Après la validation de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel, des centaines de manifestants se sont retrouvées sur la place de l'Hôtel de Ville à Paris. Plus déterminés que jamais à poursuivre la mobilisation.
Rarement une décision du Conseil constitutionnel aura suscité une telle attente… et une telle déception. Il est un peu moins de 18h place de l’hôtel de ville lorsqu’une rumeur parcourt la foule. Suivie d’un cri de colère poussé à l'unisson. À quelques centaines de mètres de là, les Sages viennent de valider l’essentiel du projet de loi sur la réforme des retraites et d’invalider le référendum d’initiative partagée (RIP). Christian, 73 ans, se dit dépité. "Cette réforme est profondément injuste, je pensais qu’il y aurait au moins une concession sur le RIP. J’espère que la mobilisation va continuer, qu’elle ne va pas être étouffée. Si ça continue, je continue," confie l'enseignant à la retraite qui a participé à toutes les mobilisations depuis janvier.
benoît et Anthony, cheminots à la gare d’Austerlitz, "tiennent" depuis des semaines grâce aux caisses de solidarité. Malgré les pertes de salaire et ce dernier camouflet, ils affirment vouloir poursuivre le mouvement de contestation. "On s’y attendait, les institutions sont complètement dépassées. On espère maintenant que cette décision va énerver les gens, qu'elle va encore plus les mobiliser car l’injustice est totale. Il n’y a aucune légitimité quand 94 % des travailleurs se disent opposés à cette réforme. On va continuer car l’enjeu est trop important. Il n’y a pas de résignation ce soir, c’est même plutôt le contraire."
Malgré l'amertume, pas de découragement chez les manifestants rencontrés et qui affluent peu à peu sur la place. Sur un camion sonorisé, les prises de parole s'enchaînent. Ailleurs, des chants et des slogans sont entonnés, des applaudissements saluent l'arrivée d'élus, comme Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale. Ian Brossat, maire adjoint de Paris en charge du logement est également présent. Pour l'élu, la décision du Conseil constitutionnel n’est pas surprenante, "surtout quand on en connaît la composition". "Mais ça ne règle pas le problème, la colère est toujours là et je pense qu’elle va engendrer encore plus de combativité." Ian Brossat regrette notamment que certaines dispositions aient été retoquées comme l'index senior. "Si le président promulgue la loi dans les 48 heures comme il semble vouloir le faire, ce sera pire encore que la loi qui avait été adoptée par le parlement."
"Ça ne peut pas s'arrêter là"
Un constat partagé par Sophie Binet. Arrivée entourée de ses fidèles, la secrétaire générale de la CGT dit regretter que "la loi sorte encore plus déséquilibrée, violente et incohérente, avec des hypocrisies centrales." Elle appelle à une forte mobilisation le 1er mai.
Un rendez-vous déjà pris par de nombreux participants. Car pour Sigrid Girardin, secrétaire nationale de la FSU, "ça ne peut pas s'arrêter là". "Il y a eu douze journées de mobilisation avec des pertes de salaires et l'angoisse que cela a pu générer. Depuis le début, il y a eu un déni social, parlementaire, démocratique sans jamais aucune ouverture. On ne dialoguera pas avec le gouvernement tant qu'il ne retirera pas la loi. On va continuer", affirme la syndicaliste.
"Continuer, oui, mais pour combien de temps encore ?"
"Continuer, oui, mais pour combien de temps encore ?" De leur côté, Camille et Mathurin, s'interrogent. Le professeur et le cadre, la trentaine, ont jusqu'ici fait une dizaine de grèves perlées car ils ne "s'imaginent" pas travailler deux ans de plus. " Mais le gouvernement a continué de faire la sourde oreille et on n'a pas vraiment réussi à instaurer un vrai rapport de force. Il faut peut-être envisager d'autres formes d'actions."
À quelques mètres d'eux, un petit groupe a mis le feu à des vélos. Il est 19h20. Changement d'ambiance. Un cortège s'engage rue de Rivoli pour rallier l'Elysée. Mais le groupe est rapidement repoussé par des gendarmes qui, jusque-là, s'étaient faits très discrets. Les manifestants s'éparpillent alors dans les rues du 4e arrondissement, renversant quelques vélos et trottinettes sur leur passage. Et en scandant "Paris réveille-toi !" aux abords des terrasses pleines du Marais.
Des poubelles sont brûlées, des vitrines taguées. Coupé en trois par les forces de l'ordre, le cortège se scinde. Tandis que certains manifestants poursuivent leur déambulation vers la place de la République, d'autres font demi-tour, direction la place de la Bastille.
A 22h30, 112 personnes avaient été interpellées à Paris, une trentaine de feux avaient été comptabilisés selon la préfecture de police. Mais vers minuit, le calme n'était pas encore revenu dans la capitale. Malgré la validation de l'essentiel du texte de la réforme des retraites, ses opposants ne semblent pas avoir encore rendus les armes.