Témoignage. Mourad, emprisonné à tort pour l'incendie de la rue Myrha

Publié le Mis à jour le Écrit par A. Blacher / L. Simondet / avec P. de Baudouin.

Thibaud Garagnon, l’homme accusé d’être à l’origine de l’incendie mortel de la rue Myrha en 2015, est jugé depuis ce lundi à Paris. Mourad, à l'époque sans-abri, avait un temps été soupçonné, à tort. Après avoir vécu un an en prison, il attend toujours un dédommagement.

L’affaire du dramatique incendie du 4 rue Myrha en septembre 2015, à l’origine de la mort de huit personnes dont deux enfants, est aussi l’histoire d’une lourde erreur judiciaire. Mourad, une personne à l'époque sans-abri du quartier de la Goutte-d’Or à Paris, a été emprisonné pendant une longue année après avoir été accusé à tort d’être l’auteur des faits.

Cinq ans après l’incendie, Mourad – qui ne souhaite pas montrer son visage – a accepté de raconter son histoire à France 3 Paris Île-de-France. Le soir des faits, qui remontent au 2 septembre 2015, il explique être passé devant l’immeuble "au mauvais moment" : "Une caméra m’a pris en vidéo. Je ne pouvais rien faire. Pour eux, j’étais le coupable idéal. En plus de ça, j’avais plusieurs briquets sur moi, et une bougie… J’étais SDF, c’est normal d’avoir une bougie sur soi."
 
Malgré le manque d’éléments concrets, le sans-abri est arrêté rapidement après l’incendie et placé en détention provisoire à Fresnes. Lui a toujours nié : "Je ne comprenais rien du tout. Je n’avais le droit à rien. J’ai vécu l’enfer pendant un an et sept jours. J’étais montré du doigt, comme le coupable, l’incendiaire…"

Placé à l’isolement, il parle "aux murs, aux gardiens, et de temps en temps aux autres détenus en promenade" : "Des fois j’en avais marre, je passais plusieurs jours en cellule, enfermé, tout seul, sans télé, sans rien". "Je pensais que j’étais cuit, que j’allais partir pour 20 ans minimum, raconte Mourad. Alors que je n’ai rien fait."

J’ai vécu l’enfer pendant un an et sept jours

Thibault Garagnon, un locataire de l’immeuble qui avait appelé les pompiers le soir du drame, finit par éveiller les soupçons des enquêteurs, plusieurs mois après le drame. Le jeune homme, qui avait organisé des marches blanches et des commémorations en mémoire des victimes, avoue aux enquêteurs qu’il est à l’origine du feu.

Mourad, lui, sort de prison après un an d’incarcération, et se retrouve libre mais "sans logement, ni revenu" et sans même avoir reçu d’explications : "On m’a ouvert la porte. On m’a juste dit que j’étais libérable, on ne m’a pas expliqué pourquoi. J’étais content d’être libre. J’ai pris mon paquetage et je suis sorti."

"Je compte sur le dédommagement pour prendre un nouveau départ"

"Jamais personne ne s’est excusé", déplore l’homme, qui finit par obtenir un logement via la mairie de Paris. Une longue procédure commence pour demander une indemnisation à la justice. A ce jour, Mourad – qui n’a bénéficié d’un non-lieu qu’en avril 2019 – attend toujours, quatre ans après sa sortie de prison.
Me Paul Fortin, l'avocat de Mourad, qualifie d’"incompréhensible" la lenteur de la procédure : "Tout bloque à toutes les étapes. On l’innocente en septembre 2016 et il faut attendre deux ans et demi pour qu’on lui donne le papier avec marqué "non-lieu", qui permet de déclencher la procédure d’indemnisation. Déjà deux ans et demi de perdu…. On dépose la demande et là, aucune nouvelle. Tout ce qu’on nous dit, c’est que le dossier n’est pas disponible au greffe de la cour d’appel, donc on ne peut pas avancer."

On a l’impression que la machine judiciaire est totalement désorganisée

Me Paul Fortin, l'avocat de Mourad

"On a l’impression que la machine judiciaire est totalement désorganisée, poursuit l’avocat, qui souligne avoir effectué de "nombreuses relances". Elle sait se mettre en ordre de marche pour arrêter des gens. Elle sait se mettre en ordre de marche pour les mettre rapidement en prison. En revanche, au moment où il s’agit de gérer des procédures d’indemnisation, on a l’impression que ça intéresse moins les gens. Donc on va faire ça au petit trot, lentement. Et donc ça traine, et ça traine, et ça traine…"

Mourad, qui souligne "vivre très mal" la situation, explique avoir subi (lui mais aussi sa famille et ses amis) un préjudice moral important : "Mon père a toujours été là pour moi. Il a souffert le pauvre. Il était montré du doigt lui aussi. On lui tournait le dos. C’était le père du coupable. Mon fils, pareil. Tout le monde a été touché par cette histoire autour de moi."

Depuis, les épreuves affrontées l’ont également changé : "Tout peut arriver. Ça m’a rendu très méfiant." "Ça aurait pu arriver à n’importe qui. Personne ne m’a cru", ajoute Mourad, qui indique "y penser encore souvent". "Je compte sur le dédommagement pour prendre un nouveau départ, moi et ma famille", affirme-t-il.

Qu’on lave l’honneur de ma famille, mon honneur

Quant au cas de Thibault Garagnon, Mourad explique avoir été "choqué", et être resté "bouche bée", quand il a su pour le locataire : "Il a joué avec tout le monde. Il a joué avec les familles des victimes, avec moi, avec la justice, avec la police… Il a manipulé tout le monde."

"Que justice soit faite, espère aujourd’hui Mourad. Qu’on lave l’honneur de ma famille, mon honneur." L’ancien SDF, qui espère un jour "tourner la page" et enfin "pouvoir oublier cette histoire, la zapper une bonne fois pour toute", retourne aujourd’hui "pratiquement tous les jours" dans le quartier.

 
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