Le 1er janvier 2024, chaque commune devra proposer aux habitants une forme de tri des déchets alimentaires. Actuellement, en Île-de-France, seuls 1% des déchets alimentaires sont collectés.
"Triez où vous voulez, sans vous tromper", "Paris vous facilite le tri !" : on ne compte plus les slogans qui invitent les habitants à trier leurs déchets. Pourtant, en la matière, les Franciliens ne sont pas les meilleurs élèves de l'Hexagone, surtout concernant le tri des déchets alimentaires.
Pour se faire une idée des difficultés et tenter de trouver des solutions, la Ville de Paris a lancé une expérimentation à grande échelle. En 2017 puis en 2019, trois arrondissements (les 2e, 12e et 19e) ont été sélectionnés pour la collecte des déchets alimentaires.
"Le bilan n'est pas satisfaisant en termes de tonnage", reconnaît d'emblée Colombe Brossel, adjointe à la maire de Paris en charge de la propreté de l’espace public, du tri et de la réduction des déchets, du recyclage et du réemploi.
Alors que la loi impose à toutes les communes d'offrir une solution de tri des biodéchets (déchets verts et alimentaires) d'ici au 1er janvier 2024, l'expérience a permis plusieurs leçons, dont une fondamentale : seule une poignée d'habitants séparent leurs déchets alimentaires.
"Quand on fait le bilan de la collecte en porte-à-porte, c’est-à-dire que l'on va chercher les poubelles dans les immeubles, il n'est pas très bon. Le sujet, ce ne sont pas les habitants, mais le bâti. Dans le 2e arrondissement, on a pu installer une poubelle supplémentaire dans seulement la moitié des immeubles. A Paris, il n'y a que 60% des immeubles où l'on peut mettre une poubelle supplémentaire. Comment on fait pour proposer à ces habitants de valoriser leurs déchets alimentaires ?", poursuit l'édile.
L'expérimentation a eu pour conséquence un changement de braquet : désormais, plus question de généraliser les poubelles marron. Des points de collecte vont être déployés dans l'espace public. D'abord autour des marchés (méthode qui a fait ses preuves), puis dans des lieux publics comme des écoles, les collèges ou les marchés couverts avec pour ambition que tous les Parisiens aient une borne à moins de 300 mètres de chez eux.
Convaincre les personnes réticentes
"Globalement, nous avons une problématique avec des gens très motivés d'un côté et d'un autre, beaucoup qui ne participent pas", analyse Helder De Oliveira, directeur de l'Observatoire régional des déchets d'Île-de-France (ORDIF).
Une problématique ancienne selon ce dernier : "Cela fait 30 ans que l'on fait la collecte sélective des emballages, mais la très grande majorité n'est pas triée. On trie à peu près 60% des bouteilles en verre, 30% du carton et 20% du plastique. On est dans des taux de captage très bas qui n'évoluent que peu".
Actuellement, sur les 890 000 tonnes de déchets alimentaires produits chaque année dans la région, 95% sont incinérés, "c'est simple, aujourd'hui, on brûle de l'eau", regrette Helder De Oliveira. De fait, seul 1% des déchets alimentaires sont actuellement collectés, soit environ 7 000 tonnes.
Face à ce constat sévère, comment encourager les Franciliens à plus trier ? "Il faut mobiliser les quatre leviers : logistique efficace (bacs et tournées de bennes), communication, réglementation et incitation financière", poursuit le directeur de l'ORDIF.
Ce dernier levier serait sous-utilisé : "Pourtant, c'est facilement imaginable dans les milieux ruraux avec la tarification incitative. Mais très peu d'intercommunalité en Île-de-France l'ont mis en place, seulement dans le sud de l'Essonne, ce qui représente 1% de la population francilienne. On ne sait pas encore comment l'appliquer en milieu urbain. Il faut peut-être passer par un système plus incitatif. Mais ça reste à inventer". Ce dernier imagine des bornes collectives avec un dispositif gratifiant comme la distribution de bons d'achats ou de billets d'accès aux piscines en utilisant le dispositif. "Mais l'idée ne fait pas son chemin", déplore-t-il.
Optimiser les propositions de collectes
Car ces lieux de collectes ont encore mauvaise réputation : ils dégagent de mauvaises odeurs, attirent les rats, et sont trop compliqués à utiliser.
Catherine Boux, directrice générale adjointe en charge de l'exploitation et la valorisation des déchets au Syctom, le principal gestionnaire de déchets en région parisienne, veut démonter ces préjugés. Elle répète que l'on peut tout mettre dans un compost public, y compris les déchets carnés ou le poisson. Car dans 98% des cas, ils sont envoyés dans des méthaniseurs pour créer du méthane souvent appelé "gaz naturel". Le gaz est ensuite réinjecté dans les réseaux urbains.
"Tous les systèmes fonctionnent. S'ils ne fonctionnent pas, c'est lié à la cohérence de la gestion des autres déchets. Le producteur de déchets doit bien comprendre qu'il y a un transfert, mais c'est à lui de faire cette gestion différenciée. Si on est sur un périmètre où il existe une habitude de bacs externalisés, on rajoute un bac pour un déchet alimentaire et cela sera cohérent. Aujourd'hui, c'est encore compliqué. Il ne suffit pas de mettre un bac, il faut une participation de l'habitant", affirme-t-elle.
Si elle reconnaît le démarrage lent de la collecte des déchets alimentaires, elle espère qu'en 2025, 60 000 tonnes seront collectées (près de 10 fois ce qui est actuellement valorisé).
Selon elle, l'une des causes se trouve dans l'urbanisme francilien : "on est sur la zone la plus dense de France, voire même au niveau mondial avec une grande verticalité de l'habitat. L'appropriation de l'espace est très différente de ce qu'il peut y avoir en province. Il y a une déresponsabilisation. On le ressent depuis longtemps. Même sur le verre, qui est un flux historique, on a des performances en Île-de-France inférieures à d'autres régions".
Manque d'infrastructures
Le Syctom ne désespère pas de voir décoller cette forme de tri. A l'heure actuelle, cette agence de gestion des déchets ne possède pas de lieux de retraitement. Une carence qui devrait être résolue en 2025. "On a un projet de méthanisation à Gennevilliers en 2025 pour une capacité de 50 000 tonnes", détaille-t-elle.
Face à ce manque d'infrastructures, de nombreuses entreprises tentent de proposer des solutions, souvent individuelles comme l'achat de lombricomposteurs (qui, eux, ne permettent pas de recycler l'ensemble des aliments).
Le Syctom n'est pas en reste et a financé deux expérimentations : un micro-méthaniseur à Vitry (Val-de-Marne), un composteur électromécanique à Stains (Seine-Saint-Denis).
"Les deux marchent très bien lorsqu'il existe une démarche imbriquée de collectes et de modalités de traitement. On demande par exemple que des sacs compostables soient distribués", indique Catherine Boux qui se félicite du peu d'incivilités : "Soit les gens ne le font pas, soit c'est trop contraignant. On n'a que 8 000 tonnes pour cette année, mais la qualité est bonne".
De leur côté, les professionnels sont plus assidus. Les restaurateurs (commerçants comme ceux de la restauration collective) trient plus : 65 000 tonnes de leurs déchets alimentaires sont collectés chaque année.