Fin novembre 2019, un article de L'Express avait dénoncé les "conditions indécentes" de conservation de dépouilles de "milliers de personnes ayant fait don de leur corps à la science".
L'ancien président de l'Université Paris-Descartes, Frédéric Dardel, a été mis en examen vendredi 4 juin pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre" dans l'enquête sur les conditions indécentes de conservation des corps donnés à la science au Centre du don des corps, a appris ce lundi l'AFP de source proche.
Locaux vétustes, dépouilles putréfiées et rongées par les souris, soupçon de marchandisation des corps... Fin novembre 2019, un article signé de nos confrères de L'Express avait dénoncé les "conditions indécentes" de conservation de dépouilles de "milliers de personnes ayant fait don de leur corps à la science". Ces révélations avaient conduit la ministre de la Recherche Frédérique Vidal à ordonner la fermeture du "temple de l'anatomie française", fondé en 1953 et qui accueillait chaque année plusieurs centaines de corps.
"Une enfilade de quarante têtes"
Depuis les années 1980, on estime que 18 000 dépouilles ont été confiées au centre du don des corps de la faculté. Parmi elles, celle de Marie-France. Elle souhaitait faire avancer la recherche en donnant son corps à la science. Aujourd’hui, sa fille Laurence Dezélée, vice-présidente de l’association Charnier Descartes-justice et vérité pour les donneurs, témoigne pour France 3 Paris Île-de-France. "Officiellement elle n’a pas servi", nous dit-elle. "Soit ils l’ont laissé pourrir dans un coin, soit elle a été vendue à la découpe à droite à gauche et on veut pas nous le dire, soit elle a servi pour un trafic de corps, aller dans un cabinet de curiosité je ne sais pas où", explique-t-elle, ajoutant par ailleurs qu’"eux ne savent pas non plus. Je n’ai pas de preuve qu’elle a été incinérée. Je n’ai pas non plus de copie du bon d’incinération".
"Il y avait une salle avec une enfilade de quarante têtes. J’ai cru reconnaitre celle de mon père. C’était la première".
Carolkim Trân-Garrel est dans le même état. C’est la fille du comédien Maurice Garrel – disparu en 2011. Il avait, lui aussi, donné son corps à la science. Grâce à une série de photos qu’elle a pu consulter, elle a découvert une autre (et triste) réalité. "Il y avait une salle avec une enfilade de quarante têtes. J’ai cru reconnaitre celle de mon père. C’était la première. Les dates correspondent. Et quand je suis rentré chez moi, je me suis dit que ce que j’avais vu n’était pas vrai, tellement c’était horrible", nous dit-elle. "Avec ça, je ne sais pas si je pourrai faire mon deuil un jour. Ça a bousillé ma vie", ajoute-t-elle.
Un "charnier unique en Europe"
Treize clichés datant de 1988 confirment que les mauvaises conditions de conservation et des traitements dégradant des défunts ont perduré dans le temps. A tel point que certains corps ne pouvaient plus être mis à disposition des étudiants en médecine. Ces documents ont été retrouvé par Anne Jouan, journaliste d’investigation. "Ces treize diapositives ont été données à Paris-Match par un chirurgien, aujourd’hui âgé et vivant à l'étranger. On y voit des corps qui sont très abimés, noircis, en état de putréfaction avancée. Des corps sont tête-bêche sur un même chariot. L’ancien directeur du centre parle de ‘chariot de Timişoara [prononcer Timichoara, ndlr]’", explique-t-elle face à notre caméra, faisant référence au charnier de la ville de Roumanie – alors en révolte contre la dictature de Ceausescu en 1989. Des corps mutilés avaient été filmés par les caméras du monde entier et les images diffusées. Un mois plus tard, le monde s’est rendu compte qu’il s’agissait en réalité d’une campagne de désinformation et d’une opération montée de toutes pièces. "Ce système de maltraitance des corps a duré pendant des années et tout le monde savait", ajoute Mme Jouan.
Selon un témoin, derrière les murs de l’école de médecine, un commerce de corps aurait même été mis en place. C’est une pratique formellement interdite. Pas moins de 170 plaintes ont déjà été déposées pour atteinte à l’intégrité physique d’un cadavre. "Il est évident que les personnes qui étaient à la tête de ces universités doivent être interrogées pour savoir ce qu’ils savaient, ce qu’ils ont autorisés et pourquoi ils ont autorisé à ce que perdure, en plein centre de Paris, dans ses beaux quartiers, un tel charnier unique en Europe", explique Me Frédéric Douchez, avocat des familles.