Une polémique a agité le corps enseignant du collège Victor Hugo suite à la demande du principal de n’accueillir que les garçons décrocheurs au détriment des filles. Indignés, les professeurs ont refusé d’appliquer ses consignes discriminatoires. Le rectorat évoque une "maladresse".
Accueillir les garçons "décrocheurs" de 4e et 3e avant les filles "décrocheuses". Voici ce qu’a demandé le principal, lors d’une réunion préparatoire le 2 juin dernier afin d’établir la liste des élèves prioritaires qui retourneraient au collège Victor Hugo situé dans le quartier de la Rose des vents, un quartier sensible d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
"Passé l’incompréhension de cette demande, nous avons réagi en demandant de préciser cette demande", raconte un professeur de l'établissement, joint par téléphone ce matin et qui a préféré rester anonyme. "Le principal nous a confirmé qu’il s’agissait d’une demande de sa hiérarchie et qu’il fallait s’y plier", poursuit-il.
? Les personnels d’enseignement et d’éducation du CLG Victor Hugo (Aulnay-sous-Bois) refusent d’appliquer des consignes à caractère sexiste. ?
— SNES-FSU 93 (@snesfsu93) June 5, 2020
Une réaction, @AcCreteil ?@DanielAuverlot
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La "consigne" du rectorat de Créteil pour les élèves de 4e et 3e du collège Victor Hugo d'Aulnau-sous-Bois : en priorité, faire revenir les garçons, plus touchés que les filles par le décrochage...
— Fog Off ! (@Fog_Off_) June 8, 2020
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Lettre au recteur de l'Académie de Créteil
Incrédules, les professeurs ont adressé une lettre au recteur de l’Académie de Créteil. Dans le courrier, que France 3 Paris à pu se procurer, les enseignants y dénoncent une forme de discrimination : "Nous, signataires de cette lettre, refusons de cautionner cette directive sexiste. Comment est-il possible, en 2020, dans un Etat qui a déclaré « grande cause nationale » l’égalité entre les femmes et les hommes, d’entendre une telle injonction ? Allons-nous faire cours aux garçons tandis que les filles resteront à la maison au motif qu’elles sont des filles ?"
Les enseignants ont demandé le retrait de cette consigne, en menaçant de ne pas assurer les cours si celle-ci n’était pas révoquée. "Nous demandons au contraire que soit retirée cette consigne, et que soit laissé aux équipes d’enseignement et d’éducation, qui connaissent leurs élèves et leurs besoins, le soin de cibler elles-mêmes les élèves qu’elles jugent prioritaires. Si cette consigne est maintenue, nous refuserons en revanche d’assurer les cours concernés par ces mesures discriminatoires car sexistes", peut-on lire également dans cette lettre.
Polémique close ?
Tous nos élèves décrocheurs, filles ou garçons vont revenir au collège
Hier, dimanche, les professeurs ont reçu un mail du principal les informant que cette consigne ne serait pas appliquée. Mail dont voici un extrait : "Suite au courrier que vous avez adressé à Monsieur le recteur, je tiens à vous préciser mes propos, dans le cadre de l’enseignement en présence au collège. Tous les élèves décrocheurs du collège, filles comme garçons, ont vocation à être accueillis dans l’établissement". Tous les élèves, décrocheurs filles ou garçons vont donc reprendre le chemin du collège. Les enseignants restent néanmoins vigilants car "si à Victor Hugo, tous nos élèves décrocheurs, filles ou garçons, vont revenir au collège, cela reste problématique que l’Education nationale ait pu émettre cette idée", conclut cet enseignant.
Sollicité, le rectorat affirme qu’il s’agit d’une simple maladresse : " aucune consigne de ce type n’a jamais été passée quant aux critères de choix des élèves décrocheurs. Nous disons de manière très claire que nous accordons la priorité aux élèves décrocheurs quel que soient leur sexe. Il s’agit d’une maladresse du chef d’établissement. Une incompréhension de sa part".
"Une maladresse", un argument qui ne convainc pas
"Rejeter la faute sur le principal est une stratégie de défense qui me pose problème. C’est un peu facile. C’est une insulte à l’intelligence du principal. Je trouve que c’est même malhonnête de la part du rectorat de se défausser sur le chef d’établissement. Il nous faut rester vigilant", avoue ce professeur dubitatif et inquiet. Une inquiétude partagée par Mathieu Logothetis, le secrétaire académique SNES Créteil. Et de poursuivre, "On sait par plusieurs témoignages que c’est une consigne du rectorat donnée aux chefs d’établissement et pas uniquement au collège Victor Hugo. Même si l’on sait que statistiquement, il y a plus de garçons décrocheurs que de filles en échec scolaire, il n’y a aucune raison que les filles qui ont des situations sociales aussi désastreuses que les garçons restent à la maison. Nous souhaitons que, si les collèges doivent prioriser à l’égard des décrocheurs cela se fasse sans notion de genre".
Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme, ne mâche pas ses mots : "On marche sur la tête, c’est scandaleux, C’est illégal et cela est interdit par la loi. C’est une discrimination par le sexe et cela mérite une action en justice. Il y a rupture d’égalité devant la loi. Rien ne peut justifier la reprise des garçons avant les filles. Comment l’Education nationale peut-elle tenir de tels propos ?", s’exclame-t-elle.
Le collège Victor Hugo compte 600 élèves. La rentrée des 4e et 3e « décrocheurs » devrait s’effectuer la semaine prochaine.