"C'est le même comportement qu'un accro aux drogues" : la surexposition des enfants aux écrans, un enjeu de santé publique

Dans le service pédiatrique de l'hôpital Jean-Verdier à Bondy (AP-HP), le docteur Dieu-Osika reçoit tous les lundis des enfants de moins de quatre ans accros aux écrans. Un phénomène loin d'être anecdotique et aux conséquences désastreuses sur leur développement.

"On va voir le docteur ?" À presque quatre ans, Léa* (le prénom a été modifié), trépigne. Ce lundi, elle a rendez-vous pour la dernière fois avec le docteur Dieu-Osika, pédiatre à l'hôpital Jean-Verdier à Bondy, qui a fait de la surexposition aux écrans son cheval de bataille.

Lors de la consultation, l'heure est au bilan. "Léa n'a pas regardé la télé depuis janvier 2023", confie avec fierté sa maman. Une décision drastique mais salvatrice pour la petite fille, qui passait plus de huit heures par jour devant les écrans depuis l'âge de six mois. "Fin 2022, la halte-garderie a fait un signalement sur ma fille", raconte la Francilienne, qui ajoute : "Léa ne parlait pas et elle ne se sociabilisait pas avec les autres enfants." Consciente du retard du développement de sa fille, la maman, qui souhaite rester anonyme, décide de consulter le docteur Dieu-Osika qui accueille tous les lundis à l'hôpital de Bondy (AP-HP) les enfants de moins de quatre ans exposés trop longtemps et trop jeunes aux écrans.

Pour combler son retard, pas de solution miracle. Il faut limiter drastiquement leur usage. "Au début, c'était très compliqué d'arrêter. Quand je refusais de lui mettre ses dessins animés elle faisait des crises, elle a même cassé des objets dans la maison. C'est le même comportement qu’un accro aux drogues, quand on retire l'écran à un enfant, on dirait un diable", confie la mère célibataire.

Après un sevrage de plus d'un an, les progrès sont bien visibles. Léa répond à son prénom, interagit avec son entourage, verbalise ses besoins et a acquis du vocabulaire. "Elle connaît toutes les couleurs, tous les animaux", se réjouit sa maman. "Elle fait même des phrases complètes", poursuit-elle lors de cette troisième visite.

La nocivité avérée des écrans

Des cas comme celui de Léa, la pédiatre Dieu-Osika en voit de plus en plus. Ceux d'"enfants écrans" face à des parents désemparés. "Ils ont honte, et ont le sentiment d'être des mauvais parents. Mais il y a beaucoup de raisons qui les amènent à mettre trop tôt des écrans dans les mains de leurs enfants, sans penser à mal", analyse la pédiatre.

Grossesses rapprochées, manque de temps, moyen d'occupation, télétravail... Autant de motifs qui conduisent à la "technoférence", un phénomène qui désigne le manque d'interactions dans le quotidien familial dû à l'usage des appareils technologiques.

Résultat, les enfants accusent un retard ou une absence de langage. Surexposés aux écrans, ils présentent des troubles de l'attention, du sommeil, une incapacité à interagir avec les autres mais également un trouble de la frustration avec des difficultés à gérer leurs émotions. Parfois désorientés dans un monde en trois dimensions, certains présentent des troubles de la motricité fine, ainsi que des troubles alimentaires. 

Des troubles qui influent durablement sur eux. "Plus l'enfant est exposé longtemps aux écrans et plus les conséquences seront marquées. Si le sevrage commence avant ses deux ans, l'enfant va vite rattraper son retard. Après deux ou trois ans, il y a des progrès mais certains troubles demeurent", détaille le docteur Dieu-Osika. 

Une économie de l'attention

Ces tout-petits, qui n'ont pas été plongés dans un "bain de langage", ne font souvent que répéter ce qu'ils ont entendu dans leurs comptines et leurs dessins animés. "Nous voyons souvent arriver des enfants qui savent dire 'one, two, three' en anglais, alors que la famille n'est pas du tout anglophone", raconte le docteur Sylvie Dieu-Osika. Ils font ce qu'on appelle du 'langage plaqué' ou du 'youtublish' comme je l'appelle, c'est-à-dire lorsqu'ils répètent, sans comprendre, ce qu'ils ont entendu sur Youtube Kids ou sur une autre plateforme", poursuit la membre du Cose, le collectif de surexposition aux écrans. 

Une addiction entretenue par ces grandes plateformes. "Il y a un tout un processus addictif et de captation de l'attention qui est mis en place sur ces sites", explique le docteur Dieu-Osika. "Or les écrans interagissent de manière négative. Les enfants apprennent par le jeu, avec un parent disponible pour eux", poursuit-elle. 

Des parents mal informés

Depuis qu'elle a lancé cette consultation en 2019, la pédiatre observe que ce phénomène touche toutes les catégories socioprofessionnelles et qu'il s'est accéléré avec l'avènement du télétravail et les confinements successifs. Loin de vouloir culpabiliser les jeunes parents, elle déplore un manque de communication. "Mon fils regardait la télé presque toute la journée. Au début, je ne voyais pas le mal à ce qu'un bébé voit un dessin animé. Je n'avais aucune idée de leur nocivité", déplore une mère au foyer venue pour son fils de deux ans.

"Que ce soit à la maternité ou chez le pédiatre, on ne m'a jamais dit que c'était dangereux", se désole une autre maman, des trémolos dans la voix. Mon fils n'a marché qu'à 19 mois, je disais autour de moi que je soupçonnais que la présence abusive des écrans soit la raison de ce retard, mais personne ne me croyait."

Pour le docteur Dieu-Osika, les conséquences de la surexposition des enfants aux écrans sont un enjeu de santé publique dont il faut prendre la mesure. "C'est une véritable épidémie, il faut légiférer !", s'alarme la pédiatre, qui a déjà pris en charge plus de 150 enfants.

Le 8 avril dernier, des députés Les Républicains ont fait une proposition de loi pour réguler l'usage des écrans en présence des enfants de moins de trois ans. Un petit, mais premier pas vers la reconnaissance des dangers qu'ils représentent. Le numérique, c'est loin d'être bénéfique.

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