Après le cinéma ou le sport, la parole des femmes se libère dans le monde de la santé. Propos grivois et comportements déplacés, une femme médecin a accepté de témoigner. Elle dénonce l'entre-soi et l'omerta.
C'est une médecin de 35 ans exerçant en libéral aujourd'hui dans les Hauts-de-France et qui a souhaité garder l'anonymat. Elle ne mâche pas ses mots : "Internes ou externes, des femmes jeunes, des femmes plus âgées, toutes mes copines, on a toutes été victimes à des degrés plus ou moins variables, d’agressions sexistes ou sexuelles."
Des propos édifiants alors que plusieurs collectifs d'étudiants en médecine, de soignants et des associations de patients, appellent à un rassemblement ce mercredi devant le ministère de la Santé. Leur objectif : mettre fin aux violences sexistes et sexuelles dans le milieu médical.
Selon une étude datant de 2021 de l'Association nationale des étudiants en médecine de France, 4 étudiant-es sur 10 sont victimes de harcèlement sexuel à l’hôpital, 1 étudiante sur 5 a été agressée sexuellement par un de ses camarades, et dans 90% des cas, aucun signalement n’est fait par peur de représailles et de conséquences sur leurs carrières. Des chiffres qui font écho au témoignage recueilli.
Avez-vous été confrontée à des comportements déplacés ou des violences sexuelles ?
Quand j’étais étudiante en médecine, externe en chirurgie, j’étais la seule fille. Mes trois co-externes étaient des hommes. Moi clairement on me disait "tiens tape les comptes-rendus médicaux et va chercher le café. Tu es une fille".
Cela va de la blague, pas drôle, condescendante, un peu vaseuse à la vraie agression sexuelle jusqu’au viol pour certaines.
Ce sont également des gestes tactiles que l’on ne se permettrait pas avec un homme, comme me faire un câlin que je n’ai pas demandé, me faire une remarque en staff le matin sur mon décolleté, c’est se prendre une main aux fesses par un collègue qui passe quand on est dans un couloir et qu’on est en train d’écrire.
En fin de première année, on effectue un stage hospitalier en paramédical. C’est un peu classique de se faire bizuter. Moi on m’a collé sous la douche, j’étais trempée des pieds à la tête. Les vestiaires étaient à l’autre bout de l’hôpital. J’ai dû traverser tout l’hôpital en tenue blanche, complètement transparente, comme si je me promenais en soutien-gorge et en slip, et ça les a tous fait marrer. Je n’ai pas trouvé ça drôle du tout, je l’ai hyper mal vécu, c’était très humiliant, violent.
Alors que j'étais externe, j'ai eu un praticien hospitalier. Son bureau était au sous-sol et il m’a proposé de venir lire des articles dans son bureau. C'était mon supérieur hiérarchique. J’étais naïve, j’ai dit oui, mais j'y ai échappé grâce à un autre médecin qui m’a dit "non non tu viens en consultation avec moi" et qui m’a expliqué qu'en fait, il était connu pour des problèmes avec d’autres personnes.
Une autre amie, ce même homme l’a amenée dans son bureau. Il a essayé de l’embrasser. Il a fallu qu'elle lui mette un coup de pied dans les testicules pour qu’il arrête et qu'elle puisse s'en aller.
Ce médecin était connu mais je ne le savais pas. Ces personnes-là, tout le monde les connaît. Personne ne dit rien. On ne va pas prévenir les internes ou les externes, les plus jeunes, qu’il faut donc se méfier et faire attention.
Pourquoi une telle omerta dans le monde hospitalier ?
Je ne sais pas vraiment, mais je compare la médecine à l’armée car nous avons une hiérarchie qui est très forte avec un attachement au respect de nos supérieurs.
C’est un monde dans lequel il ne faut rien dire. Juste accepter et subir.
On ne peut pas ruer dans les brancards, il ne faut pas faire de vagues, ne rien dire. Il ne faut pas se rebeller contre le système au risque de mettre sa carrière en danger .
Les directions des hôpitaux préfèrent garder le silence et pensent que tout peut se gérer en interne. Ils privilégient la réputation de leur établissement.
Faut-il interdire la "culture carabine" ?
Je n’ai rien contre l’humour "carabin", s'il est fait entre personnes consentantes et qui s’entendent bien. Moi par exemple avec mes copains médecins, on peut avoir un humour "carabin", un peu graveleux parfois, ce n’est pas du tout choquant.
Mais à l’hôpital, c'est le règne de l'entre-soi. Nos années d'études sont longues et prenantes. On ne se retrouve qu'entre médecins. Ce qui semble acceptable entre copains ne l'est plus transposé sur son lieu de travail.
J'ai le sentiment que les médecins se sentent parfois au-dessus des lois. Mais non, on a quand même un code pénal, un code du travail, on ne doit pas faire n’importe quoi.
Aujourd'hui, la prise en compte des agissements sexistes ou des agressions sexuelles est-elle suffisante ?
Nous n'en sommes encore qu'aux prémices. Il n’y a pas de réelles mesures prises en interne à l’hôpital. Je pense aux récents propos de Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine à Paris qui accuse l'urgentiste Patrick Pelloux de "harcèlement sexuel et moral". Visiblement, il est connu comme le loup blanc et tout le monde l’a laissé faire, car c’est Patrick Pelloux.
Je pense à un étudiant en médecine coupable de viols sur des camarades de promo (aujourd'hui condamné, Ndlr) que l'on déplace d’une fac à l’autre, sans aucun souci des victimes, du respect des patients.
Qu'attendez-vous de la mobilisation #MeToo hôpital ?
Cette mobilisation est indispensable à mon sens. Ce n’est plus possible de laisser les choses en l'état sans rien faire.
Le conseil de l'ordre devrait aussi agir pour faire cesser toutes ces violences.
Je suis hyper en colère car effectivement en médecine, tout comme dans la société en général, chaque fois qu’une femme s’énerve et qu’elle dit que ce n’est pas acceptable de faire cela, que ce n’est pas acceptable d’entendre cela, elle passe juste pour une hystérique de service.
Les témoignages de professeurs en médecine reconnus scientifiquement, comme Karine Lacombe, sont indispensables. Ce silence doit s’arrêter. Le conseil de l'ordre devrait aussi agir pour faire cesser toutes ces violences.