligouzat. "Cela me faisait rire, alors il continuait de plus belle et puis une fois qu’il avait craché son feu, il était génial !"
Comme tout athlète de haut niveau, Rahotep est au travail tous les jours sous la selle de Philippe Rozier. "Il y a des chevaux qui ne montrent rien. Lui, il montrait tout, quand ça va, quand ça ne va pas. Vous rentriez dans le box le matin et vous saviez tout de suite comment se passerait la journée. Ce cheval a une très grande faculté de communication et son comportement mental était primordial pour la compétition. Je savais que quand j’avais son mental, j’avais tout", se souvient le cavalier international.
Les séances d’entraînement pouvaient être extraordinaires comme épouvantables
Et de poursuivre, "c’est comme un sportif de haut niveau et il faut gérer le quotidien qui n'est pas toujours drôle pour l'athlète. C’est un quotidien de fond, de musculation, et tout cela en gardant le moral. On ne peut pas aller en compétition sans entraînement, il y a du travail, il faut le faire, on a pas le choix. Il me demandait beaucoup de concentration car il était capable de se foutre de tout et je le perdais assez rapidement. Comme avec les enfants, il fallait parfois dire, attends là il faut que tu te concentres. Ce cheval, c’est un peu un enfant gâté, le surdoué qui vous dit, ah non aujourd’hui j’ai pas envie !" sourit -il.
Le cheval prend son temps et se révèle peu à peu enchaînant des concours de sauts d'obstacles. "Ce n’est qu' à partir de ses 9 ans qu’il a commencé à mettre le turbo", atteste Philippe Rozier. Mais en 2015, un an avant les JO de Rio, le cheval est arrêté pour une tendinite au postérieur gauche. "Sincèrement, après sa tendinite, la sélection pour les Jeux semblait très loin", reconnaît Philippe Rozier. "La France comptait beaucoup de couples très performants et je sentais que ça allait être compliqué". Finalement après de bons résultats sportifs, Rahotep, sa groom et son cavalier embarquent pour Rio.
En 2016, arrive la consécration avec la médaille d’or par équipe aux JO de Rio pour les 4 cavaliers de l'équipe de France. Et pourtant encore une fois rien n’était gagné pour Rahotep. Le cheval et son cavalier sont selectionnés mais comme réservistes. Ils ne doivent leur titularisation qu'à la blessure d'Hermès Ryan des Hayettes le cheval d'un autre membre de l'équipe de France, Simon Delestre, qui doit déclarer forfait.
"Rahotep était dans une phase où il n’arrêtait pas de bien faire, on était sur une pente ascendante. J’avais l’impression qu’il ne pouvait rien lui arriver. Mais j’étais à mille lieux d’imaginer ce qui allait arriver. Je pense que j’étais la moins prête des trois. Je me disais de toute façon, le cinquième cheval ne court pas. Et puis c’est le vétérinaire qui m’a mis la puce à l’oreille, tu sais Maud, il y a 33 % de chances pour que le cinquième cheval sélectionné, concourt, 33 % c’est énorme en fait !", se souvient la groom de Rahotep.
Retrouvez dans cette vidéo le parcours de Philippe Rozier et Rahotep de Toscane à Rio en 2016
"Au Brésil, il avait une concentration incroyable", confie Philippe. "Ce n’était pourtant pas son genre. Rahotep était un cheval difficile à concentrer. Parfois, à 3 foulées de l’obstacle, tu avais l’impression qu’il n’était pas là, qu’il regardait ailleurs et tu te demandais ce qui allait se passer. À Rio, il était incroyablement réceptif. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Il s’est mis dans le même état que nous".
Rahotep est le premier à s'élancer des 4 Français. Le parcours est sans faute. Kevin Staut, Pénélope Leprevost, Roger-Yves Bost et Philippe Rozier, médaillés d'or sont sacrés champions olympiques. Historique pour la France qui ne l'avait jamais été depuis 40 ans.
"On a trouvé une perle mais il fallait la tailler, la peaufiner. C’est ça l’histoire de Rahotep. Ce n'était pas un cheval de haut niveau quand nous l’avons acheté. L’histoire est belle. J’aurais pu vraiment passer à côté de ce cheval", se réjouit Philippe Rozier non sans fierté.
Après avoir frôlé la mort en raison d'une épidémie équipe au printemps dernier, Rahotep de Toscane commence sa nouvelle vie d'étalon reproducteur et "il est sacrement content", s'esclaffe Philippe Rozier.
Samedi à 21 heures 30, Rahotep fera ses adieux devant le public parisien. Un tour d'honneur pour saluer sa carrière olympique. "Le tour de piste au Longine, c’est important de le faire, pour les gens de cheval, pour le monde des concours. Cela a une vraie valeur. Les chevaux font leurs adieux. Rahotep a été un grand cheval et puis un tour de piste sous la tour Eiffel ce sera très symbolique !" explique Maud Ligouzat.
Le Longines Paris Eiffel se tient du 25 au 27 juin sur le Champ de Mars à Paris. Un des derniers rendez-vous équestre avant les JO de Tokyo.
Retouvez Rahotep de Toscane dans ce portrait de Philippe Rozier rencontré dans ses écuries de Bois-le Roi en Seine-et-Marne à quelques jours du Longines Paris Eiffel Tour, un reportage signé Jean-Philippe Lemaire et Raphaëlle Durosselle.