Dans le cadre de l'opération Ma France 2022, nous sommes allés dans les villages aux alentours de Nemours, dans le sud de la Seine-et-Marne. Le vent y souffle fort et la région est devenue propice à l'installation d'éoliennes. Un sujet qui divise les habitants.

Impossible de ne pas les voir lorsque l'on se balade dans ce coin reculé du Gâtinais, à cheval sur le sud de la Seine-et-Marne et le Loiret. Mais un habitant du coin résume en quelques mots le paradoxe régional : "elles sont partout, mais à chaque fois que je les regarde, elles ne tournent pas".

Les promoteurs éoliens contactent régulièrement les propriétaires terriens des environs. Il faut les convaincre pour installer de nouvelles installations. Souvent, ils proposent d'en construire moins de sept pour éviter de passer par un laborieux marché public.

Jean-Pierre, un agriculteur d'Arville qui préfère taire son nom de famille, n'en voulait pas "parce que vis-à-vis du village, c'était à 500 mètres des habitations, c'était trop près. Puis cela ne nous intéressait pas avec nos cultures, il fallait tourner autour". Mais lorsque la mairie a porté le projet d'en installer six, un peu plus loin de chez lui, il n'a pas protesté.

"Les éoliennes font de mal à personne"

Anne Thibault, élue (SE) de cette bourgade de 150 habitants depuis 1995, a été une pionnière dans la région (elle a même été faite chevalier de l'ordre national du Mérite pour cela.) Car le premier projet d'éoliennes d'Île-de-France a été porté par elle. "Je suis née en Afrique. En brousse, on n'avait rien, pas de toilettes, il fallait se débrouiller. Dès qu'il y a une panne d'électricité, je suis assaillie de coups de téléphone. Les éoliennes font de mal à personne. Elles tournent, il n'y a pas d'impact pour la commune et elles sont loin du village, à 1,8 km", défend-elle.

Tags sur certaines fermes, manifestations et tensions avec habitants de la région et associations anti-éoliennes : l'édile affirme avoir eu des difficultés à faire accepter ces moulins à vent des temps modernes.

"Mais nous n'avons eu aucun administré de la commune qui a protesté contre lors de l'enquête publique. En 2004, j'ai loué un autocar et j'ai emmené voir les éoliennes à Pithiviers (Centre-Val de Loire) avec le prestataire pour expliquer la démarche. Les habitants ont trouvé que cela ne faisait pas de bruit, en revanche, ils étaient dérangés par le TGV qui passait à côté !", poursuit-elle.

Sur les six éoliennes que compte Arville, Guillaume Lefort a accepté d'en accueillir une sur ses champs. Cet agriculteur d'une quarantaine d'années est passionné de nouvelles technologies et a accueilli le dispositif qui culmine à 120 mètres de haut avec satisfaction.

"Cela consommait très peu de foncier et, en tant que paysan, je m'étais quand même mis dans l'idée que ma ferme devait être multi-performante. En tant que consommateur, on voit bien que l'on développe la consommation électrique, l'idée d'avoir de la production d'électricité verte pouvait rentrer dans la logique. Cela consommait un tout petit bout de champ, 1000 m², c'est 0,1 hectare. Et on ne va pas se mentir, ramené à cette surface, l'intérêt financier était plutôt intéressant. Puis c'est très subjectif, je ne trouve pas qu'une éolienne, c'est moche, je trouve cela même assez majestueux", explique-t-il.

Ce dernier balaie les critiques récurrentes : pas de bruit dérangeant, ni pour lui, ni pour sa famille. Pas non plus de cadavres d'oiseaux observés. Et les bénéfices sont bien là, en espèces sonnantes et trébuchantes :

"Nous avons touché le premier loyer en 2017. C'était l'année de la pire récolte céréalière depuis 50 ans. Le secteur avait été inondé et le manque de luminosité avait complètement bouleversé la fleuraison des céréales. En général, on souffre du manque d'eau, pas l'inverse ! Je ne vous cache pas que ces 7 000 euros-là, quand je les ai touchés, cela m'a bien arrangé parce que l'on avait fait perdu 60 % de notre chiffre d'affaires", indique cet agriculteur.

Manne financière pour les communes

Car chaque pose d'éolienne rapporte au propriétaire terrien entre 7 000 et 8 000 euros par an jusqu'à la fin de l'exploitation de l'infrastructure. Les contrats sont de 20 ans, parfois renouvelables de 10 ans. Ce ne sont pas les seuls à toucher de l'argent, les communes aussi.

"Quand j'ai démarré le projet, en 2001, cela devait me rapporter 90 000 euros par an. En 2001, j'avais un budget de 250 000 euros par an. Désormais, c'est 160 000 euros par an parce que les dotations ont disparu et on est obligé de courir après. Cet apport financier me permettait de remettre tous mes bâtiments en état, d'enfouir mes réseaux et de faire des activités pour les enfants. J'ai l'église, qui est classée, on me demande 1,5 million d'euros pour la restaurer, je trouve comment cet argent ? Je comptais sur cette manne pour y arriver", se désole Anne Thibault, la maire d'Arville.

L'édile détaille ainsi la répartition des loyers payés par les promoteurs éoliens : "sur les 90 000 euros, le département se sert et prend 40 % alors qu'il n'a jamais rien fait et n'a rien à voir avec le sujet. La Région prend 7 %, mais à quel moment est-elle intervenue dans nos dossiers ? Jamais. Et l'État dit que la communauté de communes prend le reste. Dans sa bonté, un amendement a été fait pour donner 20 % aux mairies alors que ce sont elles qui prennent tous les coups !"

Méga-éoliennes de 200 mètres de haut

Cette manne financière, le maire (SE) de Faÿ-lès-Nemours, une commune située à quelques kilomètres d'Arville, la refuse. Un autre promoteur éolien a confirmé début mars sa volonté d'installer six éoliennes hautes de 200 mètres (presque la hauteur de la tour Montparnasse à Paris) d'une puissance totale de 20 Mégawatt-heure (MW).   Ce dernier ne décolère pas contre ce qui est, encore, qu'un projet.

"Est-ce que le maire dirige la Banque de France ?", fait mine de se demander Christian Peutot. "C'est bon pour la commune d'avoir des rentrées d'argent, mais est-on là pour remplir les caisses alors que les habitants vont avoir une baisse de 30 à 40 % des biens immobiliers. Nous avons un nouveau lotissement, quand les gens ont vu qu'il y avait des pancartes éoliennes, ils se sont interrogés."

D'autres problèmes, bien concrets, occupent le maire de cette commune de 500 habitants. Car elle héberge une sous-station RTE, trois transformateurs qui permettent de redistribuer l'électricité sur le réseau national.

"Notre commune reçoit toutes les connexions des éoliennes qui ont été implantées sur le plateau. Géographiquement, on est quasiment à la frontière de deux communautés de communes. Nos voisins sont plutôt favorables, ils sont libres bien sûr. On n'est pas loin d'alimenter entre 150 et 200 000 habitations. Les prestataires d'Enedis viennent chez nous et tous les trois ans, nous avons de nouvelles tranchées, cela n'arrête pas. On ne sait même pas où va l'électricité ! Ce qui fait la particularité de ce village, c'est que l'on est déjà victime d'autres projets, et là, on serait victime d'un autre sur notre propre commune !", fulmine-t-il.

Et parce que rien n'est simple dans ces micro-communautés, les deux propriétaires terriens à qui il a été proposé d'installer des éoliennes et qui y étaient favorables, siègent au conseil municipal. Le maire leur a donc demandé de se retirer. Les neuf autres conseillers ont voté contre le projet.

Importantes subventions étatiques

À Faÿ-Lès-Nemours, des habitants ont donc formé un collectif pour organiser la lutte : l'association pour la défense de l'environnement du sud-ouest 77 ou Adeso77. Son président, un dirigeant d'entreprise qui travaille dans l'industrie, peste contre cette énergie "soi-disant verte" : "Quand on regarde la production des éoliennes, on a un taux d'efficience qui est de l'ordre de 20 ou 25%. Lorsque l'on regarde les rapports successifs, on s'aperçoit que les plus les éoliennes produisent, plus on a une consommation de gaz importante, c'est une ineptie écologique !", affirme Michel Couturier.

Ce dernier, rapport RTE (le gestionnaire du réseau électrique à l'appui), explique cette incongruité en raison de la faible précision des prévisions des vents : "Lorsqu'ils pensent que le vent va souffler, ils diminuent la production nucléaire. Mais souvent, ces précisions ne sont pas exactes et la seule solution est de rallumer les centrales thermiques, car rallumer une tranche de centrale nucléaire est trop coûteux."

Dans sa belle maison nichée sur une petite colline entourée de bois, il ne veut pas voir arriver ses mâts gigantesques. Des photos-montages ont été préparés pour montrer aux habitants la transformation du paysage local que cela pourrait entraîner.

D'autant, selon lui, que les fonds prévus pour le démantèlement sont loin d'être suffisants. Selon lui, le promoteur local (la société EEF, de nationalité allemande), aurait déjà prévu de solder ses actifs lorsque les éoliennes seront arrivées au stade d'obsolescence.

"C'est une SARL au capital de 5 000 euros. Vous voyez ce que ça veut dire. Les 50 000 euros provisionnés ne suffiront pas pour tout démanteler. Et sur les blocs de béton (les fondations des éoliennes coulées dans les champs, ndlr), il faut regarder les 'saufs'. Si c'est en milieu forestier, l'entreprise doit enlever jusqu'à 2 mètres de profondeur. Si c'est en plein champ, c'est 1 mètre de profondeur. Tout ce qui est en dessous n'a pas besoin d'être enlevé alors que c'est 21m² sur 4 ou 5 mètres de profondeur. C'est comme les blockhaus, personne ne les a enlevés !", s'emporte Michel Couturier.

Une bonne partie de leur action consiste à interpeller les habitants. "On fait du démarchage dans les communes environnantes, et dans la majorité des cas, on s'aperçoit que les gens ne sont pas au courant, qu'ils ne savent pas. Et je suis un bon exemple, avant que l'on nous propose d'installer des éoliennes, je les voyais, je trouvais que ce n'était pas très joli mais au fond, cela ne me posait pas plus de problèmes que cela", raconte Etienne Chameault, trésorier de l'association.

Depuis, il est devenu un expert de la question : "En France, nous sommes un cas particulier par rapport aux directives européennes. Elles stipulent que le calcul dépend de la hauteur de l'édifice ce qui ferait qu'elles seraient à au moins 1 km des premières habitations. Mais si on applique ces directives-là, il y a quasiment une impossibilité de mettre une éolienne. Si bien que le gouvernement avait fait un amendement qui a modifié la loi pour fixer le seuil à 500 mètres, ce qui est très proche".

Et de porter un regard amer sur ces investissements faramineux : "Installer des éoliennes, cela rapporte à qui ? Si on a une vision plus macroéconomique, on s'aperçoit que tout est financé à coups de subventions. Quand on analyse la chaîne industrielle, on s'aperçoit qu'aucune société française n'est engagée dans ce processus, ce sont uniquement des promoteurs étrangers et les éoliennes sont fabriquées en grande partie en Chine. L'État finance la mise en place au profit des entreprises extérieures, les coûts de production sont énormes et au final, ce sont les consommateurs, nous, qui payons."

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