Montreuil : la belle aventure de Label Gamelle

Christine Merckelbagh était cadre (très) supérieure dans l’assurance. Vincent Dautry était chef cuisinier dans des établissements deux ou trois étoiles. Tous les deux gagnaient très bien leur vie, mais avaient aussi l’impression de la gâcher. Alors, ils ont choisi de changer radicalement de voie professionnelle, pour monter une… cuisine centrale.

Christine Merckelbagh était directrice des Opérations d’assurance dans un grand groupe avec un service de 300 personnes à diriger. Titulaire d’un Magistère d'Economiste Statisticien et d’un DEA d’Economie Mathématiques, elle touchait un salaire mensuel à 5 chiffres, ce qui lui assurait un train de vie très confortable. Seulement voilà, les assurances, ce n’était pas son rêve de départ. « Lors de mes études, je m’étais promis de ne jamais travailler dans les secteurs de la banque ou de l’assurance. Mais j’ai fini la fac en 1995 et il n’y avait que là où l’on recrutait. J’ai pris un boulot dans les assurances pour être indépendante et puis j’ai continué… ».

Cela va durer une petite vingtaine d’années durant lesquelles monte, peu à peu, son ras-le-bol pour ce monde aussi feutré qu’impitoyable. En 2016, elle craque et quitte le monde des assurances pour passer un CAP de cuisine à l’Ecole Ferrandi, « À un moment, je me suis dit : tu ne vas pas continuer à faire des trucs qui ne te plaisent pas ; tu attends quoi pour concrétiser tes rêves ? ». CAP en poche, elle met sa maison en vente pour ouvrir un restaurant à Rennes, lorsqu’elle entend parler d’un poste de directrice pour un restaurant associatif à monter dans un foyer d’immigrés de Montreuil, « Le centenaire ».

Première aventure : "Le centenaire"

En cuisine, Christine gère 13 employés dont 11 femmes et presque autant de nationalités. Tous sont en « Contrat à Durée Déterminé d’Insertion » afin de se former au métier d’agent polyvalent de restaurant. Christine, toujours passionnée de management, instaure une réunion hebdomadaire avec l’équipe pour donner à chacun les axes de développement du restaurant, les chiffres clé et faire des « retex » (retours d’expérience). Une partie de la brigade est illettrée en français ; qu’importe, elle fait ses réunions avec des dessins. Parallèlement à la cuisine, elle apprend à ses employés à prendre la parole en public, elle les regonfle, fait tout ce qu'elle peut pour les doper à la confiance en eux. « J’ai dû m’adapter sans cesse, on était souvent dans le déséquilibre, mais dans le déséquilibre créatif » se marre la grande brune quadragénaire. Objectif : impliquer ses treize agents dans une organisation du travail participative et insuffler un véritable esprit d’équipe. Rapidement, le restaurant du Centenaire assure une moyenne de 150 couverts chaque midi. Les prix sont doux, autour de 5 euros le plat, et la cuisine d’autant plus savoureuse qu’un complice de Christine, Vincent Dautry, professeur à l’Ecole hôtelière Ferrandi et chef étoilé, passe tous les matins pour apporter une touche de créativité supplémentaire aux menus.

Vincent est passé par le gratin des restaurants et palaces (Lasserre, Le Taillevent, le Georges V, Apicius...). Truffes blanches, homard, foie gras… travailler avec un budget « matière première » quasiment illimité, il sait faire et son art l’a amené à faire le tour du monde, de palace en palace.

Un parcours atypique 

Alors que, dans la confrérie des grands chefs étoilés, il est de bon ton de confesser une passion remontant au berceau, cette toque-là dénote : « Ma famille, c’était l’Assommoir de Zola. Très tôt, j’ai été confié à mon parrain et à ma marraine, des personnes alors plutôt âgées pour élever un gosse. Ce sont eux qui m’ont imposé le métier de cuisinier et un CAP en m’expliquant « tu gagneras peu ta vie, mais au moins tu mangeras tous les jours », la passion n’est venue que bien après mon CAP ». Départ sans cuillère en argent dans la bouche donc, mais déjà une sacrée volonté de réussir. Passé le CAP, Dautry enchaîne sur un BEP, puis un bac pro, puis un BTS restauration, le tout en parallèle de son métier. Il ne s’arrêtera pas là; il y aura aussi un master 2 en Economie et Gestion et l’obtention du Capet, le concours qui permet d’enseigner en lycée hôtelier. « J’ai eu envie de transmettre, et je suis devenu professeur de cuisine en 2013» explique-t-il. Cela a beau être à l’École Ferrandi, le must en la matière, il divise son salaire par deux. Une mécanique est enclenchée : elle ne s’arrêtera plus.

De l’École Ferrandi (privée), il passe à l’Éducation Nationale, puis il tâte de la formation pour adultes avec le Greta. Son salaire baisse encore et son public change considérablement. « À des personnes que j’avais en formation de plongeurs et aide-cuisiniers, j’ai demandé de me citer les fonctions qu’ils connaissaient dans une brigade de cuisine. et ils s'y sont mis ! », tous les postes y passent ; sauf deux : plongeur et aide cuisinier... « C’est là-dessus que je veux travailler : que mes élèves reprennent confiance en eux-mêmes ».

À l’automne 2020, Vincent Dautry franchit une nouvelle étape de sa nouvelle vie en se lançant dans l’aventure Label Gamelle. Après avoir élaboré des repas à plus de 300 €, concocter des menus à 3,50€ tout compris, c'est un sacré défi ! Un défi encore relevé par la volonté de former à la cuisine des personnes qui ont bien souvent décroché du monde du travail. « Je ne veux pas donner des poissons aux gens ; je veux leur apprendre à pêcher ». Vincent Dautry, comme bien des gosses issus de milieux très pauvres, déteste la charité. il conçoit avant tout les rapports humains dans l’échange. « Manager, ça n’est pas un mot sale, pour moi, ça signifie pousser l’autre vers le haut. Avec Label Gamelle, on va bosser pour l’Armée du Salut, mais on est pas l’Armée du Salut ».

l'humanitaire sans charité

Les deux fondateurs de Label Gamelle n’ont évidemment aucun grief contre l’humanitaire. ils reconnaissent sa nécessité et son utilité mais, fermement, ils ont décidé de ne pas s’inscrire dans ce fonctionnement. Label Gamelle inscrit donc son action dans le cadre d’une entreprise, une Scop (Société coopérative et participative) où chaque salarié possèdera une voix et où l’échelle des salaires sera de 1 à 3. « Ne pas avoir à dégager de gros bénéfices pour rémunérer ses actionnaires change totalement la viabilité et la pérennité d’une entreprise » explique Christine et, à Label Gamelle, les bénéfices seront systématiquement réinvestis dans l’entreprise.

Les 10 employés de la structure sont primo-arrivants, bénéficiaires des minima sociaux, femmes seules avec enfants, personnes avec peu ou pas d’expérience professionnelle reconnue, jeunes sortis prématurément du système scolaire, chômeurs de longue durée… autant d'obstacles réels dans une recherche d'emploi. L’un des défis de Label Gamelle est de leur remettre le pied à l’étrier. Christine et Vincent ne sont ni des saints, ni des masochistes : ils ont lancé Label Gamelle parce qu’ils y croient, bien sûr, mais avant tout parce qu’ils trouvent leur compte dans ce projet qui leur permet de défendre des valeurs, de montrer qu’il est possible de construire une économie et un monde plus solidaires.

« C’est pas parce qu’on est pauvre qu’il faut mal manger », un film de Thierry Kubler, diffusé à la télé jeudi 31 mars aux alentours de 23 heures

Et une série web en 8 épisodes à voir sur France.tv

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