Suspendu à l’état de santé de Salah Abdeslam, testé positif au Covid-19 il y a une semaine, le procès des attentats de novembre 2015 doit entamer une nouvelle séquence. Celui de l’interrogatoire des 14 accusés présents dans le box. Des hommes qui se sont peu exprimés jusqu’alors et dont la parole est attendue par les parties civiles.
Comme d’autres parties civiles, Arthur Denouveaux, le président de l’association de victimes Life for Paris, se dit philosophe face à la suspension de l’audience des attentats de novembre. "Pour nous, une semaine de plus ou de moins, cela ne change pas grand-chose. Cela faisait 6 ans que l’on attendait ce procès qui avait déjà été reporté une première fois pour cause de Covid. On avait déjà coché toute l’année scolaire 2021-2022."
Les premiers mois ont été éprouvants
Sophie Parra, victime des attentats du 13 novembre 2015
Un sentiment partagé par Sophie Parra, rescapée du Bataclan. La jeune-femme, qui habite à Lyon, avait prévu de se rendre ce mercredi au Palais de justice de Paris pour l’audition de Mohamed Abrini, un délinquant radicalisé de 37 ans accusé d’avoir joué un rôle central dans les préparatifs. Il devait être interrogé sur son parcours précédant 2015, et notamment son séjour en Syrie. C’était sans compter sur l’épidémie de Covid-19 qui touche depuis une semaine son meilleur ami, Salah Abdeslam. Dont l’absence empêche la reprise de l’audience. "Cela nous laisse encore quelques jours pour souffler. C’est plutôt bien parce que les premiers mois ont été éprouvants et qu’il en reste cinq", reconnaît Sophie Parra. La jeune-femme a dû modifier ses réservations de train. En prévoyant large cette fois-ci. "Je ne reviendrai que le 19 janvier à Paris. Et si ça reprend avant, j’écouterai le procès via le web radio".
Salah Abdeslam testé positif au Covid-19
Incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, Salah Abdeslam, a été testé positif au Covid-19 le 27 décembre dernier. Une nouvelle expertise médicale doit être réalisée ce lundi. Si le test PCR s’avère négatif, le procès pourra reprendre jeudi 6 janvier. Si en revanche il est positif, il faudra attendre une nouvelle expertise, comme l’indique le parquet national antiterroriste dans un communiqué. En espérant que les dix autres accusés incarcérés ne soient pas eux-mêmes touchés d’ici là, plusieurs foyers de contamination ayant été signalés dans des centres pénitentiaires.
"Cette épidémie de Covid bouleverse tout notre emploi du temps, nous empoisonne, mais nous nous y attendions. Vu le nombre d’interlocuteurs dans ce procès, ça semblait impossible de passer à travers", explique Stanislas Eskenazi, l’avocat belge de Mohamed Abrini resté à Bruxelles en attendant les résultats. L’audition de son client a d’ores et déjà été reportée. Sans qu’aucune date n’ait été fixée. "J’imagine que le président nous laissera une semaine pour nous retourner et convoquer de nouveau les proches de Mr Abrini qui devaient être entendus", poursuit-il.
Ces audiences pourraient être éventuellement déplacées sur plusieurs lundis, laissés libres pour pallier les imprévus, et qui sont très attendues par les parties civiles.
Les accusés entendus sur le fond en janvier
Car après quatre mois consacrés à la parole des victimes et des experts, ce sont les 14 accusés qui doivent à présent s’exprimer sur le fond du dossier et sur leur engagement religieux, leur éventuelle radicalisation. Eux qui n’ont eu quasiment pas eu la parole depuis septembre. Si ce n'est une brève déclaration spontanée au tout début du procès, ils n'ont pour l'heure été interrogés que sur leur "parcours de vie" avant les attentats.
Ce qu’attendent mes clients maintenant, c’est de comprendre le chemin de vie des accusés
Helena Christidis, avocate parties civiles
"Jusqu’à présent, le procès a été très en périphérie en brossant un tableau de l’avant, en retraçant comment les filières s’étaient constituées. Il n’y a pas réellement eu d’interactivité avec les accusés, ce qui a été frustrant pour certains d’entre eux qui avaient besoin de s’expliquer comme Farid Kharkach", indique Helena Christidis, l’avocate de nombreuses parties civiles. "Ce qu’attendent mes clients maintenant, c’est de comprendre le chemin de vie des accusés qui ont participé à ces attentats, de ces personnes qui ont vécu dans des sociétés occidentales et qui pour certaines étaient bien insérées", ajoute-t-elle.
Des parents des accusés sont notamment attendus lors de ces journées d’audience. Puis à partir du 9 février, les accusés seront de nouveau interrogés sur la période comprise entre fin août 2015 et le 7 novembre 2015. Et en mars, sur les faits en eux-mêmes. De quoi peut-être combler certaines zones d’ombre comme l’espère Arthur Denouveaux. "Va-t-on apprendre de nouveaux éléments sur le Stade de France dont l’attentat semble avoir été bâclé ? Sur la fuite d’Abdelhamid Abaaoud, croquignolesque, alors que l’on ne sait toujours pas qui l’a aidé à se cacher ? Sur Mohamed Abrini, qui semble faire partie du commando du 13 novembre et qui se serait peut-être désisté au dernier moment ?", s’interroge le président de Life For Paris. "Et puis, les accusés vont-ils expliquer comment et pourquoi ils ont basculé ? Ca serait intéressant. Pas seulement pour nous, mais pour la société", souligne-t-il.
Prompt à s'arroger la parole pour justifier les attaques, Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie des commandos terroristes, éclairera-t-il la cour sur son rôle exact ? Ou refusera-t-il de comparaitre, comme il le fait depuis début décembre ? Autant de questions auxquelles les quatre premiers mois de procès n’ont pas encore permis de répondre pour Sophie Parra, grièvement blessée à la jambe et au bassin le 13 novembre 2015 au Bataclan. "J’aimerais que ces hommes expliquent pourquoi le Bataclan, pourquoi les autres lieux, pourquoi cette date du 13 novembre ? Que l’on ait au moins une petite réponse."
Cinq mois encore pour comprendre alors que le délibéré est attendu entre le 24 et le 25 mai.